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Une exploitation durable du sable est-elle possible ?

Dans votre rap­port de 2014, « Sand, rar­er than one thinks », vous écriv­iez déjà que « le sable et le gravier sont extraits à un rythme beau­coup plus rapi­de que celui de leur renou­velle­ment ». Est-on en mesure de faire, en 2019, un état des lieux des stocks de ces ressources et de prévoir le moment de leur extinction ?

P. Peduzzi : Les stocks sont encore impor­tants. Au niveau glob­al, il n’y a pas de pénurie de sable générale. Par con­tre, il y a lieu de s’inquiéter dans cer­taines par­ties du monde, notam­ment les petits États insu­laires en développe­ment (PEID) ain­si que pour cer­taines caté­gories de sable de haute qual­ité, les sables dits indus­triels, qui ne ser­vent pas dans la con­struc­tion, et dont nous util­isons env­i­ron 180 mil­lions de tonnes annuelle­ment. Pour fab­ri­quer des vit­res, par exem­ple, il faut des sables très purs, con­tenant plus de 95 % de sil­ice. Pour l’électronique, on emploie des « ter­res rares », qui sont aus­si des types de sable. Chaque « sable » a dif­férentes pro­priétés qui vont dépen­dre de sa com­po­si­tion et de sa gran­u­lométrie. Or, pour l’instant, une part du gaspillage du sable est due au fait que des sables de la meilleure qual­ité peu­vent être util­isés dans cer­tains endroits pour faire du béton.

Quels sont les dif­férents types d’impacts envi­ron­nemen­taux de l’exploitation non con­trôlée du sable sur l’environnement ?

Les impacts dépen­dent de là où le sable est extrait. Les endroits dynamiques sont plus sen­si­bles (fonds marins, côtes, plages, riv­ières) que les endroits sta­tiques (car­rières). Le sable de car­rière a des impacts sur la végé­ta­tion, le paysage, éventuelle­ment sur les nappes phréa­tiques. Dans les riv­ières, nous obser­vons de l’érosion des berges, un change­ment du flux de la riv­ière, ce qui peut aggraver les phénomènes d’inondations ou, au con­traire, d’assèchements, mais aus­si provo­quer une pol­lu­tion, un change­ment de pH ou de tur­bid­ité, ou encore la destruc­tion des habi­tats naturels pour les ani­maux (par exem­ple, dans le fond de la rivière).

Sur les plages, c’est peut-être le pire. L’extraction de sable peut don­ner lieu à des proces­sus d’érosion à très long terme, même longtemps après l’arrêt de l’extraction. L’écosystème plage est affec­té, les micro-organ­ismes détru­its, ce qui a des impacts égale­ment sur la faune (oiseaux, crabes, tortues…). Les plages érodées affectent égale­ment le secteur du tourisme.

L’extraction du sable marin détru­it le fond marin (la zone ben­thique). C’est cette zone qui est à la base de la chaîne ali­men­taire. Les petits organ­ismes nour­ris­sant les petits pois­sons, ceux-ci nour­ris­sant les plus gros… Les impacts vont du change­ment de tur­bid­ité de l’eau aux effets néfastes sur la faune et la flore. Et cela a des réper­cus­sions sur la bio­di­ver­sité, mais aus­si sur cer­tains secteurs économiques comme la pêche et le tourisme. En out­re, une extrac­tion de sable au large des côtes génère une cav­ité. Le sable pou­vant se com­porter comme un liq­uide, il peut alors gliss­er des zones plus élevées (comme les côtes) vers cette cav­ité, entraî­nant une éro­sion côtière.

Quelles sont les zones de la planète les plus con­cernées par ces boule­verse­ments environnementaux ?

