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Riverdating : un rendez-vous du transport fluvial et de la logistique multimodale

Green Innovation. Le transport fluvial est l’un des vecteurs de la transition énergétique que le gouvernement souhaite placer au cœur de son action. Pouvez-vous nous en dire plus sur les atouts de ce mode de transport et ses perspectives de développement ?

Eloi Flipo. Le transport fluvial offre en effet beaucoup de potentialités pour un meilleur équilibre des transports de marchandises sur le territoire. Aujourd’hui, il représente une part modale de l’ordre de 3 à 4 %. Cette part modale nationale dépend beaucoup de la qualité du réseau et du type de voie fluviale dont bénéficie tel ou tel territoire, c’est-à-dire que là où il existe des voies fluviales à grand gabarit comme la Seine, le Rhône, le réseau du Nord, la Moselle internationale ou le Rhin, les parts de marché du transport fluvial sont beaucoup plus importantes et peuvent atteindre 10 ou parfois 20 % du volume de marchandises qui circulent dans ces territoires. En revanche, là où il n’y a que des voies de petit gabarit, ce que l’on appelle le gabarit « Freycinet », qui ont été aménagées au milieu du XIXe siècle, la part de marché du fluvial est beaucoup plus faible.

Pour quelle raison le transport fluvial présente-t-il un intérêt ? Tout d’abord, parce que c’est un mode de transport propre : à quantité de marchandises et à distance parcourue équivalentes, le transport fluvial émet quatre à cinq fois moins de CO2 que le transport routier. Néanmoins, il est important de souligner que le transport fluvial est indissociable du transport routier, puisque dans tous les cas, le transport routier reste nécessaire pour préacheminer les marchandises. C’est important et c’est la raison pour laquelle un certain nombre d’entreprises de transport routier approchent maintenant des acteurs du fluvial pour trouver des solutions alternatives pour certains flux, à la demande de leurs clients. Et un certain nombre d’entreprises de transport routier de taille assez importante commencent à investir dans le fluvial pour une partie de leurs activités. Le premier atout du transport fluvial est donc environnemental puisqu’il permet de réduire les émissions de CO2.

Deuxièmement, le transport fluvial permet de réduire considérablement la congestion routière, notamment le nombre de camions aux abords des grandes villes. C’est la raison pour laquelle les grandes villes qui sont traversées par un fleuve, comme Paris, Lyon, Strasbourg dans une certaine mesure, mais aussi Bordeaux, voire Lille, ou bien par des rivières ou des canaux, comme Toulouse (canal du Midi), cherchent à mettre en place un transport propre alternatif, comme le fluvial, y compris pour la logistique urbaine. La logistique urbaine couvre bien sûr la distribution de produits finis de grande consommation, mais elle inclut aussi, dans une certaine mesure, les approvisionnements en matériaux de construction et l’évacuation de toutes sortes de déchets du type ordures ménagères, ainsi que des déblais des chantiers.

Troisième atout : le fluvial est un mode de transport avec une infrastructure naturelle, l’eau, qui n’use pas les installations, à la différence du fret ferroviaire. En effet, le transport de marchandises par voie ferroviaire use énormément les voies ferrées et en particulier les rails en acier ; ce qui n’est pas du tout le cas pour la voie fluviale. Nous utilisons un vecteur naturel, ce qui, d’ailleurs, est notre premier métier : il s’agit avant tout de garantir les niveaux d’eau sur tout le réseau dont VNF est responsable. C’est ce que l’on appelle la gestion hydraulique, qui sous-entend l’entretien et la rénovation d’un réseau de 6 700 km de voies fluviales comprenant à peu près 360 barrages de navigation qui régulent les niveaux d’eau. Un point très important : lors de l’été que nous avons connu, avec un effet de sécheresse sans précédent, nous avons garanti la navigation sur à peu près 85 % du réseau fluvial géré par VNF, dont presque 100 % sur le réseau fluvial à grand gabarit, comme la Seine, le Rhône, le réseau du Nord, la Moselle ou le Rhin.

