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Yvon Gattaz : la France de tous les possibles

Green Inno­va­tion. Vous signez un nou­v­el ouvrage, La France de tous les pos­si­bles. Pourquoi avez-vous décidé de par­ler aux 66 mil­lions de Français et aus­si, selon vos dires, aux généra­tions futures ?

Pierre Gat­taz. J’ai écrit ce livre pour redonner de l’espoir aux Français et une vision à la France. Et pour en finir avec le cou­plet délétère des défaitistes et autres « déclin­istes » qui ali­mente le pes­simisme des Français et ne résout aucun prob­lème. Je suis con­va­in­cu que c’est en se rassem­blant autour d’une vision ambitieuse, capa­ble d’entraîner tous les citoyens dans une même direc­tion, que notre pays parvien­dra à retrou­ver le chemin de la con­fi­ance et à exploiter les for­mi­da­bles atouts qui ne deman­dent qu’à être développés.

Green Inno­va­tion. Pour vous qui êtes avant tout un entre­pre­neur, la France est dotée d’inestimables atouts. En êtes-vous con­va­in­cu et pour quelles raisons essentielles ?

Pierre Gat­taz. Je voy­age énor­mé­ment, je ren­con­tre dans tous les pays du monde des chefs d’entreprise, des acteurs économiques et poli­tiques de tous bor­ds et tous me dis­ent, en sub­stance, la même chose : ils ne com­pren­nent pas notre pes­simisme et notre frilosité alors que nous dis­posons de véri­ta­bles atouts. Quels sont-ils ? Une vital­ité démo­graphique et une audace créa­trice, des entre­pris­es en prise directe sur le monde de demain, avec un CAC 40 qui regroupe plusieurs numéros un mon­di­aux et des start-up en grand nom­bre qui se dis­tinguent chaque année au CES (Con­sumer Elec­tron­ic Show) de Las Vegas, un pat­ri­moine cul­turel et un savoir-vivre iné­galés… Tout le monde en con­vient, tout le monde nous envie et nous restons incroy­able­ment pes­simistes ! Partout, je con­state que la France béné­fi­cie d’une image extrême­ment pos­i­tive, la French Tech, la French Touch et le French Design sont enviés ; nos savoir-faire plurisécu­laires sont plébisc­ités. Ce sont des atouts d’autant plus pré­cieux que beau­coup de pays dynamiques – comme la Chine, d’où je reviens – ont pris con­science des tra­vers et des lim­ites d’une con­som­ma­tion à out­rance. Pour eux, la France est syn­onyme de qual­ité, de sécu­rité, d’esthétique. Nous sommes vecteurs de pro­duits qui ont du sens. Et c’est juste­ment ce que recherchent les Chi­nois actuelle­ment. Mais à force de pra­ti­quer l’autodénigrement, nous avons oublié qu’une par­tie du monde nous regarde avec estime et même par­fois une cer­taine admiration.

Green Inno­va­tion. Vous évo­quez un plaidoy­er pour une France opti­miste et ent­hou­si­aste… avec un nou­veau rêve. Quels seraient les con­tours de ce rêve ?

Pierre Gat­taz. Le rêve français a longtemps été le moteur de notre pays. C’était la pos­si­bil­ité, offerte à tous, de s’élever dans la hiérar­chie sociale et de con­tribuer au pro­grès général du pays. C’est sur ce socle de valeurs que s’est con­stru­ite notre République. Aujourd’hui, l’ascenseur social est en panne, ce qui a un impact négatif sur la crois­sance et la cohé­sion nationale. C’est pourquoi il est urgent de redéfinir un nou­veau rêve français. Les grandes muta­tions mon­di­ales – inten­si­fi­ca­tion des échanges inter­na­tionaux, révo­lu­tion numérique, tran­si­tion énergé­tique, pro­grès expo­nen­tiels de la sci­ence – sont des oppor­tu­nités for­mi­da­bles et des défis que nous avons la capac­ité de relever. À con­di­tion de don­ner à cha­cun la for­ma­tion adéquate et les moyens de mon­ter dans l’ascenseur social, quelles que soient ses orig­ines, sa cul­ture, son lieu d’habitation, la pro­fes­sion de ses par­ents. Pour cela, il faut chang­er de mod­èle et de men­tal­ité et cess­er de con­sid­ér­er le diplôme comme le signe exclusif de la réus­site et le sésame indis­pens­able pour entr­er dans la vie pro­fes­sion­nelle. Le sys­tème sco­laire doit davan­tage encour­ager et val­oris­er d’autres formes de réus­site, comme l’alternance par exem­ple. Le but doit être de don­ner aux jeunes (et aux moins jeunes) les moyens de s’adapter à un monde en per­pétuelle évo­lu­tion. Cela n’est pas un rêve, c’est pos­si­ble à con­di­tion de le vouloir et de s’en don­ner les moyens.