Notre dépen­dance au sable (et graviers) est phénomé­nale. Nous en avons besoin pour nos routes, nos immeubles, nos entre­pris­es, nos infra­struc­tures (ponts, tun­nels, aéro­ports, hôpi­taux, écoles, bar­rages, cen­trales nucléaires…), pour le verre, pour l’agriculture, l’électronique et même pour les cos­mé­tiques. Notre société est lit­térale­ment bâtie sur du sable. En ce sens, l’ensemble des pays et des secteurs sont con­cernés. Cepen­dant, cer­tains pays ont plus de ressources en sable que d’autres. Les prob­lèmes seront donc plus aigus pour les pays ayant moins de ressources en sable, ou pour ceux qui ont un petit ter­ri­toire (comme les PEID). Les zones côtières sont égale­ment plus con­cernées, car l’érosion des plages est déjà en cours du fait du change­ment cli­ma­tique (hausse du niveau marin et aug­men­ta­tion de l’intensité des ondes de tem­pête). Pour pro­téger les côtes, de nom­breuses infra­struc­tures de pro­tec­tion sont envis­agées, qui génèrent une pres­sion sup­plé­men­taire sur la ressource en sable.

Y a‑t-il des régions du globe où la lutte pour l’accès au sable est sus­cep­ti­ble de provo­quer des ten­sions géopoli­tiques graves, voire des conflits ?

C’est déjà le cas. Sin­gapour a aug­men­té son ter­ri­toire de 20 % depuis les années 1970 en impor­tant du sable d’Indonésie, de Malaisie, de Thaï­lande et du Cam­bodge, générant des ten­sions entre les pays, du fait des impacts envi­ron­nemen­taux, mais aus­si de la dis­pari­tion de cer­taines îles (non habitées) en Indonésie. La dis­pari­tion d’îles en rai­son des ponc­tions de sable est sus­cep­ti­ble de mod­ifier les lim­ites ter­ri­to­ri­ales et les zones économiques exclu­sives (ZEE), qui s’étendent à par­tir du lit­toral d’un État jusqu’à 200 milles marins, don­nant un droit sou­verain à l’exploitation des ressources (minières, pêche). La Chine a par exem­ple con­stru­it des îles artifi­cielles avec du sable sur des atolls de coraux et les revendique comme ter­ri­toire nation­al, alors que ceux-ci étaient en eaux inter­na­tionales. Cela a créé un conflit diplo­ma­tique avec les pays lim­itro­phes (Philip­pines et Vietnam).

D’un point de vue tech­nique, des solu­tions de rem­place­ment au sable sont à l’essai dans la con­struc­tion (plas­tique recy­clé, terre, bam­bou, etc.). Quelles sont les pistes les plus abouties, et les plus viables selon vous ?

L’utilisation des cen­dres d’incinération, le recy­clage du béton, la terre sont les alter­na­tives les plus util­isées et les plus abouties. Aux Pays-Bas, une entre­prise d’incinération des déchets a mis au point un sys­tème cir­cu­laire très intéres­sant : dans les déchets, elle récupère tout ce qui peut l’être (fer, alu­mini­um, mais égale­ment or et dif­férents métaux…), puis elle inc­inère le reste et utilise les cen­dres pour faire du béton. Elle récupère même la chaleur pro­duite lors de l’incinération pour faire du chauffage à dis­tance, ain­si que le CO2 qu’elle injecte dans des ser­res où sont cul­tivées des fleurs.

Le rem­place­ment du sable par de la sci­ure de bois est égale­ment à l’étude, par exem­ple en Suisse, pour des util­i­sa­tions de bétons légers (comme des parois), ce qui présente l’avantage d’offrir une meilleure iso­la­tion ther­mique, tout en per­me­t­tant de recourir à une chape en béton plus fine puisque les murs sont plus légers.

Pour le bam­bou et le bois, des con­struc­tions assez imposantes ont déjà été réal­isées avec ces matéri­aux. À con­di­tion que la pro­duc­tion de bam­bous comme de bois ne con­tribue pas à la déforesta­tion, cela per­met des con­struc­tions beau­coup plus écologiques. En out­re, la pro­duc­tion de bois per­met de stock­er du CO2 dans le sol des forêts alors que la pro­duc­tion de ciment génère énor­mé­ment de CO2 (env­i­ron une tonne de CO2 est rejetée dans l’atmosphère pour une tonne de ciment produite).