Cela nous amène au quatrième atout du transport fluvial, sa fiabilité. Le transport fluvial est un mode de transport très fiable, tout d’abord parce que la congestion sur les voies fluviales n’existe pas en France, à ce jour. Elle peut exister dans certains pays comme les Pays-Bas, où on a une densité de navigation très présente sur certains territoires limités. Mais en France, sur la Seine et sur le Rhône, le transport fluvial peut être multiplié par quatre dans l’état actuel du réseau sans modifier les caractéristiques des ouvrages. Cette situation offre donc des réserves de capacités de développement très importantes sur ces deux axes de transport, notamment pour desservir les agglomérations parisienne et lyonnaise.

Et enfin, le cinquième atout important, c’est le coût du transport fluvial. Lorsqu’il est bien organisé et bien anticipé, ce à quoi VNF contribue, le transport fluvial est plus économique que le transport routier. De plus, c’est un mode de transport dans lequel on a moins de problèmes de pénurie de chauffeurs par rapport au transport routier, car, avec près 3 000 bateaux de fret en France, le nombre de véhicules est moindre.

Voilà pour les atouts principaux du transport fluvial.

En ce qui concerne les perspectives de développement du transport fluvial, je voudrais citer plusieurs filières, dans lesquelles le transport fluvial se développe ou est amené à se développer. Au sein de VNF, nous avons organisé le suivi des marchés par filières. Nous étudions sept filières industrielles de transport, en affectant un spécialiste à chacune d’entre elles au niveau national, ainsi que leurs mécanismes, les acteurs clés, les événements clés, notamment réglementaires, qui sont susceptibles d’influer sur l’organisation du flux au niveau des territoires, etc. Je voudrais en citer quelques-unes pour lesquelles nous anticipons des développements importants.

Tout d’abord, dans le transport des matériaux de construction, notamment des granulats de sable et de graviers, les potentiels de développement sont importants parce que les grands groupes des BTP qui gèrent les travaux des chantiers situés dans de grandes agglomérations sont de plus en plus sensibles à la nécessité d’organiser les transports des matériaux de façon propre. VNF a produit un guide juridique qui permet aux maîtres d’ouvrages publics d’identifier ou de prévoir dans les marchés publics des clauses qui incitent à l’utilisation de transports propres, décarbonés plutôt que de transports routiers. Ce sont des clauses (parfois obligatoires) qui existent dans l’instruction sur la commande publique et qui permettent de noter favorablement tel ou tel solutionnaire s’il propose des solutions de transport propre, comme le transport fluvial ou ferroviaire.

De la même façon, dans le transport de déchets, notamment de déblais, mais aussi d’ordures ménagères, concentré en grande partie dans de grandes villes, un certain nombre de projets s’appuient sur le mode fluvial, qui offre là aussi les réserves de capacités très importantes, pour des prix de transport très faibles et avec des conditions de fiabilité absolument optimales.

Deux autres marchés de la logistique qui se développent d’une manière assez importante concernent la distribution urbaine et le transport des conteneurs.

Au cours des cinq dernières années, nous avons assisté et même encouragé financièrement le lancement et le développement de systèmes de distribution urbaine décarbonés. Les trois opérateurs de distribution urbaine en France qui incluent la voie fluviale dans leurs prestations sont aujourd’hui Urban Logistic Solutions (ULS), qui offre des systèmes de distribution urbaine à Strasbourg et plus récemment à Lyon ; Fludis, un bateau électrique dans Paris avec un système de préparation de commandes à bord, pour des marchés de la grande distribution ou messageries diverses ; Blue Line Logistics, qui exploite plusieurs barges du nom de ZULU qui sont des barges d’un concept particulier. Grâce à leur grue embarquée, elles permettent de charger et de décharger très facilement jusqu’à 320 tonnes de marchandises. Grâce à leur petit format (50 m × 6,6 m) et leur système de stabilisation, elles facilitent l’accès à de nombreuses voies d’eau et à tout type de berges.

