Magazine Green Innovation Mobilité Verte

Le choc énergétique appelle un plan d’urgence pour développer massivement l’usage du vélo

Prix records à la pompe, 30 mil­liards de mesures de sou­tien au pou­voir d’achat en 2022 de la part de l’État, diminu­tion de la four­ni­ture en pét­role russe, man­i­fes­ta­tions de plusieurs pro­fes­sions face au risque de fail­lite… Le choc énergé­tique actuel est « com­pa­ra­ble en inten­sité, en bru­tal­ité, au choc pétroli­er de 1973 », a récem­ment déclaré le min­istre de l’Économie.

En réal­ité, le coût de l’énergie aug­mente depuis plus d’un an avec la reprise de l’économie mon­di­ale. Il est vrai que la hausse s’accélère net­te­ment depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, deux­ième pro­duc­teur et deux­ième expor­ta­teur mon­di­al de brut.

Tout laisse à penser qu’il ne s’agit pas là d’un sim­ple choc con­jonc­turel, mais bien de l’avant-goût d’une ère d’adaptation à la déplé­tion énergétique.

Tem­pér­er les prix, ligne choisie par le gou­verne­ment dans l’urgence, s’apparente à un panse­ment sur une jambe de bois : des mesures struc­turelles pour lut­ter con­tre la con­som­ma­tion d’énergies fos­siles sont vitales. Par­mi elles, la sobriété est essen­tielle pour baiss­er la con­som­ma­tion énergé­tique à court terme.

Les crises énergé­tiques révè­lent la dépen­dance à la voiture

1973–1974 : au moment du pre­mier choc pétroli­er, les Pays-Bas, alors soumis à un embar­go total de l’OPEP, encour­a­gent les expéri­men­ta­tions en faveur du vélo.

À Tilburg, une ville moyenne du sud du pays, élus et ser­vices inau­gurent une infra­struc­ture cyclable de nou­velle généra­tion, une piste matéri­al­isée en rouge, don­nant la pri­or­ité aux cyclistes, sans aucune coupure et avec peu d’arrêts.

L’infrastructure entraî­na le renou­veau de la pra­tique, devint une vit­rine du savoir-faire néer­landais et s’exporta dans le reste du pays et à l’étranger.

Sans aller aus­si loin, le min­istère français de l’Équipement dépen­sa dans les années 1970 des dizaines des mil­lions de francs pour sub­ven­tion­ner dans plusieurs villes des amé­nage­ments cyclables. Cette poli­tique, menée au titre des économies d’énergie, prit cepen­dant fin dès le début des années 1980.

L’immense poten­tiel nég­ligé du vélo

Cinq décen­nies plus tard, le déclin de la pro­duc­tion mon­di­ale du pét­role con­ven­tion­nel est désor­mais ini­tié, et l’Europe doit se pré­par­er à un « risque de resser­re­ment de l’offre » à l’horizon 2025. Un tarisse­ment qui se pro­duit pour le moment à un rythme trop lent pour pro­téger l’Europe des con­séquences du dérè­gle­ment climatique.

Loin devant l’industrie, le secteur des trans­ports est dans notre pays le plus émet­teur de CO2 (31 % des émis­sions nationales). C’est aus­si le seul dont les émis­sions aug­mentent en valeur absolue depuis plusieurs décen­nies, mais aus­si du pre­mier secteur en ter­mes de con­som­ma­tion d’énergie.

La voiture est respon­s­able à elle seule de 2 tonnes d’émissions de CO2 par an et par per­son­ne, ce qui représen­tera, si l’on se pro­jette en 2050, le bud­get car­bone total d’un indi­vidu pour attein­dre l’objectif de neu­tral­ité carbone.

63 % des déplace­ments locaux sont effec­tués en voiture, seule­ment 9 % en trans­ports en com­mun et un petit 2,7 % à vélo. La voiture reste très util­isée même pour des déplace­ments courts avec 60 % des déplace­ments domi­cile-tra­vail de moins de 5 km (et encore 53 % pour ceux de moins de 2 km), dis­tances par­faite­ment réal­is­ables par une majorité de la pop­u­la­tion à pied et à vélo.

Ces dis­tances ne sont pas l’apanage des citadins : les déplace­ments allant de 1 à 10 kilo­mètres représen­tent autour d’un tra­jet sur deux aus­si bien en ville que dans les ter­ri­toires ruraux. Con­traire­ment à l’idée reçue, où que l’on vive, cette part reste ain­si assez similaire.

Le poten­tiel de report de la voiture vers le vélo est par con­séquent assez homogène. Selon une étude du Cere­ma, la moitié de la pop­u­la­tion pour­rait pédaler au quo­ti­di­en (con­tre 3 % aujourd’hui). La part modale du vélo atteindrait alors 43 %. Sans attein­dre un tel niveau (bien supérieur aux 28 % des Pays-Bas), on voit com­bi­en la marge de pro­gres­sion est considérable.

Ce poten­tiel est pour­tant nég­ligé. Si les Français pos­sè­dent près de 36 mil­lions de vélos, plus de 10 mil­lions dor­ment dans les caves et garages et ne sont jamais util­isés. Avec 3 % à 4 % des déplace­ments réal­isés avec ce mode, la France reste encore loin de l’objectif d’atteindre 9 % en 2024, fixé par le plan nation­al de 2018.

Tripler le nom­bre de pistes cyclables d’ici 2024

À court terme, les mesures réal­istes et utiles pour faire évoluer cette sit­u­a­tion restent nombreuses.