Le recy­clage du plas­tique dans le béton, une piste explorée notam­ment en Aus­tralie, pour­rait certes don­ner des débouchés à nos déchets (les quan­tités sont gigan­tesques), mais je demeure pru­dent : util­isés dans les routes, les plas­tiques peu­vent génér­er des microplas­tiques qui se retrou­vent ensuite dans l’environnement et pour­raient entr­er dans la chaîne ali­men­taire. Le plas­tique est l’une des préoc­cu­pa­tions envi­ron­nemen­tales majeures, préoc­cu­pa­tion qui croît au fur et à mesure que l’on prend con­science de l’ampleur du phénomène…

En résumé, pour ce qui con­cerne le sable, on sait main­tenant faire des bâti­ments inno­vants très neu­tres en ter­mes d’énergie, voire pro­duisant plus d’énergie qu’ils n’en con­som­ment : un plus pour le cli­mat, et ce d’autant plus qu’ils sont beau­coup plus facile­ment recy­clables en fin de vie. Les solu­tions exis­tent. Mais toute la filière de la con­struc­tion est encore très axée sur le béton. De plus, dans la majeure par­tie du monde, le sable est encore bien sou­vent gra­tu­it, le prix ne découlant que des coûts d’extraction et de la marge de l’opérateur, ce qui n’encourage pas les mesures d’économie, de recy­clage et de substitution.

Mal­gré les solu­tions, le change­ment sera donc néces­saire­ment long… Il passera notam­ment par la for­ma­tion d’ingénieurs et d’architectes qui sachent con­cevoir des bâti­ments sans sable ou avec moins de sable. Ce qui per­met d’être un peu plus opti­miste, c’est que les pays qui n’avaient pas encore de fil­ières de con­struc­tion très dévelop­pées (et donc fondées sur le béton) peu­vent sauter à pieds joints par-dessus cer­taines étapes pour met­tre directe­ment en place des filières mod­ernes inno­vantes. On l’a observé pour les télé­com­mu­ni­ca­tions : les pays qui n’avaient pas encore de réseau de télé­phonie fixe très dévelop­pé sont passés directe­ment à l’étape télé­phonie mobile avec un réseau d’antennes qui coûte moins cher à met­tre en place qu’un réseau con­tinu filaire.

En 2014, vous soulig­niez la faible col­lab­o­ra­tion de l’industrie des agré­gats pour amélior­er la gou­ver­nance de cette ressource. Des pro­grès ont-ils été faits dans ce domaine ?

Absol­u­ment. Le Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement (UNEP) a organ­isé en octo­bre 2018, à Genève, une pre­mière table ronde avec l’ensemble des acteurs – UNEP, WWF, mais aus­si des acteurs de la société civile et des indus­triels du secteur de l’extraction du sable ou de la con­struc­tion. Avec eux, nous avons mis sur la table toutes les solu­tions qui pour­raient être mis­es en place.

J’observe un change­ment très posi­tif de l’attitude des prin­ci­pales entre­pris­es. L’ONU Envi­ron­nement ne souhaite pas (et de toute façon ne pour­rait pas) stop­per ce secteur. Nous souhaitons que des normes inter­na­tionales soient établies pour aller vers une util­i­sa­tion plus durable du sable. Et nous souhaitons tra­vailler de con­cert avec les entre­pris­es pour aller dans cette direc­tion. Nous avons lancé ce dia­logue et je dois dire que l’accueil des indus­triels a été très posi­tif. Ils sont con­scients que la sit­u­a­tion actuelle n’est pas souhaitable ni durable. Ils ont tout intérêt à ce qu’une lég­is­la­tion encadre les pra­tiques, de telle sorte que les entre­pris­es les plus respon­s­ables ne se fassent pas con­cur­rencer par celles qui ont des pra­tiques plus dou­teuses. Les entre­pris­es ont com­pris que les pra­tiques allaient devoir évoluer et celles qui souhait­ent inscrire leurs activ­ités dans le long terme voient très net­te­ment le besoin d’adapter leur pratique.

Con­crète­ment, par quelles mesures et grandes poli­tiques une meilleure ges­tion glob­ale du sable peut-elle passer ?

