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Face au défi énergétique, l’urgence de réinventer les ports

Les politiques maritimes sont l’un des terrains privilégiés pour initier la transition écologique. Conscients de leur vulnérabilité environnementale et économique, de nombreux ports se sont en effet engagés dans des stratégies de développement durable.

Outils structurants de l’activité économique mondialisée, véritables « hubs énergétiques » concentrant l’ensemble des mobilités (maritimes, terrestres, voire fluviales et aéronautiques), les « ports du futur » se veulent désormais plus économes en foncier, plus respectueux de l’environnement et mieux intégrés à la ville, notamment grâce à la notion de « port urbain ».

Ce contexte nous invite à nous intéresser aux stratégies énergétiques portuaires et à la façon dont elles tentent de s’ancrer dans une nouvelle dynamique environnementale, industrielle et territoriale.

Des espaces vulnérables

D’après les dernières données scientifiques, le niveau des océans devrait considérablement augmenter à l’horizon 2100 (de 1,1 à 2 mètres en moyenne).

Environ 14 % des principaux ports maritimes du monde seraient aujourd’hui vulnérables au risque de submersion marine et d’érosion.

Les ports français – dont 66 ports de commerce maritimes – n’échappent pas à cet état d’urgence les obligeant à adapter leurs infrastructures grâce à de nouveaux modèles prédictifs.

Représentant près de 80 % du commerce international de marchandises, le transport maritime est responsable de plus de 3 % des émissions mondiales de CO2 – celles-ci ont respectivement augmenté de près de 32 % au cours des 20 dernières années. Un chiffre qui pourrait grimper à 17 % en 2050 si rien n’est fait.

Au moins 1 000 milliards de dollars (909 milliards d’euros) d’investissements seraient nécessaires entre 2030 et 2050 pour réduire l’empreinte carbone du transport maritime de 50 % d’ici à 2050 – 95 % des besoins du transport restaient dépendants du pétrole en 2020. De son côté, le trafic maritime devrait augmenter de 35 à 40 % lors de la même période.

Se libérer du pétrole

Cette « dépendance aux hydrocarbures » représente aussi une vulnérabilité économique pour les ports du fait des nouvelles normes environnementales.

Depuis 2009, en France, le transport de vrac liquide tend à diminuer (− 3 % en moyenne jusqu’en 2016), malgré une légère reprise en 2017 (+ 2,1 %). Les trafics énergétiques (50 % des trafics en tonnage des grands ports maritimes) ont ainsi baissé de 25 % depuis 2008.

L’âge d’or du pétrole ne s’inscrit plus dans le long terme, du fait de la prise de conscience écologique et de la raréfaction annoncée de la ressource. La réduction de la consommation d’hydrocarbures et de charbon devrait donc s’accompagner d’une poursuite de la baisse des trafics énergétiques dans les prochaines années.

En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) vise une réduction de 35 % des émissions du secteur industriel en 2030 et de 81 % à l’horizon 2050. La contrainte carbone constitue donc un véritable défi technologique et territorial à relever pour l’ensemble du secteur maritime.

Afin d’y répondre, les ports travaillent à leur neutralité en CO2 en réimaginant leurs fonctions logistiques (la gestion du flux) et productives (la création de valeur) dans une démarche de reconversion industrielle. Les nouvelles technologies environnementales doivent générer le double dividende écologique et économique.

Pour y parvenir, trois leviers sont mobilisables : l’efficacité énergétique, la production d’énergies renouvelables et l’écologie industrielle.

Construire les navires de demain

Pour que le transport maritime soit conforme à l’Accord de Paris, une étude de Getting to Zero indiquait qu’au moins 5 % du carburant utilisé devait être complètement vert d’ici à 2030 – l’entreprise GTT estime à environ 100 000 le nombre de navires de commerce qui sont concernés par cette reconversion.

Né en 2020, Green Marine Europe se présente ici comme un ambitieux programme de certification environnementale pour imaginer l’industrie maritime européenne de demain.

Pour [verdir le transport maritime], le développement de nouveaux carburants plus ou moins carbonés (comme le gaz naturel liquéfié, l’ammoniac ou l’éthanol) et l’utilisation accélérée de systèmes de propulsion alternatifs semblent nécessaires.

Encore chère, la technologie de l’hydrogène (d’abord « gris », puis progressivement de plus en plus « vert ») représente une alternative possible à moyen terme pour des flottes soumises à de fortes rotations. Bien [qu’elle soit embryonnaire] à ce stade (cela concerne de petites navettes de 60 à 80 places), des projets plus ambitieux ont été lancés, à l’image du remorqueur Hydrotug en cours de construction pour le port d’Anvers.

Marquant le grand retour de la propulsion éolienne (la vapeur a mis fin à la construction des clippers entre 1870 et 1900), l’assistance par voiles et kites est également une solution proposée pour participer à la décarbonation du transport maritime.