Ces trois opérateurs offrent des prestations de distribution urbaine complètes qui incluent les acheminements finaux par vélo cargo à assistance électrique. La distribution urbaine par voie fluviale existe à Paris, à Lyon, et bientôt à Toulouse également.

Nous avons assisté au développement lent, mais assez considérable, du transport de conteneurs maritimes, géré depuis les ports maritimes du Havre, de Marseille Fos, de Dunkerque, mais aussi des ports belges, notamment de la zone ARA (Amsterdam, Rotterdam, Anvers), et ce pour la même raison, parce que le fluvial offre de grosses réserves de capacités, avec un très haut niveau de fiabilité. C’est exactement ce dont ont besoin, sans parler des prix, les décideurs en matière de transport terrestre, vers ou depuis les ports maritimes. Ces décideurs sont soit les compagnies maritimes qui transportent les conteneurs, qui font les liaisons entre différents continents et assurent parfois elles-mêmes les prestations de transport terrestre, ou bien les confient à des groupes de transport. Ce sont donc ces trois raisons, fiabilité, capacité et prix, qui contribuent à la progression relativement constante du nombre de conteneurs transportés par voie fluviale. Par exemple, le transport fluvial de conteneurs sur la Seine est géré actuellement par trois opérateurs qui assurent au total une dizaine de départs par semaine dans les deux sens entre Le Havre et Paris, et ce pour offrir des circuits alternatifs et permettre au port du Havre en particulier de réduire la congestion routière. Cet exemple du port du Havre vaut également pour Marseille Fos et pour le port d’Anvers.

Convoi pousse de charbon et de conteneurs sur la Seine. © VNF

Quel est le rôle d’accompagnement de VNF dans le développement du transport fluvial et quels sont les dispositifs d’incitation de report modal que vous mettez en place ?

En premier lieu, nous essayons d’identifier les projets, les clients actuels ainsi que les prospects qui s’intéressent au transport fluvial. Nous suivons des projets de transport de produits métallurgiques, de céréales, d’engrais, de déchets, etc. – 120 projets en moyenne dans l’année. Nous sommes une équipe d’une douzaine de personnes réparties dans toute la France et nous accompagnons les chargeurs, c’est-à-dire les entreprises industrielles de distribution ou bien les commissionnaires de transport pour les aider à faire aboutir leurs projets. Pour ce faire, nous avons un système de subvention assez structurant qui s’appelle le Plan d’aide au report modal, PARM. Ce plan permet d’apporter des subventions à trois stades d’un projet : les études de faisabilité (volet A), les essais de transport ponctuels (volet B) et les investissements (volet C).

Le volet A va soutenir une entreprise industrielle ou de distribution qui envisage de faire du report modal sur un ou plusieurs flux. Pour chaque flux, se posent beaucoup de questions : sur quel site le report modal est-il réalisable, au chargement et au déchargement ? Combien va coûter ce mode de transport par rapport au routier ? Quels sont les délais de transport ? Quels sont les risques ? Les marchandises seront-elles bien respectées ? Est-ce que l’on va faire autant d’économies environnementales qu’on le prétend ? Etc. Les études de faisabilité sont généralement faites par des consultants parmi lesquels VNF en reconnaît une vingtaine pour leurs compétences et leur expérience. VNF est donc capable de conseiller les industriels sur le choix de tel ou tel consultant, et accorde des subventions de 50 % du montant d’une étude, avec un plafond d’aide de 25 000 euros.