À la suite de cette table ronde, nous allons pub­li­er un rap­port inti­t­ulé : Sand and Sus­tain­abil­i­ty : Find­ing new solu­tions for envi­ron­men­tal gov­er­nance of glob­al sand resources (qui doit sor­tir le 7 mai 2019). Ce doc­u­ment pro­pose juste­ment un ensem­ble de recom­man­da­tions en ce sens. L’idée sous-jacente est aus­si qu’en arrivant auprès des décideurs avec des solu­tions, les chances d’être écouté sont plus grandes.

Actuelle­ment, nous ne savons même pas quelle quan­tité totale de sable est util­isée dans le monde exacte­ment et nous ne dis­posons pas d’une car­togra­phie qui mette en lien besoins et ressources. Cer­tains grands groupes dis­posent de ces infor­ma­tions, mais ils ne les parta­gent pas, car cela fait par­tie de leur business.

Donc, la pre­mière chose à met­tre en place, c’est un sys­tème de sur­veil­lance mon­di­ale qui enreg­istre les sta­tis­tiques et nous dise qui utilise du sable, où il l’utilise, quel type de sable il utilise (gravier, sable fin, sable indus­triel…), d’où il vient et com­ment il a été extrait. Cela per­me­t­trait d’établir une car­togra­phie pré­cise de la ressource, par caté­gorie de sable.

Deux­ième­ment, il faudrait pou­voir con­trôler les ponc­tions de sable. Or, la plu­part des gross­es deman­des de sable provi­en­nent à l’origine d’un gou­verne­ment qui souhaite faire con­stru­ire des infra­struc­tures (hôpi­taux, aéro­ports, écoles, routes…). Quand il lance ces infra­struc­tures, il devrait en par­al­lèle planifier d’où va provenir le sable néces­saire et accorder la con­ces­sion cor­re­spon­dante, non sans avoir demandé au préal­able une étude d’impact sur l’environnement. Cela per­me­t­trait d’ailleurs aus­si de beau­coup mieux con­trôler les extrac­tions et d’éviter la pro­liféra­tion des mafias dans cer­taines régions.

Troisième­ment, il faudrait établir des stan­dards en se fon­dant sur les bonnes pra­tiques qui peu­vent exis­ter. Ain­si, peut-être qu’au même titre qu’il existe un For­est Stew­ard­ship Coun­cil pour le bois ou un Marine Stew­ard­ship Coun­cil pour le pois­son, il pour­rait y avoir un label de Sand Stew­ard­ship Coun­cil accordé aux sables gérés de manière durable, en respec­tant des stan­dards à la fois envi­ron­nemen­taux et sociaux.

Existe-t-il des pays pio­nniers, des mod­èles en matière de régu­la­tion de l’extraction et de l’utilisation de la ressource sable ?

Le Roy­aume-Uni est assez en avance dans ce domaine. Il a intro­duit en 1996 une taxe sur les déchets liés à la con­struc­tion. Les pro­fes­sion­nels du secteur ont alors cher­ché à min­imiser les coûts sup­plé­men­taires induits pour eux par cette taxe et cela a favorisé la créa­tion d’une véri­ta­ble filière pour le recy­clage du béton issu de la destruc­tion d’immeubles et d’infrastructures. Désor­mais, dans ce pays, 30 % du sable et du gravier employés pour la con­fec­tion du béton ont été rem­placés par des matéri­aux issus du recy­clage. (Évidem­ment pour avoir du matériel de recy­clage, il faut déjà avoir des infra­struc­tures à détru­ire, ce qui est le cas des pays dévelop­pés. Les pays en voie de développe­ment n’ont rien à détru­ire, ils n’ont pas suffisam­ment d’infrastructures arrivées en fin de vie pour être recyclées.)