Green Inno­va­tion. Vous pré­conisez de réc­on­cili­er les Français avec les résul­tats et la richesse. Quelle est votre posi­tion sur l’économie verte ?

Pierre Gat­taz. Il n’y a pas de con­tra­dic­tion. Les Français, con­traire­ment aux idées reçues, ne jalousent pas la richesse. En revanche, ce qu’ils ne sup­por­t­ent plus, c’est le manque d’opportunités de réus­site économique et sociale et donc la pos­si­bil­ité de devenir riche. Or l’économie verte est juste­ment un véri­ta­ble levi­er de crois­sance et de créa­tion d’emplois tout en garan­tis­sant la pro­tec­tion de la planète : d’ici à 2020, la fil­ière du développe­ment durable devrait créer 220 000 emplois. Nous sommes, ne l’oublions pas, leader dans les solu­tions bas car­bone et les fil­ières de l’environnement, de la bio­di­ver­sité. Autant d’opportunités qui sont à notre portée et que nous pou­vons dévelop­per. À con­di­tion toute­fois d’ouvrir un débat sur le principe de pré­cau­tion et son appli­ca­tion dog­ma­tique et jusqu’au-boutiste. Enten­dons-nous bien, nous sommes par­faite­ment con­scients de la néces­sité de lim­iter l’empreinte des activ­ités humaines sur l’environnement et de notre respon­s­abil­ité vis-à-vis des généra­tions futures. Le vrai prob­lème est d’avoir trans­for­mé le principe de pré­cau­tion en « principe d’inaction », car il tue dans l’œuf toute démarche d’innovation. Toute recherche com­porte des risques. C’est inhérent à tout pro­jet inno­vant. Mais nous sommes capa­bles de les éval­uer. Le méti­er de chef d’entreprise est lui-même un méti­er à risques : faut-il empêch­er les chefs d’entreprise d’entreprendre ?

Green Inno­va­tion. La révo­lu­tion numérique est-elle selon vous un vecteur essen­tiel de crois­sance à court, moyen et long terme ? Avec ou sans tran­si­tion énergétique…

Pierre Gat­taz. Oui, bien sûr. En 2014, le numérique a rap­porté 113 mil­liards d’euros au PIB français, soit 5 %. D’ici à 2020, la con­tri­bu­tion du numérique à la richesse française devrait attein­dre 7 % alors qu’aujourd’hui déjà près de 1,5 mil­lion d’emplois sont directe­ment ou indi­recte­ment liés au dig­i­tal en France. Il y a 4 000 start-up à Paris et 8 000 en ban­lieue, ce qui place notre cap­i­tale devant Lon­dres et Berlin, pour­tant con­sid­érées comme des eldo­ra­dos en matière de nou­velles tech­nolo­gies. La France a de nom­breux atouts pour pren­dre toute sa place dans l’écosystème numérique. La French Tech est une référence dans le monde entier comme le mon­tre le nom­bre crois­sant d’ingénieurs, de physi­ciens et de développeurs français employés dans la Sil­i­con Val­ley : notre cul­ture tech­nique et nos com­pé­tences math­é­ma­tiques sont très appré­ciées et recher­chées par les géants du Web. Par ailleurs les entre­pris­es « tra­di­tion­nelles » doivent s’approprier le numérique et nous nous mobil­isons pour cela. La trans­for­ma­tion numérique n’est pas une option, c’est une néces­sité, c’est l’une de nos priorités.

Green Inno­va­tion. Vous aimez l’entreprise et, pour vous, il est néces­saire de libér­er les pos­si­bles… Est-ce réal­is­able dans tous les secteurs ?

