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Le bruit sous-marin, cette pollution du littoral peu connue et pourtant facile à réduire

Les paysages sonores se composent de différentes sources d’origine naturelle et anthropique. Dans le milieu marin, les sources naturelles comprennent des évènements géologiques tels que les vagues, les tremblements de terre, la pluie, ainsi que des phénomènes biologiques comme le chant des baleines, les vocalisations des poissons ou les claquements des crevettes.

Les sources anthropiques sont également diverses et sont produites par toutes les activités humaines, en particulier le trafic maritime, allant des plus petites embarcations de plaisance près du littoral jusqu’aux superpétroliers et porte-conteneurs dans l’océan. Plus le navire est grand, plus les niveaux sonores sont intenses et plus la fréquence de ce son est basse. Le bruit des bateaux de plaisance ou des jet-skis, bien moins grands et bruyants que les navires commerciaux, mais plus nombreux, se concentre particulièrement dans les zones côtières.

Si de nombreuses études ont déjà montré les conséquences sur la santé humaine d’une exposition chronique au bruit, principalement liées au stress, très peu d’études ont été entreprises dans ce sens chez les organismes marins, en particulier les poissons. Très probablement parce que le son se transmet très mal de l’eau vers l’air… L’humain n’est donc pas conscient du bruit qu’il introduit dans le milieu marin.

Des effets connus sur la faune marine

Les bruits anthropiques constituent pourtant des nuisances directes pour la faune marine, qui utilise elle-même le son à des fins très diverses. Il intervient notamment dans la communication entre congénères, lors de la parade nuptiale, de l’accouplement, de la défense du territoire et dans la coordination des groupes sociaux. Les signaux sonores sont également utilisés pour la recherche de nourriture, la détection de prédateurs et pour s’orienter dans l’environnement afin de trouver par exemple un habitat favorable ou un site de ponte.

La bande de fréquences des bruits anthropiques étant très large, elle peut ainsi masquer les sons de l’environnement indispensables pour se repérer ou communiquer. Ce masquage peut être de longue durée (chronique), et affecter un animal sur des distances considérables. La gravité de cette perte d’espace de communication reste malheureusement mal connue chez les poissons.

Si les réponses comportementales comprennent des réactions de sursaut et l’évitement de zones pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres carrés, il semble que les poissons puissent s’habituer au bruit. Cependant, des effets physiologiques avec perte d’audition, stress au moment du passage d’un bateau avec augmentation du rythme cardiaque et du niveau de certaines hormones sont à envisager. Des fonctions vitales comme l’alimentation, la reproduction, les soins apportés aux jeunes sont alors affectées, par exemple chez les mâles poissons-demoiselles Ambon.

Mais des exemples récents ont montré qu’en réponse à un bruit plus faible, moins de sons étaient détectés à proximité de la marina de Pointe-à-Pitre, suggérant que les environnements moins bruyants pourraient permettre à des poissons vocaux de réduire le nombre de signaux nécessaires pour communiquer, car la transmission d’informations serait plus efficace.

Le littoral : un chantier d’étude unique

Dans de nombreuses régions, le littoral a connu un fort développement économique conduisant une quantité croissante d’usagers à se partager l’espace maritime. Le tourisme en particulier constitue une part très importante de ce que l’on appelle l’économie bleue et de nombreux emplois sont en rapport avec le milieu marin, dans les domaines du transport de personnes ou de marchandises, des services portuaires, de la pêche professionnelle ou traditionnelle, et des activités nautiques de loisirs ou de la plongée sous-marine. Ce développement s’accompagne souvent de l’agrandissement ou de la construction de ports ou d’une urbanisation des côtes qui gagnent sur l’espace maritime, parfois au détriment de la qualité des habitats.

Les enjeux économiques font donc face à de nombreux enjeux environnementaux et au besoin de préserver certains services écosystémiques du littoral. En particulier, le rôle de nursery pour les larves et les juvéniles de nombreuses espèces de poissons ou d’invertébrés qui utilisent les sons afin de s’orienter, de coloniser et de sélectionner un habitat pour y grandir.

Si le bruit à proximité du littoral affecte le recrutement, c’est tout un pan de l’économie qui pourrait s’effondrer en impactant les activités de pêche, par exemple à cause de taux de capture ou d’une biomasse plus faibles ; ou encore l’écotourisme avec des niveaux de biodiversité plus faibles et des environnements dégradés, bien moins attractifs pour les touristes. La fermeture de la célèbre plage de Maya Bay, en Thaïlande, a permis le retour de poissons plus gros, de crabes, de crevettes et de requins à pointes noires, et le corail a repoussé. Depuis, plus aucun bateau n’approche et un nombre limité de passagers doit marcher jusqu’à la plage pour prendre un selfie, rien de plus.

La faible bande à l’interface entre terre et mer qu’est le littoral peut donc être le lieu où la conservation de la biodiversité, la durabilité des services écosystémiques et le développement économique pourront se réaliser.

Quelles solutions ?

Bien que certains des effets sur les organismes marins puissent durer plus longtemps que le bruit lui-même, la pollution sonore s’arrête dès que sa production stoppe, contrairement à d’autres formes de source de pollution comme les composés chimiques par exemple. Un exemple récent a été fourni lors du premier confinement d’avril 2020 en réponse à la crise du Covid-19. L’activité humaine restreinte et la chute du trafic maritime se sont instantanément traduites par une baisse de 6 à 10 décibels (dB) de l’intensité du bruit ambiant enregistré durant la journée (lorsque les activités humaines sont d’ordinaire les plus fortes) dans une marina de Pointe-à-Pitre, en comparaison avec des niveaux enregistrés lorsque les activités ont repris en mai 2020.

Des mesures d’atténuation peuvent donc être facilement mises en œuvre à court terme dès lors que l’on estime qu’il existe un risque pour une population ou pour un écosystème. Un contrôle du trafic maritime, tel que la mise en place de routes maritimes obligatoires évitant les « points chauds » de la vie marine, une limitation de la vitesse ou de la fréquentation dans [les] zones vulnérables et protégées [ou à proximité] peuvent être des stratégies pertinentes pour protéger la faune locale.

Des solutions à plus long terme, certes encore coûteuses en raison des matériaux nécessaires, axées sur la réduction du bruit et des vibrations des moteurs, sont également à l’étude. L’un des avantages est que cette révolution dans la conception des navires se fait en parallèle d’efforts destinés à réduire leur empreinte carbone. Un ferry électrique serait ainsi moins bruyant de 12 dB qu’un ferry à propulsion traditionnelle. Aux fréquences inférieures à 500 Hz, ces niveaux chutent de 25 dB à une distance inférieure à 5 mètres.

S’il faut accepter que l’utilisation de la mer par l’humain ne va pas s’interrompre, la pollution sonore qui y est associée est un facteur qui peut cependant être contrôlé et atténué plus rapidement que de nombreux autres stress auxquels les écosystèmes littoraux sont déjà confrontés, tels que le réchauffement ou l’acidification des océans, ou la pollution chimique due à l’usage de pesticides, qui réagissent très lentement aux mesures d’atténuation.

Il apparaît donc essentiel de prendre en considération la pollution sonore dans les politiques d’aménagement du territoire et de limiter ou de réduire les activités bruyantes afin d’assurer une gestion et une conservation durables des habitats littoraux et de leur biodiversité.

À propos de l'auteur

Frédéric Bertucci

Chercheur en éco-acoustique, Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

À propos de l'auteur

Malika René-Trouillefou

Maître de conférences en biochimie, Université des Antilles.

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