La Grande-Bre­tagne con­trôle égale­ment depuis longtemps l’extraction de sable en ven­dant des con­ces­sions. Celles-ci sont octroyées après une étude d’impact sur l’environnement. La con­ces­sion spé­cifie le lieu et la quan­tité de sable qui peut être extraite. Et l’entreprise doit pay­er une cer­taine somme pour pou­voir exploiter cette con­ces­sion, somme qui per­met à l’État de financer des mesures de remé­di­a­tion à l’impact sur l’environnement, entre autres. C’est ce genre de lég­is­la­tions qui doivent être généralisées.

Dans l’ensemble, les pays européens ont instau­ré une bonne gou­ver­nance sur le sable, qui impose en par­ti­c­uli­er des études d’impact. L’Espagne a quant à elle inter­dit l’extraction de sable marin, sauf pour le rem­blayage des plages. Mais on con­state encore quelques aber­ra­tions. Par exem­ple, la Bel­gique et les Pays-Bas utilisent tous les deux du sable marin de la mer du Nord. Mais la con­ces­sion pour extraire du sable est moins chère en Bel­gique qu’aux Pays-Bas, donc beau­coup d’opérateurs néer­landais vien­nent y chercher du sable. Or la couche de sable dans les eaux ter­ri­to­ri­ales belges est plus fine qu’en Hol­lande. On voit que dans ce cas, le marché est mal organ­isé et qu’une gou­ver­nance plus intel­li­gente pour­rait être mise en place, d’autant plus que ces deux pays vont avoir besoin d’énormément de sable pour faire face à la hausse du niveau des mers dans les années à venir. Donc ils ont tout intérêt à trou­ver le moyen de gér­er la ressource sable à long terme.

En France, l’un des prob­lèmes est que l’étude d’impact sur l’environnement n’inclut pas les con­séquences que l’extraction marine pour­rait avoir sur la côte. Or, nous l’avons vu, les deux sont intime­ment liés.

Hors d’Europe, dans beau­coup de pays, aucune lég­is­la­tion n’est en place ; il n’est par­fois même pas inter­dit de pren­dre du sable de plage. Dans d’autres cas, comme en Inde, des règle­ments sont en place, mais mal­heureuse­ment, la pri­or­ité des décideurs va au développe­ment et à la con­struc­tion d’infrastructures. Les prob­lé­ma­tiques liées à la ges­tion des ressources ne sont pas assez considérées.

La dernière Assem­blée des Nations unies pour l’environnement s’est tenue tout récem­ment à Nairo­bi (Kenya), du 11 au 15 mars 2019. Le dossier « sable » y a‑t-il été abordé ?

Mieux que cela. Une réso­lu­tion sur la gou­ver­nance des ressources minérales, inclu­ant le sable, a même été adop­tée par l’ensemble des pays, lors de l’assemblée de Nairo­bi. Cette recon­nais­sance de la prob­lé­ma­tique est une pre­mière étape dans l’agenda inter­na­tion­al. Elle va faciliter la com­mu­ni­ca­tion avec les États, car le Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement a ain­si reçu un man­dat pour traiter cette question.

Jusqu’ici, y com­pris au niveau des Nations unies, la ques­tion de l’exploitation durable des ressources minérales n’était pas une pri­or­ité. Le sable n’était pas perçu comme une ressources­tratégique, peut-être parce qu’il était con­sid­éré – à tort – comme disponible en quan­tité infinie. Certes, le doc­u­men­taire précurseur de Denis Delestrac sor­ti en 2013 a réelle­ment fait émerg­er le prob­lème et le rap­port que j’ai rédigé un an plus tard l’a porté devant les instances onusi­ennes. Mais quand nous abor­dions la ques­tion avec les gou­verne­ments, c’était encore pour beau­coup une surprise.

En somme, tout est à con­stru­ire – sans mau­vais jeu de mot – pour instau­r­er une gou­ver­nance, non seule­ment glob­ale, mais aus­si régionale et locale de la ressource « sable ». Pensez-vous qu’il soit encore temps ?