Pierre Gat­taz. Alors que l’innovation est un mar­queur de l’ADN tri­col­ore, toute notre his­toire le prou­ve, nous n’avons pas con­science de ce poten­tiel extra­or­di­naire qui doit nous per­me­t­tre de rem­porter la bataille de la com­péti­tiv­ité, mon­ter en gamme et répon­dre aux exi­gences de plus en plus affir­mées des pop­u­la­tions. Nous avons du mal à con­ver­tir ce poten­tiel créatif en levi­er durable de crois­sance et en force de frappe à l’exportation. Nos PME sont dynamiques et inno­vantes, mais elles ont du mal à se dévelop­per hors de nos fron­tières. Si notre pays acti­vait les bons leviers, nous pour­rions favoris­er l’éclosion de cham­pi­ons mon­di­aux des nou­velles tech­nolo­gies. Le prob­lème vient du fait que nous ne sommes pas assez en phase avec les stan­dards de la nou­velle économie qui demande sou­p­lesse, réac­tiv­ité, agilité… et que les entre­pris­es français­es con­tin­u­ent de sup­port­er des prélève­ments oblig­a­toires qui obèrent leurs marges et les empêchent d’investir pour innover. Il est impératif d’agir sur notre envi­ron­nement fis­cal, social et régle­men­taire. Pour innover, les entre­pris­es ont besoin d’une fis­cal­ité com­péti­tive et sta­ble, d’une sécu­rité juridique et d’une régle­men­ta­tion sou­ple et surtout plus légère. En ce sens, si le crédit d’impôt « recherche » est un véri­ta­ble avan­tage com­para­tif plébisc­ité par les investis­seurs étrangers, il est con­stam­ment remis en cause. De même, le CICE (crédit d’impôt pour la com­péti­tiv­ité et l’emploi), qui con­cen­tre les allége­ments de charges sur les bas salaires, est insuff­isant, car l’innovation néces­site un per­son­nel qual­i­fié. Enfin, il faut sim­pli­fi­er la com­plex­ité, qui est une trappe à immo­bil­isme ! En un mot, il s’agit de redonner con­fi­ance aux entre­pre­neurs. C’est la seule façon de stim­uler la crois­sance et l’internationalisation des entreprises.

Green Inno­va­tion. La valeur tra­vail doit, selon vous, être réen­chan­tée pour une économie humaine et performante…

Pierre Gat­taz. Nous en sommes con­va­in­cus, il n’y a pas de per­for­mance économique durable sans épanouisse­ment humain. Avec le développe­ment de l’économie numérique et l’apparition d’un cap­i­tal­isme cog­ni­tif aus­si déter­mi­nant que le cap­i­tal­isme financier, nous sommes aujourd’hui à un moment charnière de l’histoire du man­age­ment. Il est urgent de (re)mettre l’Homme au cœur de l’entreprise. Toutes les études le démon­trent : un salarié heureux est trois fois plus créatif et trois fois plus pro­duc­tif qu’un salarié mal dans sa peau. Au-delà, l’ambition plus glob­ale qui doit nous ani­mer, c’est de miser sur le sens en con­stru­isant une économie humaine et per­for­mante où chaque citoyen aura accès à un méti­er, au bien-être et à l’aisance.

Green Inno­va­tion. Quels sont vos prochains pro­jets pour les deux années à venir ?

Pierre Gat­taz. J’entends con­tin­uer ma mis­sion qui est de créer un envi­ron­nement favor­able aux entre­pris­es afin qu’elles puis­sent se dévelop­per. Quand je par­le d’entreprises, je par­le de com­mu­nautés humaines d’hommes et de femmes. Lorsque l’économie croît durable­ment, on entre dans un cer­cle vertueux avec des entre­pris­es qui se dévelop­pent et créent de l’emploi, des femmes et des hommes épanouis, des clients heureux et des action­naires sat­is­faits qui ont envie d’investir. C’est ce cer­cle vertueux que je souhaite généralis­er à toutes les entre­pris­es.                       

Pro­pos recueil­lis par
Marie Cornet-Ashby

À propos de l'auteur

Pierre Gattaz

Président du MEDEF

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