L’éolien en mer, une solution prometteuse

Cette transition énergétique passe aussi par une démocratisation de l’électricité, que ce soit avec l’électrification des quais, la fabrication de digues portuaires productrices d’énergie, le développement des navettes électriques, du solaire, des bioénergies ou encore des énergies marines.

La transition énergétique se traduit par le passage d’un port mono-énergie et consommateur d’énergie et à un port pluri­énergies et producteur d’énergie.

À ce titre, l’éolien en mer (posé puis flottant) va profondément marquer les côtes françaises ces prochaines années, et, en premier lieu, les zones portuaires (le premier parc français de 80 éoliennes devrait être inauguré en 2022 à Saint-Nazaire). À moyen terme, l’objectif est d’atteindre une capacité de 5,2 à 6,2 GW d’énergie éolienne offshore en France d’ici à 2028.

Cette technologie apparaît comme une source de dynamisme pour les territoires portuaires en quête de diversification industrielle, de valorisation du foncier existant (revenus fonciers) et des savoir-faire locaux (activités de construction et de maintenance).

Se présentant comme « le plus grand projet industriel dédié aux énergies renouvelables en France », [l’usine] d’éoliennes offshore du quai Hermann-du-Pasquier [ouverte fin mars 2022] symbolise la transition industrialo-énergétique du port du Havre […]. Au même moment, et après cinquante-trois ans de service, sa centrale thermique fermait ses portes le 31 mars 2021 ; 220 tonnes de charbon y brûlaient quotidiennement.

Notons enfin que ces futurs parcs éoliens en mer représentent pour les ports une opportunité de produire de l’hydrogène propre par électrolyse de l’eau de mer.

Rapprocher ville et port

La transition énergétique amène à repenser les liens entre la ville et le port. Les projets d’aménagement basés sur une économie du « tout pétrole » et la « super-conteneurisation » mondialisée de la seconde moitié du XXe siècle ont déconnecté à tous les niveaux la ville et le port, en forçant le port à sortir de son site urbain devenu trop exigu, par la création de vastes zones industrialo-portuaires (ZIP) en périphérie.

Ce divorce est aujourd’hui remis en question, marquant le retour du port comme espace ouvert sur le reste de la ville.

Pour les villes portuaires, où les navires cohabitent avec riverains, industries, commerces et activités touristiques, la qualité de l’environnement et les sources de nuisance deviennent des facteurs de mobilisation pour les habitants.

L’écologie territoriale pousse l’ouverture des ports sur les villes, en favorisant le déploiement de l’économie circulaire et l’écologie industrielle.
De nombreux ports se sont lancés dans des projets de transition énergétique qui cherchent à transformer les relations ville-port. Le territoire portuaire se révèle un formidable terrain d’expérimentations de nouvelles pratiques fondées sur une plus grande coopération entre les acteurs territoriaux.

À La Rochelle, les questions environnementales et énergétiques ont été l’occasion d’ouvrir une réflexion partagée et coconstruite sur l’avenir du territoire métropolitain.

Dans le cadre du projet « La Rochelle territoire zéro carbone » – l’agglomération vise la neutralité carbone d’ici à 2040 –, la transition énergétique se réalise via une planification concertée entre la ville et le port de La Rochelle. Ce dernier s’est engagé dans des actions permettant de limiter son impact environnemental et énergétique, tout en étant une source d’externalités positives pour son hinterland et le tissu économique local.

Au Havre, tout comme à Bordeaux et ailleurs, cette interconnexion ville-port se fait à la conjonction des défis énergétiques et des opportunités du numérique.

Ceci doit permettre à terme la naissance d’un « smart port city » (connecter la « ville intelligente » et le « port du futur »), promettant « un nouveau modèle de territoire urbain et industrialo-portuaire intégré par l’innovation ».

Faire du port le lieu de la modernité énergétique

Même si le défi écologique s’annonce colossal et difficile, la transition énergétique nous invite donc à réinterpréter le rôle des ports en tant qu’acteurs laboratoires pour tester de nouvelles pratiques territoriales et de nouvelles technologies. Entre 2016 et 2020, le port de Rotterdam a ainsi réduit ses émissions de CO2 de 27 %.

L’avènement de la vapeur, de l’hélice puis de la coque métallique a fait des ports des vitrines de la révolution industrielle au XIXe siècle. Ils ont été des lieux où la modernité énergétique s’est donnée à voir, à l’image du port du Havre immortalisé par Camille Pissarro.

À eux de poursuivre cet héritage en se présentant désormais comme de véritables « gateways » vers une économie plus durable et résiliente. 

Photo ci-dessus : Le Havre avec son port en arrière-plan. © Shutterstock 

Article publié sur le site web : https://theconversation.com/fr.

À propos de l'auteur

Sylvain Roche

Enseignant-chercheur associé, transition énergétique et territoriale, Sciences Po Bordeaux.

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The Conversation

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