La prob­lé­ma­tique du sable est en fait la même que pour tous les phénomènes de sur­ex­ploita­tion des ressources, que ce soit la sur­pêche, la déforesta­tion, la sur­ex­ploita­tion des sols, les prob­lèmes de pol­lu­tion, la non-ges­tion des déchets plas­tiques… Elle doit être replacée elle aus­si dans la quête d’un développe­ment durable. Nous devons adopter des moyens de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion qui ten­dent vers une économie cir­cu­laire, la seule viable à long terme. Parce qu’un développe­ment non durable, par défi­ni­tion, est un développe­ment qui s’arrête.

Le défi auquel nous sommes ain­si con­fron­tés est absol­u­ment gigan­tesque. Pre­mière­ment, nous devons élever le niveau de vie de mil­liards de per­son­nes qui souf­frent encore de carences sur des besoins pri­maires : prob­lèmes de qual­ité de l’eau et de l’air, insécu­rité ali­men­taire, difficulté d’accès aux soins…

Par­al­lèle­ment, nous avons déjà dépassé les lim­ites plané­taires pour ce qui est du cli­mat, de la bio­di­ver­sité et du cycle des fer­til­isants (azote et phos­phate)… et d’autres cycles plané­taires ne sont pas loin de leurs lim­ites (l’acidification des océans, la con­ver­sion de la cou­ver­ture du sol…). Or, la pop­u­la­tion mon­di­ale va con­tin­uer à aug­menter pour attein­dre 9,5 à 10 mil­liards de per­son­nes en 2050, avec notam­ment un dou­ble­ment de la pop­u­la­tion en Afrique, où déjà les trois quarts des jeunes sont sans emploi. Il faut donc chang­er notre mode de pen­sée, de pro­duc­tion, et le faire de manière suffisam­ment rad­i­cale pour rester dans ces lim­ites plané­taires, pour inter­venir « à temps ». Cela ne veut pas dire qu’il faut pani­quer. Il faut surtout agir.

Oui, le change­ment envi­ron­nemen­tal se fait à une vitesse prodigieuse. Mais notre capac­ité d’action aug­mente elle aus­si, notam­ment grâce aux nou­velles tech­nolo­gies. Cer­taine­ment, les gou­verne­ments et le secteur privé ont été plutôt scep­tiques et trop lents pour pren­dre à bras le corps ces prob­lé­ma­tiques envi­ron­nemen­tales. Mon intu­ition est que c’est en train de chang­er. C’est extrême­ment intéres­sant et ent­hou­si­as­mant, du point de vue sci­en­tifique, du point de vue humain. Il y a tout à gag­n­er en allant vers un monde moins pol­lué, plus social, plus envi­ron­nemen­tal, géré de manière durable. Peut-être que dans les pays dévelop­pés, cela veut dire dis­pos­er de moins d’objets matériels. Mais finale­ment, avons-nous besoin de tous ceux-ci ? Le sable n’est qu’un exem­ple de prob­lé­ma­tique par­mi d’autres. Le temps pour la prise de con­science est à présent révolu. Il s’agit de pass­er rapi­de­ment à l’action pour éviter les cat­a­stro­phes écologiques, cli­ma­tiques et sociales qui s’annoncent. Les types d’actions req­ui­s­es sont mul­ti­ples : il faut des nou­velles lois, des tech­nolo­gies plus écologiques, une économie cir­cu­laire, une renat­u­ral­i­sa­tion de nos écosys­tèmes et un change­ment vers un style de vie plus durable.

(*) Entre­tien pub­lié dans Diplo­matie, n° 98, Areion Group, mai-juin 2019.

Légende de la pho­to ci-dessus : dans les riv­ières, qui restent la source priv­ilégiée d’extraction d’agrégats pour la con­struc­tion, car ceux-ci ne requièrent pas de traite­ment spé­ci­fique, les écosys­tèmes sont durable­ment affec­tés par des pol­lu­tions, des change­ments de pH… Dans l’État du Ker­ala, en Inde, l’extraction de 12 mil­lions de tonnes de sable dans la riv­ière en amont du lac Vem­banad a même provo­qué la baisse du niveau des eaux de 7 à 15 cm par an. (© Kletr/Shutterstock)

À propos de l'auteur

Pascal Peduzzi

Directeur du Centre d’information environnementale de Genève (GRID-Geneva) pour le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

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