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« La hausse du prix du gaz peut être un déclic pour développer la production d’hydrogène vert »

© Renaud Menoud

Hydrogen+. Où en est le déploiement de l’hydrogène « vert » en France ?

Jan-Erik Starlander. La production et l’utilisation d’hydrogène bas carbone et renouvelable sont encore à des niveaux très faibles aujourd’hui, que ce soit en France ou ailleurs dans le monde. En France, la production d’hydrogène bas carbone est de l’ordre de 100 000 tonnes, essentiellement à base de vaporeformage de gaz naturel avec captation et réutilisation industrielle du CO2, auxquelles s’ajoutent environ 50 000 tonnes d’hydrogène coproduit, c’est-à-dire issu d’une autre production (industrie du chlore notamment), et qui peuvent être valorisées. Les volumes d’hydrogène bas carbone et renouvelables produits par électrolyse de l’eau sont encore très faibles. Là aussi, il est difficile d’évaluer précisément le volume de production. Il y a aujourd’hui environ 10 MW de capacité de production d’hydrogène par électrolyse, qui permettent la production d’environ 1 200 tonnes d’hydrogène électrolytique bas carbone ou renouvelable.

Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en 2050, l’hydrogène pourrait couvrir 14 à 20 % de la consommation finale d’énergie. Cela conforte notre vision consistant à dire qu’à lui seul l’hydrogène ne fera pas la transition énergétique, mais que la transition énergétique ne se fera pas sans l’hydrogène.

En 2021, dans notre livre blanc sur la trajectoire du déploiement de l’hydrogène à 2030, nous avions défini deux scénarios : « Ambition » qui vise à atteindre l’objectif de 6,5 GW de capacité de production par électrolyse, avec une production de 680 000 tonnes d’hydrogène renouvelable ou bas carbone ; « Ambition+ » qui prévoit, avec 10 GW de capacité de production, de produire 1 million de tonnes d’hydrogène renouvelable ou bas carbone, afin de se conformer aux propositions d’obligations européennes d’utilisation d’hydrogène renouvelable contenues dans le paquet législatif « Fit for 55 ». Cela implique une production d’électricité bas carbone et renouvelable importante dans un contexte de demande croissante d’électricité. Ce développement, tout à fait envisageable, s’adosserait notamment à des déploiements dans de grands bassins centrés autour de pôles urbains et industrialo-portuaires, qui peuvent générer des quantités importantes de consommation d’hydrogène, et donc de production massive centralisée à moyen terme. Mais nous misons également en complément sur une multitude de projets territoriaux, avec un modèle plus décentralisé de production/consommation.

Quelles sont les actions mises en œuvre par France Hydrogène pour favoriser l’émergence de ces projets territoriaux ?

France Hydrogène s’est dotée en 2021 de délégations régionales dont les représentants travaillent en concertation avec les conseils régionaux pour favoriser l’émergence des projets de déploiement. À la demande du Conseil national de l’hydrogène, nous poursuivons aussi nos travaux de recensement des projets et des potentiels sur le territoire de façon fine. Nous allons dévoiler en décembre une étude portant sur cette maille régionale, avec plus de 200 projets identifiés et des objectifs à 2030 région par région. L’identification des potentiels sera aussi accompagnée de recommandations d’actions.

Le déploiement de la production d’hydrogène bas carbone et renouvelable dépend notamment des capacités de production d’électricité. Nous étudions aussi le potentiel de production par thermolyse de biomasse, et nous regrettons que ce soit un angle mort de la stratégie nationale. L’objectif de l’étude est de permettre une fluidité dans le déploiement, et de s’assurer qu’il n’y ait pas de blocage lié aux ressources nécessaires à la production ou sur les usages. Il ressort de notre étude que l’on peut atteindre les 6,5 GW de capacité de production par électrolyse, et même bien plus.

Quel regard avez-vous sur la mobilité hydrogène des véhicules légers/du transport lourd ?

Pour nous, la mobilité peut se déployer sur le transport lourd bien sûr, mais aussi sur les véhicules légers et notamment les utilitaires. La mobilité est très importante pour la filière et l’hydrogène doit contribuer à réindustrialiser la France. L’État devrait soutenir davantage l’achat et la location de véhicules utilitaires, Renault (via Hyvia, sa joint-venture avec Plug Power) et Stellantis ayant développé toute une gamme de véhicules utilitaires à hydrogène.

Du côté de la distribution, la filière propose la mise en service de 1 000 stations (scénario « Ambition ») ou de 1 700 stations (notre scénario « Ambition+ ») à 2030, mais, sur le terrain, on en est encore loin, avec environ 250 projets de stations identifiés. En plus de disposer d’un maillage suffisant de stations, il faut que le prix du carburant soit compétitif et que les véhicules puissent être produits en grandes séries pour faire baisser leur prix. Il va falloir vraiment passer à la vitesse supérieure en matière de mobilité et de distribution. L’accompagnement et le soutien des usages doit être une priorité.

