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Dessalement de la mer : un enjeu stratégique face au manque d’eau ?

La demande crois­sante en eau dans le monde aug­mente les risques de sur­ex­ploita­tion et de con­t­a­m­i­na­tion des sources hydrauliques naturelles de sur­face et souter­raines. Face à cette insécu­rité gran­dis­sante, cer­tains pays n’ont d’autre option que de se tourn­er vers de nou­velles sources non naturelles. Dans ce con­texte, le dessale­ment d’eau de mer représente une solu­tion de plus en plus acces­si­ble face à la pénurie d’eau et au stress hydro-poli­tique. Par­al­lèle­ment, l’utilisation crois­sante de la tech­nolo­gie pose de nou­veaux défis.

L’eau douce, en tant que ressource indis­pens­able, notam­ment à des fins domes­tiques, agri­coles et indus­trielles, joue un rôle cru­cial dans la crois­sance économique et le développe­ment des États. Avec l’augmentation de la pop­u­la­tion, la demande en eau à usage domes­tique s’intensifie. Une pop­u­la­tion en crois­sance con­stante implique égale­ment plus de biens ali­men­taires à pro­duire, avec une demande gran­dis­sante dans l’agriculture et les sys­tèmes d’irrigation. Dans les régions déjà touchées par une pénurie d’eau, le change­ment cli­ma­tique devrait avoir un impact con­sid­érable, exac­er­bant encore la pres­sion sur les ressources hydrauliques. L’eau est plus que jamais une com­posante inévitable dans le cal­cul sécu­ri­taire des États.

Le dessale­ment de l’eau de mer représente une solu­tion de plus en plus acces­si­ble pour atténuer la pénurie d’eau et le stress hydro-poli­tique. Bien que le dessale­ment à grande échelle reste encore bien sou­vent le priv­ilège des pays à haut revenu, un nom­bre crois­sant d’États l’utilisent à moin­dre échelle plus ou moins inten­sé­ment. Selon l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE), d’ici à 2040, le dessale­ment devrait être 13 fois plus dévelop­pé dans les pays du Moyen-Ori­ent et d’Afrique du Nord qu’en 2014 afin de répon­dre à la demande crois­sante en eau (1). Grâce à la tech­nolo­gie, l’approvisionnement en eau ne dépend plus unique­ment des sources d’eau douce naturelles. De plus, les incer­ti­tudes sont réduites en matière de quan­tité et de qual­ité de l’eau. En con­séquence, cer­tains États, comme Israël, l’Arabie saou­dite, l’Australie, les Émi­rats arabes unis, l’Espagne et l’Algérie, ont dévelop­pé un pro­gramme de dessale­ment à grande échelle. Les ressources hydrauliques n’étant plus lim­itées, les acteurs béné­fi­cient d’une plus grande flex­i­bil­ité dans la ges­tion de celles-ci.

Une tech­nolo­gie plurielle

Il existe actuelle­ment deux tech­niques prin­ci­pales de dessale­ment de l’eau qui sont com­mer­ciale­ment viables. D’une part, les tech­nolo­gies de dessale­ment ther­mique utilisent la chaleur pour vapor­is­er l’eau douce. D’autre part, les tech­nolo­gies mem­branaires (ou de fil­trage) sépar­ent l’eau douce de l’eau de mer ou de l’eau saumâtre (2) à tra­vers une mem­brane. Aujourd’hui, les procédés de dessale­ment les plus répan­dus dans le monde sont prin­ci­pale­ment basés sur l’osmose inverse (60,0 %) – une tech­nolo­gie mem­branaire – et les tech­niques Mul­ti Stage Flash (26,8 %) – une tech­nolo­gie ther­mique (3). La fais­abil­ité de chaque procédé dépend de con­di­tions spé­ci­fiques telles que la qual­ité ou le type d’eau, le prix de l’énergie et les ressources tech­niques du pays ou de la région où l’usine est construite.

La plu­part des tech­niques de dessale­ment sont ali­men­tées au pét­role ou au gaz naturel, entraî­nant des coûts énergé­tiques élevés. Bien que la con­som­ma­tion d’énergie de la tech­nique d’osmose inverse soit inférieure à celle des tech­niques ther­miques, la con­struc­tion d’usines de dessale­ment d’osmose inverse néces­site des investisse­ments financiers ini­ti­aux impor­tants. Par con­séquent, le dessale­ment à grande échelle est encore essen­tielle­ment assuré par les pays à haut revenu qui sont en mesure de pren­dre en charge les coûts de ces instal­la­tions. Néan­moins, de petites usines de dessale­ment, par­fois à un niveau très local, sont mis­es en place et util­isées pour fournir de l’eau à quelques ménages ou com­mu­nautés dans les pays à faible ou moyen revenu. Par exem­ple, une grande par­tie des usines de dessale­ment de la région des Caraïbes utilisent le proces­sus d’osmose inverse (4). Des instal­la­tions de dessale­ment à moyenne échelle sont égale­ment implan­tées au niveau région­al ou munic­i­pal dans des pays tels que la Jor­danie ou l’Égypte.

