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« Notre empreinte carbone est de moins 12 kg de CO2 (nets) par kg d’hydrogène produit » 

Hydro­gen+ : Votre procédé Hyno­ca pro­duit de l’hydrogène par ther­mol­yse de la bio­masse. Cette tech­nolo­gie a‑t-elle le poten­tiel pour répon­dre aux enjeux d’une pro­duc­tion mas­sive d’hydrogène renouvelable ?

Philippe Haffn­er. L’objectif européen de pro­duc­tion de 10 mil­lions de tonnes d’hydrogène renou­ve­lable à hori­zon 2030 est très ambitieux et implique une approche prag­ma­tique et tech­nologique­ment neu­tre pour espér­er être atteint. Nous aurons donc besoin de toutes les solu­tions de pro­duc­tion d’hydrogène pour un déploiement mas­sif qui exige des infra­struc­tures lour­des et encore inex­is­tantes pour cer­taines tech­nolo­gies. Avec Hyno­ca, nous pou­vons pro­duire rapi­de­ment et locale­ment des quan­tités d’hydrogène impor­tantes sans infra­struc­ture. Notre procédé con­siste en une ther­mol­yse à 500 degrés (absence d’oxygène) qui casse les molécules de la bio­masse, suiv­ie d’un vapore­for­mage qui per­met de pro­duire un hyper­gaz (gaz de syn­thèse riche en hydrogène). 

D’un point de vue tech­nique, ce procédé, après une pre­mière phase de mise en tem­péra­ture, fonc­tionne sur le même principe que le procédé SMR (Steam Methane Reform­ing) qui pro­duit la grande majorité de l’hydrogène dans le monde. La grande dif­férence est que nous util­isons de la bio­masse renou­ve­lable et non du gaz fos­sile comme source d’énergie.

L’avantage du process de ther­mol­yse est qu’il nous per­met d’utiliser une très large diver­sité de bio­mass­es (anas de lin, paille, résidus de bois, mis­cant­hus, sar­ments de vigne, fumi­er, etc.) aujourd’hui inex­ploitée ou sous-exploitée. Plusieurs études nous per­me­t­tent de réper­to­ri­er la bio­masse disponible en France, qui représente un poten­tiel énergé­tique de 1150 TWh2.

Tout n’est pas col­lec­table à court terme, mais nous avons déter­miné qu’un peu plus de 10 % de cette bio­masse, sans con­flit d’intérêts avec d’autres usages, représen­terait env­i­ron 120 TWh2 de poten­tiel énergé­tique per­me­t­tant de pro­duire 1,3 mil­lions de tonnes d’hydrogène par an, bien plus que les 680 000 tonnes d’hydrogène que con­stituent l’objectif français à hori­zon 2030. Pour attein­dre les 6,5 GW de puis­sance instal­lée en élec­trol­y­seur (objec­tif 2030), nous n’aurions besoin que de 10 mil­lions de tonnes de bio­masse sèche. Les seuls résidus de céréales plan­tées sur les 9,4 mil­lions d’ha en France génèrent en moyenne 60 mil­lions de tonnes par an de bio­masse sèche, cela sans compter les cul­tures inter­mé­di­aires et sans le poten­tiel de val­ori­sa­tion des ter­res « mar­ginales » (frich­es, ter­res pol­luées, bor­ds de routes…) qui pour­raient accueil­lir des végé­taux comme le mis­cant­hus ou le sorgho. Nous n’avons donc pas de prob­lème de gise­ment, car la ther­mol­yse de la bio­masse peut exploiter tout type de biomasse. 

Nous pou­vons même utilis­er des bio­mass­es humides en les séchant grâce à la chaleur fatale de notre process. Celui-ci est conçu pour s’autoalimenter avec sa pro­pre énergie.  Notre tech­nolo­gie con­stitue par con­séquent un poten­tiel de con­tri­bu­tion impor­tant aux objec­tifs français de pro­duc­tion d’hydrogène renou­ve­lable, aux côtés d’’autres tech­nolo­gies comme l’électrolyse de l’eau à par­tir d’électricité renou­ve­lable ou bas carbone.

Quel est l’usage du biochar qui est un co-pro­duit de votre procédé de pro­duc­tion d’hydrogène ?

Le biochar est en quelque sorte un char­bon act­if, c’est-à-dire une forme de char­bon végé­tal con­sti­tué essen­tielle­ment de matière car­bonée à struc­ture poreuse, avec une sur­face spé­ci­fique supérieure à 250 m² par gramme. C’est parce que le biochar est un puits de car­bone pérenne qu’il per­met à la ther­mol­yse d’être un procédé car­bone négatif.

