Green Innovation. Votre étude souligne que les objectifs solaires du PPE ont été revus à la baisse. Quels risques cette incertitude politique fait-elle peser sur la confiance et les investissements dans le solaire résidentiel en France ?
Mladena Pavlova Joveski. La révision à la baisse des objectifs solaires crée une forte incertitude pour un marché encore fragile, alors même que le solaire devrait être un pilier de la stratégie énergétique française. La nouvelle version du projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) soulève de sérieuses interrogations. Malgré des ambitions affichées, le secteur estime que cette nouvelle version affaiblit les objectifs en matière d’énergies renouvelables et réduit les ambitions à long terme pour le déploiement du solaire. Alors que le Président avait promis 100 GW d’énergie solaire d’ici 2050, les nouveaux objectifs pour 2035 sont bien plus modestes et se limitent à 65–90 GW. Les cibles spécifiques par filière sont diluées au profit d’objectifs plus larges en matière d’énergie « décarbonée », englobant à la fois le nucléaire et les renouvelables. Ce faisant, le gouvernement opère un tournant stratégique, en réduisant l’accent mis sur le photovoltaïque.
Pour les acteurs de la filière, ces signaux contradictoires sont préoccupants. Ils menacent de décourager les investissements, de ralentir l’innovation et de fragiliser la place de la France dans la transition énergétique. À ce titre, il devient essentiel d’accélérer la publication de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, en suspens depuis deux ans. Sans vision claire et stable, les entreprises voient leurs projets fragilisés, ce qui freine le développement de toute la filière. Ces entreprises participent pleinement à la réussite de la transition énergétique nationale. Mais les mesures manquent cruellement de cohérence et nuisent à la visibilité et à la confiance nécessaire pour que les différents acteurs, quelle que soit leur taille, puissent investir.
Malgré une croissance de 15 % en 2024, la France est en retard par rapport à ses voisins européens. Quels sont les principaux obstacles structurels au développement du solaire résidentiel ?
Ces dernières années, le marché résidentiel du solaire en France a progressé plus lentement que chez nos voisins européens, principalement en raison du prix de l’électricité historiquement bas et d’incitations limitées pour les ménages. Ainsi, la base installée en France reste relativement faible. Aujourd’hui, 6 % seulement du marché adressable est équipé de panneaux photovoltaïques, contre 72 % aux Pays-Bas, 45 % en Belgique et 24 % en Allemagne. Cependant, la France a enregistré une certaine croissance en 2024, alors que la plupart de ses voisins européens ont connu un ralentissement.
Vous insistez sur le rôle central de la flexibilité (stockage, pilotage de la demande, tarifs dynamiques). En quoi cette flexibilité est-elle un levier indispensable pour maximiser l’autoconsommation et intégrer davantage de solaire dans le réseau ?
De manière générale, le marché montre des dynamiques encourageantes à travers la montée en puissance de l’autoconsommation, qui n’est plus seulement une tendance mais qui devient le principal moteur du marché solaire résidentiel, plaçant ce modèle au premier plan de la croissance. Dans ce sens, l’enjeu se déplacera de plus en plus vers l’optimisation des systèmes, notamment grâce au stockage et à la flexibilité. Les batteries résidentielles sont particulièrement bien adaptées pour fournir une large gamme de services de flexibilité.
Mais aujourd’hui l’adoption du stockage résidentiel en France reste limitée, en raison de l’absence de subventions dédiées aux batteries, des prix modérés de l’électricité et de l’absence de tarification dynamique. Toutefois, la baisse récente des tarifs de rachat devrait encourager l’équipement en batteries, en réduisant l’intérêt économique d’injecter l’excédent solaire sur le réseau. Ces évolutions renforcent le cas économique du stockage, rendant l’autoconsommation plus attractive, plus rentable et plus nécessaire.
Le marché est donc clairement en mutation. Si certains défis apparaissent à court terme, les fondamentaux de long terme pour le solaire résidentiel, en particulier couplé au stockage, restent solides, à condition que les pouvoirs publics apportent leur soutien.
Quelles mesures concrètes devraient être mises en place par les pouvoirs publics et les collectivités pour soutenir un développement plus rapide et plus stable du solaire résidentiel ?