De nom­breux challenges

Le dessale­ment est con­fron­té à plusieurs défis, notam­ment financiers et envi­ron­nemen­taux, qui sont sus­cep­ti­bles d’augmenter en nom­bre et en diver­sité au fur et à mesure que la tech­nolo­gie se généralise. La nature de ces défis peut vari­er selon le pays, le con­texte région­al et les car­ac­téris­tiques de l’eau d’alimentation. Trois élé­ments dif­férents font vari­er le coût de l’eau dessalée : le type d’eau d’alimentation (eau de mer ou eau saumâtre), la source d’énergie et la taille de l’usine. Des trois, le coût de la source d’énergie a la plus grande influ­ence sur le coût du proces­sus. Par con­séquent, la fais­abil­ité économique de la con­struc­tion d’une usine de dessale­ment dépend en grande par­tie de la disponi­bil­ité énergé­tique locale ou du coût de l’énergie.

Par ailleurs, mal­gré le besoin urgent de solu­tions alter­na­tives aux sources d’eau naturelles, la forte con­som­ma­tion d’énergie de la tech­nolo­gie, les émis­sions de CO2 et la ques­tion du rejet des déchets liq­uides (la saumure) poussent cer­tains experts à met­tre en garde con­tre le dessale­ment. Bien que le dessale­ment par osmose inverse soit présen­té par ses défenseurs comme moins éner­gi­vore et moins coû­teux que le dessale­ment ther­mique, l’augmentation de la capac­ité de dessale­ment mon­di­ale néces­site la mise en place de solu­tions durables en matière de recy­clage et d’élimination de la saumure afin de lim­iter la dégra­da­tion de l’environnement.

Dessale­ment et énergie renouvelable

Jusqu’à récem­ment, la plu­part des usines de dessale­ment se situ­aient là où les sources d’énergie fos­sile étaient disponibles en quan­tité sig­ni­fica­tive et à un prix très bas, avec seule­ment 1 % du dessale­ment mon­di­al ali­men­té par des sources d’énergie renou­ve­lable. Néan­moins, ces dernières, telles que l’énergie solaire pho­to­voltaïque ou l’énergie éoli­enne, devi­en­nent une alter­na­tive de plus en plus attrayante pour les pays impor­ta­teurs d’énergie tels que l’Inde ou la Chine, où la demande de dessale­ment est en hausse. La mise en œuvre de ces dif­férentes tech­nolo­gies dépend bien évidem­ment des sources d’énergie disponibles locale­ment. Par exem­ple, les régions arides et semi-arides pos­sè­dent de larges sources d’énergie solaire tan­dis que les com­mu­nautés côtières et insu­laires béné­fi­cient d’importantes sources d’énergie éoli­enne. De plus, l’utilisation de ces sources d’énergie alter­na­tives rend le proces­sus de dessale­ment plus com­péti­tif et plus respectueux de l’environnement.

Au Moyen-Ori­ent et en Afrique du Nord, une région car­ac­térisée par une forte iné­gal­ité en matière d’accès aux sources d’hydrocarbures, cer­tains pays, en par­ti­c­uli­er les pays du Golfe, peu­vent compter sur ces sources fos­siles pour ali­menter des usines de dessale­ment à grande échelle (5). Or, la région béné­fi­cie égale­ment d’une forte expo­si­tion au soleil et de larges espaces déser­tiques, trans­for­mant celle-ci en un lieu appro­prié pour les usines de dessale­ment à énergie solaire où la poten­tial­ité par kilo­mètre car­ré équiv­aut à l’énergie pro­duite par 1 à 2 mil­lions de bar­ils de pét­role (6). Jusqu’à présent, cette alter­na­tive aux éner­gies fos­siles reste coû­teuse, même si des pro­grès tech­nologiques sont réal­isés afin d’en réduire les coûts. De nos jours, l’Arabie saou­dite, l’Inde, le Brésil, Chypre, l’Égypte, la Jor­danie, la Turquie et d’autres pays met­tent en place des usines de dessale­ment ali­men­tées par des éner­gies renou­ve­lables. Mal­gré le recours crois­sant à ces sources d’énergies alter­na­tives, leur util­i­sa­tion implique de nom­breux prob­lèmes tech­niques, économiques et organ­i­sa­tion­nels qui empêchent actuelle­ment de créer un appro­vi­sion­nement énergé­tique con­stant. De larges sources à faible coût et des tech­nolo­gies de stock­age per­for­mantes sont néces­saires pour atténuer la nature vari­able des éner­gies renouvelables.