Le biochar capte lors de la ther­mol­yse tous les élé­ments organiques et minéraux issus de la bio­masse. Ces car­ac­téris­tiques lui con­fèrent une haute valeur agronomique. Il per­met un retour au sol du car­bone organique sur du long terme, tout en amélio­rant la struc­ture du sol en tant qu’amendement naturel. Il peut absorber plusieurs fois son poids en eau, ce qui per­met au sol d’avoir des réserves hydriques par­ti­c­ulière­ment utiles avec les épisodes de sécher­ess­es atten­dus en hausse. Il peut amélior­er de 50 % la fer­til­i­sa­tion des sols avec un bon rap­port mas­sique car­bone sur azote, en favorisant le développe­ment raci­naire et le micro­biote du sol grâce à sa sur­face impor­tante qui sert de refuge aux microor­gan­ismes. Il est par­ti­c­ulière­ment intéres­sant sur les ter­res acides et drainantes (il remonte le pH). Autre intérêt agronomique, le biochar restitue les minéraux PK néces­saires aux cul­tures, réduisant les apports d’engrais. Pour l’agriculture, qui pro­duit 19 % des émis­sions de CO2 en France, le biochar con­stitue l’une des manières les plus immé­di­ates et économiques d’obtenir une baisse sig­ni­fica­tive des émis­sions de GES.

Nous tra­vail­lons actuelle­ment avec des cham­bres d’agriculture qui cherche à relever les mul­ti­ples défis du monde agri­cole : per­me­t­tre une sou­veraineté ali­men­taire, s’adapter aux change­ments cli­ma­tiques tout en préser­vant la bio­di­ver­sité, pro­duire de l’énergie, aug­menter les puits de car­bone, amélior­er l’assolement… Le monde agri­cole est en pleine révo­lu­tion avec de nou­velles pra­tiques comme les cou­verts végé­taux per­ma­nents. Notre procédé per­met le retour au sol, mais aus­si la val­ori­sa­tion des résidus de cul­tures et CIVEs ain­si que l’usage des ter­res délais­sées, ce qui per­met un mod­èle économique viable et cir­cu­laire dans les ter­ri­toires. La bio­masse végé­tale a un poten­tiel énergé­tique de 5,1 MWh/tonne anhydre.

Quel est votre empreinte car­bone et quel déploiement envis­agez-vous sur le territoire ?

Notre bilan CO2 est de — 12 kg de CO2/kg (nets)1 d’hydrogène pro­duit. Cette analyse de cycle de vie com­plet com­prend le process, la fab­ri­ca­tion des unités de pro­duc­tion, leur déman­tèle­ment, jusqu’au trans­port de la bio­masse par camion dans un ray­on de 100 km. Con­traire­ment aux méthaniseurs qui peu­vent être de petits pro­jets à la ferme, notre procédé requiert une taille en général plus impor­tante, avec un appro­vi­sion­nement de bio­masse sur un ray­on de 50 à 100 km autour du pro­jet. Ce périmètre per­met d’envisager des capac­ités de ther­mol­yse de 50 000 t/an de bio­masse. Il est plus facile de trans­porter de la bio­masse que de trans­porter de l’hydrogène. L’objectif est donc de capter la bio­masse, mais aus­si d’être au plus près des usages, car la chaîne logis­tique de l’hydrogène coûte très cher. Les usages sont donc dimen­sion­nants pour nos installations. 

Notre procédé per­met d’obtenir un gaz très pur, en quelques min­utes seule­ment, avec un taux de soufre résidu­el qua­si­ment nul et indé­tectable, util­is­able directe­ment pour les piles à com­bustible par exem­ple. Côté mobil­ité, une voiture va con­som­mer 1 kg pour 100 km (soit env­i­ron 150 kg/an) et un véhicule lourd (bus, BOM, camion…) env­i­ron 8 kg/heure. Cela donne un ordre de grandeur des besoins en mobil­ité. Si, par exem­ple, nous avons en face une unité qui pro­duit 1 000 tonnes par jour, nous aurons besoin de grandes flottes de véhicules lourds, d’usage indus­triel, de fab­ri­ca­tion de car­bu­rant ou d’engrais de syn­thèse… Un vrai pro­jet ter­ri­to­r­i­al impli­quant de nom­breux acteurs pour met­tre en place une économie cir­cu­laire locale.

Par ailleurs, la pres­sion et la tem­péra­ture (30 bars et 250 °C) util­isées nous per­me­t­tent de fab­ri­quer facile­ment du e‑kérosène, en recom­bi­nant par catal­yse l’hydrogène et le CO. Nous pro­duisons un syn­gaz (l’hypergaz) idéal pour les réac­teurs Fis­ch­er-Trop­sch avec un process mature pour faire du kérosène de syn­thèse. Une vraie bio­raf­finer­ie… sans résidus de pét­role ! Le secteur aérien vient de subir un véri­ta­ble trau­ma­tisme avec le Covid, le coût du kérosène, mais aus­si les régle­men­ta­tions de quo­ta car­bone à venir, et cherche en urgence des solu­tions alter­na­tives. Les com­pag­nies aéri­ennes n’ont plus beau­coup de choix pour leur empreinte carbone.

En atten­dant à hori­zon 2035 un hypothé­tique avion à hydrogène, nous pro­posons ce kérosène de syn­thèse immé­di­ate­ment opéra­tionnel à un coût économique­ment viable. 

