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Quelle place pour les universités d’entreprises dans le paysage éducatif de demain ?

Plus de 4 000 universités d’entreprises existent dans le monde, dont une centaine en France. Ces structures, qui peuvent prendre de nombreuses formes, déploient les plans de développement des compétences internes à l’entreprise. Comme tout le secteur de l’éducation, elles sont aujourd’hui soumises à des interrogations majeures sur leur raison d’être, leur positionnement, leur offre et leurs méthodes pédagogiques.

L’enjeu est de taille. On estime qu’en 2019, les dépenses de formation des entreprises dépassaient 370 milliards de dollars. Quel futur pour ce segment particulier que constituent les universités d’entreprises dans le paysage de la formation ? L’étude que nous avons menée propose des pistes concrètes pour explorer de nouvelles pratiques et réinventer la formation et le développement en entreprise.

En collaboration avec Michelin, trois établissements d’enseignement supérieur – ESC Clermont BS, Grenoble École de Management et EM Lyon Business School – ont produit un travail collectif de benchmark, d’analyse et de recommandations pour nourrir les réflexions de Michelin dans le cadre de son projet d’université d’entreprise.

Après une première étude comparative d’une centaine d’universités d’entreprises dans le monde, nous avons mené une analyse plus fine sur une vingtaine, puis des études de cas approfondies pour sept d’entre elles. Cette démarche innovante de coconstruction a produit une réflexion collective et prospective sur les tendances d’évolution de ces structures dans le futur. Elle vient nourrir un projet interne à Michelin, la Manufacture des Talents, de mise à disposition des moyens (et des conditions) permettant aux personnes de développer leurs talents et d’accompagner les grandes transformations du groupe.

Du savoir-faire technique au savoir agir

Une rapide analyse sémantique de la formulation des objectifs et positionnements des différentes universités entreprises étudiées nous a permis d’identifier les enjeux majeurs qui ressortent. Le résultat, s’il n’est pas surprenant en soi, montre nettement l’orientation actuelle.

Au-delà de la formation professionnelle au sens large, les universités d’entreprise mettent l’accent sur les questions de culture et de stratégie. On sort de l’apprentissage pour développer chez les personnes les comportements, les outils et les conditions dont elles auront besoin pour interpréter leurs actions dans un cadre global, adapté à une vision stratégique générale. On passe du savoir-faire technique au savoir agir dans un système complexe.

Convergence ne signifie cependant pas homogénéité. La mise en œuvre de la politique de formation culturelle et stratégique est aussi le reflet d’une approche managériale plus globale qui se décline de façon très variée selon les cas.

Notre analyse matricielle centrée sur une vingtaine d’entreprises fait notamment ressortir une grande diversité des publics visés. Si certaines d’entre elles peuvent être qualifiées d’élitistes, d’autres se révèlent beaucoup plus inclusives, dispensant des formations culturelles et stratégiques à une très grande partie du personnel.

On voit que le projet de Michelin, qui a décidé de s’adresser à l’ensemble de son personnel, se positionne sur l’ensemble de l’axe vertical et concerne donc toutes les populations. Seules deux entreprises à l’identité très forte, Accor et Airbus, s’en rapprochent.

Quelques propositions pour le futur

Sur la base de cette analyse, et au-delà de la diversité des missions et structures des universités d’entreprise, quelles sont les grandes évolutions que nous voyons apparaître concernant la formation en entreprise dans le futur ? Nous nous limiterons ici à quelques propositions iconoclastes, propices à la réflexion et à l’exploration de nouvelles pratiques que la poursuite de notre partenariat permettra d’approfondir.

Faire évoluer la mission d’accompagnement des dirigeants, hauts potentiels et managers [vers] une offre ouverte à toutes les personnes, quels que soient le niveau hiérarchique et le statut, et pourquoi pas, plus largement, à la société civile, en dehors des frontières de l’entreprise.

Concevoir l’université d’entreprise comme un développeur et catalyseur de compétences internes en lien avec les autres services : métiers, RH, transformation, IT… et externes : écoles, centres de formation professionnelle, universités, organismes spécialisés par métiers, centres de recherche, start-up… pour en faire un animateur de communautés apprenantes.

Passer de la formation à la transformation, assurant le lien entre le passé, l’histoire, l’identité de l’entreprise et ses futurs possibles. L’objectif est de doter l’ensemble des équipes des postures et capacités pour s’adapter dans un monde complexe et incertain afin de les préparer à l’adaptation permanente, d’accroître leur engagement et d’assurer l’employabilité dans la durée.

Sortir de l’approche individuelle en s’adressant directement au niveau collectif et équipes de travail pour instaurer une culture d’apprentissage continu, qu’il s’agisse d’équipes hiérarchiques constituées, d’équipes projet, transverses, de communautés ouvertes, voire d’unités de production/de recherche ou encore d’usines.

En positionnant les universités d’entreprises comme des acteurs centraux dans l’innovation pédagogique pour développer l’attractivité de nos territoires et améliorer la rétention des talents, ces évolutions verraient se développer en leur sein des centres de co-ingénierie pédagogique. L’idée serait de s’associer aux meilleurs partenaires (académiques, professionnels, start-up Ed-Tech, opérateurs digitaux, laboratoires de recherche en sciences de l’éducation…), pour créer des séquences de formation immersives, des parcours de qualification accélérés ou des expérimentations sur les méthodes et outils d’apprentissage du futur.

Il nous semble que ces structures sont légitimes pour prendre la parole sur les sujets du leadership et de développement des compétences, dans un monde en pleine mutation. Elles peuvent jouer un rôle sociétal, non pas en donneur de leçons, mais en contributeur à la réflexion collective, en faisant connaître et en valorisant des enseignements des actions menées et des expérimentations réalisées pour faire grandir des personnes et des équipes dans le monde du travail.

Les universités d’entreprises sont des acteurs clés du monde de l’éducation. À l’heure où l’entreprise devient société à mission, où la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est au cœur des réflexions stratégiques, elles jouent un rôle essentiel dans l’appropriation de cette dynamique historique nouvelle. En s’ouvrant sur la société, à un moment où incertitude, brouillard, ruptures et chocs sont devenus le quotidien des organisations, les universités d’entreprises pourront renforcer leurs capacités d’anticipation et leur légitimité, contribuant ainsi pour le meilleur à la performance durable de leur maison mère.

Catherine Lauryssen, chief learning officer chez Michelin, a participé à la rédaction de cet article.

Cet article a été publié sur le site : theconversation.fr

À propos de l'auteur

Thierry Picq

Professeur et directeur de l’Innovation, EM Lyon.

À propos de l'auteur

Jean-Philippe Rennard

Professeur, Grenoble École de Management (GEM).

À propos de l'auteur

Richard Soparnot

Professeur de stratégie d’entreprise, Groupe ESC Clermont.

À propos de l'auteur

The Conversation

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