L’eau dessalée, un enjeu stratégique nation­al et régional 

Le dessale­ment d’eau de mer à grande échelle peut poten­tielle­ment mod­i­fi­er l’approvisionnement en eau de cer­taines régions côtières. En créant de nou­velles sources d’eau douce, il peut avoir un impact posi­tif au niveau économique, poli­tique et social d’un État. Néan­moins, sur le plan envi­ron­nemen­tal et au niveau de la coopéra­tion régionale ou inter­na­tionale, cela demande des recherch­es sup­plé­men­taires. Alors que les acteurs engagés dans le domaine de la ges­tion de l’eau s’accordent à dire qu’il faut ren­dre la tech­nolo­gie plus acces­si­ble, il est évi­dent que ces tech­nolo­gies ne rem­pla­cent pas la volon­té poli­tique, con­di­tion sine qua non pour la mise en place de solu­tions de ges­tion hydraulique durables qui, dévelop­pées de manière appro­priée, peu­vent con­tribuer à ren­forcer la sécu­rité hydraulique des États.

Dans un con­texte de ten­sions hydrauliques trans­frontal­ières, le dessale­ment pour­rait égale­ment chang­er la donne dans les années à venir. En réduisant le stress hydro-poli­tique, il pour­rait pro­mou­voir une coopéra­tion interé­ta­tique accrue. Mais en réduisant l’interdépendance entre les acteurs, une plus grande flex­i­bil­ité au niveau de l’approvisionnement en eau pour­rait au con­traire dimin­uer l’incitation à con­clure des accords de ges­tion con­jointe des ressources naturelles trans­frontal­ières. Les acteurs con­cernés pour­raient ne pas coopér­er et agir uni­latérale­ment sur la part qu’ils con­sid­èrent comme leur. Ain­si, mal­gré cer­taines bar­rières économiques et envi­ron­nemen­tales au dessale­ment à grande échelle, la tech­nolo­gie pour­rait mod­i­fi­er le pou­voir poli­tique inhérent aux acteurs riverains en amont et réor­gan­is­er les fonde­ments géopoli­tiques de l’eau.

Notes

(1) AEI, « Mak­ing fresh­wa­ter from the sun », 30 jan­vi­er 2017.

(2) L’eau saumâtre – eau de lagune, d’étendues d’eau nées de la rup­ture d’une digue mar­itime… – a une teneur en sel sen­si­ble­ment inférieure à l’eau de mer (moins de 10 grammes par litre pour la pre­mière, con­tre 35 g/l en moyenne pour la sec­onde), mais supérieure à l’eau douce, dont la salin­ité faible per­met la con­som­ma­tion. [NdlR]

(3) IRENA, IEA-ETSAP, « Water desali­na­tion using renew­able ener­gy », Tech­nol­o­gy Brief I12, mars 2012.

(4) Caribbean Envi­ron­men­tal Health Insti­tute (CEHI), The Use of Desali­na­tion Plants in the Caribbean, Phi-VI/­Doc­u­men­to Téc­ni­co n° 5, Organ­i­sa­tion des Nations Unies pour l’éducation, la sci­ence et la cul­ture (UNESCO), Mon­te­v­ideo, 2006.

(5) Green­lee et al., « Reverse osmo­sis desali­na­tion : Water sources, tech­nol­o­gy, and today’s chal­lenges », Water Research 43 (2009) 2317–2348, mai 2009.

(6) La Banque mon­di­ale, « Renew­able Ener­gy Desali­na­tion : An Emerg­ing Solu­tion to close the Water Gap in the Mid­dle East and North Africa », MENA Devel­op­ment Report, 2012.

(Arti­cle pub­lié dans Les Grands Dossiers de Diplo­matie n° 46 (Mers et océans. Géopoli­tique & géos­tratégie), Areion Group, août-sep­tem­bre 2018)

Pho­to ci-dessus : Usine de dessale­ment à Ham­bourg, en Alle­magne. (© Shutterstock/Andrea Izzotti)

À propos de l'auteur

Maureen  Walschot

Assistante en relations internationales à l’Université catholique de Louvain (UCL).

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