Mathieu Gardies, fondateur et président de Hype, la première plate-forme de mobilité hydrogène intégrant production, distribution et usages, avec le taxi pour premier marché, répond aux questions de Green Innovation. Il revient sur le positionnement singulier de son entreprise au sein de l’écosystème hydrogène français.
Smart Mobility. Mathieu Gardies, qui êtes-vous et quelle est l’histoire de Hype ?
Mathieu Gardies. Je suis un père de quatre enfants qui, comme beaucoup de Parisiens, a constaté chez eux l’apparition de troubles respiratoires directement liés à la pollution de l’air en milieu urbain. Ingénieur de formation, j’ai cherché à apporter une solution concrète pour réduire rapidement les émissions générées par les flottes professionnelles incontournables, en commençant par les taxis. En 2009, je me suis lancé. Après plusieurs essais avec des véhicules électriques à batterie, j’ai pivoté en 2014 vers l’hydrogène, solution offrant de nombreux avantages, notamment pour la mobilité intensive et aléatoire, comme le taxi.
En 2015, j’ai lancé Hype à Paris, à l’occasion de la COP21, avec cinq premiers taxis à hydrogène, alimentés par une première station située pont de l’Alma. Aujourd’hui, nous opérons toujours la plus grande flotte de taxis à hydrogène au monde. Nous offrons ce service aux clients et aux chauffeurs, aux mêmes coûts qu’un service de taxi thermique (traditionnel ou hybride). En parallèle, nous travaillons au déploiement rapide de notre plate-forme intégrée de mobilité hydrogène, en France et à l’international.
Qu’entendez-vous exactement par plate-forme intégrée de mobilité hydrogène ?
À ce stade de maturité de la filière, le point clé de la réussite des projets de mobilité hydrogène est, d’une part, l’identification de situations de marché pertinentes et, d’autre part, la concomitance entre le déploiement de l’infrastructure et celui des usages. Pour pouvoir démarrer et se développer en avant-garde, Hype a fait le choix, dès sa création, d’intégrer l’ensemble de la chaîne de valeur au sein de son écosystème : en produisant localement de l’hydrogène vert, en le distribuant via son réseau à tous les types d’utilisateurs et en développant simultanément les usages, en commençant par le taxi, qui constitue un levier particulièrement pertinent pour accélérer le passage à l’échelle de la mobilité hydrogène.
Concernant le volet infrastructures de votre plate-forme, quelle est la stratégie de Hype ?
La stratégie de Hype est de développer son propre réseau de production et de distribution d’hydrogène vert, en raisonnant directement en réseau à l’échelle régionale et non station par station, en déployant ses infrastructures par séries afin d’industrialiser ses capacités de développement, tout en s’appuyant sur des partenaires de premier plan avec des intérêts alignés, tels que HRS et McPhy, deux leaders de la filière hydrogène française.
Quels sont vos objectifs à court terme ?
L’objectif de Hype en Île-de-France à très court terme est de mettre en service une nouvelle série de sept stations, d’ici à fin 2022-début 2023, de commencer à intégrer de nouveaux usages au sein de l’écosystème (logistique du dernier kilomètre, bus, bennes à ordures, etc.) dans le cadre de notre projet Last Mile by Hype, en plus du développement des taxis qui va s’accélérer fortement. À moyen terme, d’ici à la fin de l’année 2024, Hype entend déployer en Île-de-France au moins 26 stations (dont 20 de grande capacité, 1 t/jour chacune) capables de servir notamment 10 000 taxis, et implanter sa plate-forme dans 15 autres régions en France et à l’international, dont les cinq premières seront annoncées à la fin de l’année, avec pour objectif d’atteindre un réseau total d’au moins 100 stations Hype à cette échéance.
Quelle est votre ambition, à travers le projet Hype ?
En s’appuyant sur l’expérience acquise, sa vitesse d’exécution et son modèle « scalable », l’engagement de Hype depuis sa création est double : il est, d’une part, de faciliter la transition rapide et massive du transport à la demande et des autres mobilités professionnelles vers le zéro émission et, d’autre part, de jouer un rôle de catalyseur de la filière, en nouant des partenariats industriels permettant le codéveloppement de nouveaux projets et l’émergence des technologies de demain.
Les véhicules électriques à hydrogène représentent-ils une solution plus pertinente que les véhicules électriques à batterie ?
Les véhicules électriques à batterie et à hydrogène apportent des solutions complémentaires, et le client doit pouvoir choisir. L’une pourra être privilégiée par rapport à l’autre en fonction de l’usage, du contexte géographique et de l’infrastructure énergétique locale. Cependant, les deux solutions ne posent pas les mêmes défis lorsque l’on passe à l’échelle. La particularité de la mobilité hydrogène est qu’elle offre une capacité d’accélération significative. En effet, avec l’hydrogène, plus les volumes augmentent, plus cette solution s’avère compétitive et facile à déployer. Avec les véhicules électriques à batterie, c’est le contraire : plus les volumes augmentent, plus cela devient difficile et l’hydrogène amène alors des solutions ; il faut dès maintenant réfléchir et passer à un déploiement coordonné des deux types de réseaux.
Les experts ne sont pas alignés sur le rôle que peut jouer l’hydrogène dans la transition énergétique, notamment dans le domaine de la mobilité, quel est votre avis ?
L’hydrogène est une solution qui, couplée à d’autres, permettra de réussir la transition énergétique. L’hydrogène résout des problématiques de cas d’usage et de modèle économique, il permet de stocker de l’énergie et répond à des enjeux de souveraineté énergétique et industrielle. Dans le domaine de la mobilité, l’hydrogène représente une vraie solution pour décarboner massivement les transports lourds notamment, mais est aussi pertinent dès maintenant sur une partie des transports légers, par exemple dans certains cas pour les taxis ou la logistique du dernier kilomètre. Et, de la même manière que le passage à l’échelle des deux types d’infrastructures doit être pensé et exécuté de façon coordonnée, je suis convaincu que bientôt les véhicules seront « hydrides », 100 % électriques mais avec une batterie rechargeable de taille raisonnable et un dispositif pile à combustible (hydrogène). Nous travaillons avec les constructeurs et équipementiers pour accélérer l’émergence de ce type de plate-forme.
La hausse des prix de l’électricité, et de l’énergie en général, nous impose collectivement de relever de nouveaux défis.
Chez Hype, le maître mot est le pragmatisme, c’est pour cela que nous n’excluons aucune option. Hype collabore ainsi avec des producteurs d’énergies renouvelables pour sécuriser son approvisionnement en électricité verte, soit via des contrats de PPA, soit via la colocalisation d’électrolyseurs sur des sites éoliens ou photovoltaïques. Hype travaille également avec ses partenaires afin de faire émerger d’autres types de production d’hydrogène vert, notamment via la thermolyse.
Les nouveaux défis d’aujourd’hui doivent servir d’accélérateur. La France a les moyens de devenir un leader de l’hydrogène : elle maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur, ses capacités d’innovation sont reconnues et de nombreux projets se développent sur tout le territoire national et en Europe.