Le volet B du PARM concerne des essais de transport ponctuels. En général, les entreprises de distribution ou d’industrie vont souhaiter tester ce nouveau mode de transport sur site, avant d’organiser le transfert au mode fluvial de façon pérenne. Nous pouvons accompagner financièrement ces essais et prendre en charge 100 % du surcoût de la chaîne globale fluviale par rapport au prix du routier, car, en phase d’essai, le transport fluvial est plus cher. Cette prise en charge s’applique à un nombre maximal de 10 transports, 10 rotations, avec une durée plafonnée à six mois à partir de la date de la convention et dans la limite de 100 000 euros par projet. Cela permet à l’entreprise de faire un ou plusieurs essais. Nous disposons d’un portefeuille de 15 à 20 essais de clients sur le Rhône, sur la Seine, dans le Nord, etc.

Le troisième volet du PARM est le plus long, le plus lourd, mais il n’est pas du tout indispensable, c’est très important de le souligner. Parfois, l’entreprise industrielle, de distribution ou de transport doit investir dans la rénovation d’un quai ou dans l’acquisition de certains outils. Le volet C de notre programme nous permet d’apporter des subventions à ces investissements, dans une fourchette comprise entre 25 et 50 % de l’investissement et avec un plafond d’aide allant jusqu’à 500 000 euros par opération. Ce sont donc des opérations qui sont potentiellement importantes en termes de budget.

Le deuxième dispositif très important, c’est les certificats d’économie d’énergie (CEE). Ce dispositif existe dans le fluvial sous la forme de six fiches d’opération standardisées qui permettent de financer des investissements, par exemple pour l’achat de certains contenants, des UTI (unités de transport intermodal). Ces investissements sont financés non pas par les subventions de VNF, mais par des producteurs d’énergie. Nous lançons à la fin de cette année un programme CEE dont nous sommes l’auteur et qui s’appelle Remove, ce qui signifie « report modal et verdissement ». C’est un programme qui va permettre d’accompagner les entreprises de transport dans le verdissement de leur matériel, c’est-à-dire la conversion de leur matériel de transport vers des motorisations propres avec différents types de propulsion tels que le GNC ou le GNL, la batterie électrique ou la pile à combustible, donc à l’hydrogène. Il permettra d’autre part d’accompagner les donneurs d’ordres, des clients du transportv vers l’utilisation d’un mode propre, notamment fluvial. Nous avons fait l’effort d’associer différents modes de transport – routier, ferroviaire, maritime – dans ce programme que nous avons demandé à l’ADEME de piloter et qui sera lancé à la fin de cette année. Il comporte un volet très important qui permettra de compenser les coûts de rupture de charge pour le fluvial. Il s’agit des coûts de préacheminement et de postacheminement et des coûts de manutention qui sont très élevés, et qui généralement impactent et même parfois neutralisent ou annulent la compétitivité du fluvial par rapport au routier. Nous avons donc prévu dans ce programme Remove un dispositif pour compenser, voire neutraliser, les surcoûts liés au transport routier avant et après les chargements et les déchargements.

Pour conclure, pour accompagner les clients souhaitant faire du report modal, VNF a constitué une équipe qui entretient les contacts avec les chargeurs, les commissionnaires de transport, les ports, etc. De plus, nous organisons une fois par an un événement très important qui s’appelle Riverdating, qui accueille toutes les entreprises du secteur, soit près de 80 entreprises de transport fluvial françaises et belges qui travaillent en France, ainsi que 70 à 80 entreprises qui ont des projets ou des demandes de nouveaux transports. Dans le cadre de cet événement, nous organisons la mise en contact sur la base de projet précis et des RDV programmés d’avance. Riverdating se déroule cette année les 30 novembre et 1er décembre au Havre. Nous y organisons cinq tables rondes sur des thématiques telles que le projet « Seine-Escaut », autour des grands chantiers tels que les JO à Paris, le transport de colis lourd, etc. C’est un RDV très important dans le fluvial et qui a un succès croissant.

Riverdating 2022
30 novembre & 1er décembre
Carré des Docks
Le Havre, Normandie
riverdating.vnf.fr

Légende de la photo ci-dessus : Transport de conteneurs sur la Seine au barrage de Notre Dame de la Garenne (Port-Mort). © VNF

À propos de l'auteur

Eloi Flipo

Responsable développement, VNF.

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