Pou­vez-vous utilis­er les déchets organiques des collectivités ?

Oui, nous avons d’ailleurs des pro­jets dans ce sens avec, notam­ment, le cimen­tier Vicat. Il nous parait clair que le procédé qui pro­duit de l’hydrogène, de l’hypergaz ou du e‑carburant sans émis­sion de pol­lu­ant est économique­ment et écologique­ment plus intéres­sant que l’enfouissement ou l’incinération, y com­pris pour des déchets organiques. Nous nous inscrivons dans une logique d’économie cir­cu­laire. Pour ces déchets, notre biochar ne pour­ra pas servir à l’heure actuelle pour un retour au sol, mais il existe de mul­ti­ples appli­ca­tions, allant des revête­ments routiers au rem­place­ment du coke en raf­finer­ie par du biochar. Avec les déchets de col­lec­tiv­ité, nous ren­trons nor­male­ment dans le cadre de la direc­tive européenne sur les éner­gies renou­ve­lables car nous n’utilisons pas de matière pri­maire mais des résidus non recyclés. 

Com­ment votre tech­nolo­gie s’insère-t-elle dans la stratégie hydrogène européenne ?

Cer­tains députés européens, quelque peu idéologues, veu­lent exclure du champ de la révi­sion de la direc­tive européenne sur les éner­gies renou­ve­lables, les renou­ve­lables pri­maires comme les déchets de forêt. Or, les forestiers ont besoin, pour pro­duire in fine du bois d’œuvre, de gér­er durable­ment leurs forêts et donc de procéder à des tailles végé­tales, pour lesquelles nous pou­vons leur offrir un débouché économique per­ti­nent tout en séques­trant plus de 50 % de carbone.

Par ailleurs, il nous sem­ble fon­da­men­tal de ne pas con­sid­ér­er la pro­duc­tion d’hydrogène renou­ve­lable à tra­vers le seul prisme de la tech­nolo­gie d’électrolyse de l’eau. La pro­duc­tion de 10 mil­lions de tonnes implique l’utilisation de 555 TWh d’électricité verte, ce qui cor­re­spond à peu près à l’ensemble de la pro­duc­tion élec­trique française, ou à l’ensemble du parc éolien et pho­to­voltaïque européen instal­lé à ce jour. Rien qu’à l’échelle de la France on par­le de 50TWh d’électricité, soit 1/10 de notre pro­duc­tion élec­trique pour attein­dre nos objec­tifs de pro­duc­tion. Et tout cela sans con­sid­ér­er tous les autres besoins néces­saires à l’électrification des usages dans le cadre de la tran­si­tion énergé­tique. Il est donc impor­tant de pou­voir con­sid­ér­er toutes les tech­nolo­gies afin de pou­voir diver­si­fi­er notre appro­vi­sion­nement énergétique.

En Europe, les direc­tives se con­cen­trent sur les tech­nolo­gies. Cela rend les règles com­plex­es et bloque les inno­va­tions, en con­tra­dic­tion avec le principe légal de neu­tral­ité tech­nologique. Aux États-Unis, les règles sont plus prag­ma­tiques. Peu importe les tech­niques employées, on regarde les seuils de CO2 atteints. Par exem­ple, dans le cadre de l’Inflation Reduc­tion Act, en dessous de 4 kilo­grammes de CO2 par kilo­gramme d’hydrogène, celui-ci est vert. Je pense que le revire­ment et l’approche prag­ma­tique des Améri­cains vont faire réa­gir l’UE.

Où en est le déploiement de vos projets ?

Nos pro­jets pour 2023 sont tous en cours, mais cer­tains ont été retardés du fait du décalage de la poli­tique d’appui, notam­ment en France. Cepen­dant, avec le plan RepowerUE d’un côté et le revire­ment rapi­de des USA, nous avons de nou­veaux pro­jets en per­spec­tive sur les deux con­ti­nents. Enfin, le déploiement de la demande en car­bu­rant de syn­thèse, notam­ment du SAF (biokérosène), par­faite­ment adap­té à notre process, nous ouvre égale­ment de nou­veaux parte­nar­i­ats, avec des cimen­tiers par exem­ple. Une nou­velle usine sor­ti­ra dans deux ans, mais nous devri­ons dis­pos­er très prochaine­ment de moyens tran­si­toires pour assur­er notre indus­tri­al­i­sa­tion sur lequels nous com­mu­ni­querons sous peu.. Haffn­er Ener­gy recrute forte­ment pour tous ces secteurs, pour des postes val­orisants et une tech­nolo­gie d’avenir en plein essor.

Notes

(1) Analyse du cycle de vie réal­isée par EVEA et l’ADEME

(2) Esti­ma­tion de l’auteur sur la base de don­nées extraites des études France Stratégie 2021, France Agrimer 2020, IGN 2018 & 2020 et Sola­gro 2018Agrimer 2020, IGN 2018 & 2020 et Sola­gro 2018

À propos de l'auteur

Philippe Haffner

Cofondateur et président-directeur général d'Haffner Energy.

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