Pour que le solaire résidentiel devienne un véritable pilier de la transition énergétique en France, il est essentiel d’apporter aux ménages et aux acteurs privés une vision claire, une stabilité réglementaire, des incitations adaptées et un accompagnement renforcé. Plusieurs leviers concrets peuvent y contribuer.
D’abord, la stabilité et la visibilité réglementaire doivent être garanties. La publication rapide et la pérennisation de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) sont indispensables pour restaurer la confiance. Fixer des objectifs précis en matière de déploiement du solaire et de flexibilité énergétique, qu’il s’agisse de stockage, d’autoconsommation ou de pilotage de la demande, enverrait un signal fort au marché.
Ensuite, des incitations financières ciblées peuvent accélérer l’adoption. Le maintien, voire le renforcement des aides à l’investissement est crucial, tout comme l’introduction de subventions spécifiques pour les batteries domestiques. Parallèlement, le développement de mécanismes de financement simples et accessibles permettrait aux ménages de coupler installation solaire et stockage sans barrières financières trop lourdes.
Le déploiement d’infrastructures et de services intégrés constitue également une priorité. Il s’agit de soutenir des solutions clé en main alliant installation, financement et optimisation énergétique et de faciliter la montée en puissance de la flexibilité et des services énergétiques afin de maximiser l’autoconsommation et l’intégration au réseau.
Enfin, l’accompagnement et la sensibilisation des consommateurs comme des professionnels restent décisifs. Une meilleure information sur les bénéfices du solaire résidentiel et la promotion de bonnes pratiques renforceront l’adhésion des ménages. De même, la formation et la qualification des installateurs contribueront à sécuriser la qualité et la fiabilité des projets, un enjeu d’autant plus important alors que la réputation d’installateurs peu fiables a parfois nui au marché français.
Il est beaucoup question d’offres intégrées combinant équipements, financement et optimisation énergétique. Ce type de modèle « clé en main » pourrait-il accélérer l’adoption par les ménages ?
Oui, les offres intégrées « clé en main » peuvent clairement accélérer l’adoption du solaire résidentiel. Dans de nombreux pays européens, on observe déjà un passage des premiers adopteurs vers un marché de masse, dans un contexte où les subventions diminuent. Pour séduire cette nouvelle clientèle, les acteurs du marché doivent proposer bien plus que des équipements : financement, installation, gestion énergétique et même fourniture d’électricité.
L’exemple de plusieurs acteurs européens est parlant. Enpal et Otovo simplifient la logistique pour les ménages en intégrant financement et services directement dans un abonnement, supprimant ainsi les freins liés au choix d’un installateur ou au suivi technique. 1Komma5° mise sur des solutions complètes pour accompagner la transition vers un logement neutre en carbone, en rendant plus accessibles des équipements coûteux comme les batteries ou les pompes à chaleur. De son côté, Octopus Energy combine installation, gestion énergétique et tarifs innovants, avec un accent fort sur le service client et la personnalisation.
Le principe est simple : derrière une organisation complexe, l’expérience client doit rester fluide. Le consommateur ne voit pas la technologie, mais les bénéfices essentiels : économies, stabilité et transparence. C’est précisément cette promesse de simplicité et de confiance qui peut déclencher une adoption massive du solaire résidentiel.
Enfin, si l’on se projette en 2030, quels scénarios d’évolution imaginez-vous pour le solaire résidentiel en France : un marché de niche limité, ou au contraire un pilier majeur de la transition énergétique ?
Tout dépendra de l’orientation donnée par le Gouvernement, qui pourrait, à court terme, ne pas être très encourageante pour le secteur. Compte tenu des développements actuels et des changements réglementaires rapides, nous réévaluons nos prévisions pour les prochaines années et suivons la situation de près. Nous avions anticipé une baisse de 10 % cette année. Pour l’heure, à long terme, le marché résidentiel du solaire en France semble destiné à maintenir une trajectoire relativement stable jusqu’en 2035, soutenu par la hausse des prix de l’électricité et l’intérêt croissant pour l’indépendance énergétique.
Le secteur a avant tout besoin d’une vision stable et cohérente. La combinaison du solaire en toiture, du stockage et de la flexibilité pourrait devenir un atout décisif pour les foyers français et pour la réussite de la transition énergétique.




