L’envolée du prix de l’électricité a‑t-elle une incidence sur le déploiement ?

Le prix de l’électricité a un impact fort sur le coût de l’hydrogène, le coût de l’électricité représentant environ 70 % du prix de l’hydrogène électrolytique. Comme pour l’ensemble de l’industrie et de l’économie, il est donc indispensable que l’État et l’Europe trouvent des solutions pour que le prix de l’électricité revienne à des niveaux acceptables, décorrélés du prix du gaz naturel. La forte hausse de ce dernier peut quant à lui avoir un impact positif pour l’hydrogène bas carbone et renouvelable, en renchérissant le prix de l’hydrogène gris produit à partir du vaporeformage du gaz naturel. La forte hausse du prix du gaz naturel peut aussi agir comme un déclic pour les acteurs industriels, qui peuvent sur certains process envisager de substituer de l’hydrogène bas carbone à du gaz naturel. Le fait de garantir l’approvisionnement en électricité renouvelable pour la production d’hydrogène à travers des contrats d’achat d’énergie renouvelable (power purchase agreement – PPA), peut permettre de garantir un prix stable de son électricité.

Par ailleurs, des modèles locaux peuvent aussi se développer, comme celui du bâtiment de bureaux Delta Green à Nantes qui possède un système de production d’électricité photovoltaïque couplé à un électrolyseur et une pile à combustible hydrogène, pour faire de l’effacement lors des pics de consommation (peak shaving) et de la production d’énergie différée. Ce modèle, mis en place par conviction par les propriétaires du bâtiment, n’était pas spécialement rentable avant la crise actuelle, mais il est aujourd’hui un atout permettant des dépenses énergétiques moindres.

Les réglementations sont-elles à la hauteur des enjeux ?

Pour ce qui est de la législation, un cadre incitatif se met en place en France. Nous attendons avec impatience un dispositif d’aide à la production massive d’hydrogène, qui portera à la fois sur les CAPEX et les OPEX, que l’État a annoncé pour la fin de l’année. Mais si plus de 9 milliards d’euros de soutien à la filière ont été annoncés par l’État, la filière souhaite que l’ADEME maintienne son soutien aux écosystèmes territoriaux. Ces écosystèmes territoriaux de taille plus modeste restent nécessaires et complémentaires des projets de production massive qui prendront encore plusieurs années pour se multiplier.

Du côté de l’Union européenne, le projet important d’intérêt européen commun (PIIEC – IPCEI en anglais) est un bon mécanisme. Avec dix projets français sur 41 sélectionnés, la France démontre qu’elle a une chaîne de valeur performante. Nous souhaiterions que l’UE reconnaisse pleinement et soutienne l’hydrogène bas carbone électrolytique produit à partir d’électricité nucléaire, en complément de l’hydrogène produit à partir d’énergies renouvelables. Il faut également que les règles sur les aides d’État permettent aux États membres de subventionner jusqu’à 100 % du surcoût des véhicules hydrogène. L’annonce par Ursula von der Leyen de la création d’une Banque européenne de l’hydrogène est très positive.

Quelles ont été les actions de France Hydrogène en 2022 ?

En plus de ses travaux conjoints avec le ministère de la Transition écologique sur un paquet réglementaire sur l’hydrogène, France Hydrogène a publié début 2022 un livre blanc sur les camions hydrogène. En juillet, nous avons publié un guide pratique sur les spécificités hydrogène à intégrer dans les offres de formation. Nous avons également édité un fascicule pédagogique « Parlons hydrogène » à destination du grand public.

Enfin, en décembre 2022, en plus de l’étude actualisée sur la trajectoire 2030 et les potentiels régionaux, une étude portant sur la modélisation du déploiement des stations en 2030 sera rendue publique. France Hydrogène a développé avec la Plateforme automobile (PFA) et l’institut IRT SystemX un outil paramétrable, permettant de définir, région par région, le maillage optimum et les lieux de déploiement des stations. En 2023, nous souhaitons modéliser différents schémas de production et de distribution d’hydrogène, afin de proposer aux décideurs publics et aux aménageurs des recommandations pour planifier le déploiement. Nous accompagnerons les régions demandeuses et engagées dans ce déploiement. France Hydrogène a doublé son nombre d’adhérents en deux ans et accueille chaque mois une dizaine de membres supplémentaires, preuve de la forte progression de la filière.

À propos de l'auteur

Jan-Erik Starlander

Responsable des relations avec les territoires, France Hydrogène.

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