Le suc­cès des ter­ri­toires les plus cyclables réside large­ment dans la pro­gres­sion du nom­bre et de la qual­ité de l’infrastructure dédiée, la part modale du vélo ayant une rela­tion linéaire avec le linéaire d’aménagements cyclables par habi­tant. Des réseaux cyclables per­me­t­tant d’arriver à des­ti­na­tion en toute sécu­rité pour tout un cha­cun sont un préreq­uis pour une pra­tique du vélo au quo­ti­di­en dans toutes les couch­es de pop­u­la­tion, et pour l’augmentation de la portée des déplace­ments effec­tués à vélo (la dis­tance par­cou­rue est très faible en France).

Pal­li­er l’absence de pistes cyclables est pri­mor­dial, tant le manque de sépa­ra­tion entre véhicules motorisés et cyclistes peut entraîn­er un sen­ti­ment d’insécurité. Mais cela requiert un développe­ment auda­cieux de l’infrastructure (dans des délais plus courts et à peu de frais). Aujourd’hui, il n’est pas rare de compter deux à cinq années pour qu’un amé­nage­ment cyclable soit effec­tive­ment réal­isé entre les études préal­ables et la final­i­sa­tion du chantier.

Les pistes tem­po­raires sont une solu­tion peu coû­teuse, comme l’a mon­tré la séquence des coro­n­apistes après le pre­mier con­fine­ment de 2020. En moins d’un an, de nom­breux ter­ri­toires se sont dotés d’environ 700 kilo­mètres de ces amé­nage­ments tem­po­raires grâce à l’implication de l’État et des col­lec­tiv­ités. Peu chères, réversibles, adapt­a­bles et rapi­des à installer, les coro­n­apistes ont accéléré cer­taines poli­tiques cyclables, mais ont aus­si mar­qué la phase ini­tiale de beau­coup d’autres. Elles ont forte­ment encour­agé l’usage du vélo au quo­ti­di­en. Des enseigne­ments sont à tir­er de ce suc­cès, à la lumière des cir­con­stances nouvelles.

Mal­gré les oppor­tu­nités mis­es en avant par le Cere­ma, la plu­part des boule­vards urbains à 2x2 voies (voire 2x3 voies pour cer­tains) n’ont pas con­nu de trans­for­ma­tion ces deux dernières années.

Ils pour­raient, dans les deux ans qui vien­nent, se voir dotés de pistes cyclables pro­vi­soires, à l’instar des axes où se polarisent les déplace­ments : ceux qui desser­vent les gares, les pôles inter­modaux, les écoles, col­lèges, lycées et grands équipements publics, les quartiers d’affaires et les zones arti­sanales et com­mer­ciales qui en sont encore dépourvues.

Un pro­gramme sys­té­ma­tique d’identification et de traite­ment des points noirs qui for­ment des véri­ta­bles coupures pour les usagers – des car­refours com­plex­es, des grands gira­toires, des entrées d’agglomérations, des ponts – offrirait une con­ti­nu­ité des itinéraires là où se con­cen­trent les con­flits poten­tiels entre usagers.

Allouer un mil­liard d’euros par an entre 2022 et 2024

Si, dans les métrop­o­les, le vélo occupe déjà sou­vent une place vis­i­ble, son développe­ment dans les zones moins dens­es reste un défi.

En milieu rur­al et péri­ur­bain, entre les villes et les vil­lages, des départe­men­tales actuelle­ment hos­tiles aux cyclistes, mais pourvues d’accotements, pour­raient accueil­lir des pistes bidi­rec­tion­nelles offrant des liaisons directes et sûres entre villes et villages.

En l’absence de solu­tion exis­tante pour les cyclistes, le traf­ic motorisé de tran­sit d’une route rurale fréquen­tée pour­rait être reporté sur des axes plus adap­tés afin de réaf­fecter cette route au vélo, aux riverains et aux véhicules autorisés. Le réseau très dense de voies en France est plutôt adap­té à cette solu­tion, sim­ple et appor­tant des itinéraires sûrs et con­fort­a­bles aux cyclistes pour un coût dérisoire.

Le manque de moyens tech­niques et financiers dans les petites col­lec­tiv­ités, rurales ou péri­ur­baines, est un obsta­cle majeur à l’expérimentation et à la péren­ni­sa­tion de pistes cyclables, d’une manière équitable, sur l’ensemble du territoire.

Un bud­get excep­tion­nel de l’État d’un mil­liard d’euros par an entre 2022 et 2024, dédié au finance­ment inté­gral des infra­struc­tures, per­me­t­trait de don­ner un sig­nal décisif aux col­lec­tiv­ités locales, de recruter des ingénieurs et chargés de mis­sion dédiés, et de tripler le réseau cyclable de 54 000 km à 150 000 km (au min­i­mum, en par­tant d’un coût moyen d’un amé­nage­ment pro­vi­soire de 30 000 à 50 000 euros par km), et de traiter des cen­taines de coupures urbaines.

L’investissement en faveur du vélo atteindrait alors 15 €/habitant/an à l’échelle nationale, générant une forte inten­sité en emplois, beau­coup plus impor­tante que celle du secteur auto­mo­bile. Les départe­ments, qui n’investissent que 3,75 €/habitant/an et comptent en moyenne moins de 3 agents en charge de la poli­tique cyclable, doivent pour cela don­ner la pri­or­ité au vélo et réori­en­ter les mis­sions d’une par­tie de leurs agents jusqu’ici en charge des travaux et pro­jets routiers.

Des plans pour lim­iter la cir­cu­la­tion motorisée

Cette péri­ode est égale­ment une occa­sion de tester des plans de cir­cu­la­tion et des rues ou zones à traf­ic lim­ité, en par­ti­c­uli­er dans les cen­tral­ités de quartiers et devant les écoles.

En effet, des véhicules motorisés en trop grand nom­bre et roulant trop rapi­de­ment exclu­ent la marche et le vélo. Le Cere­ma a pub­lié l’an dernier des recom­man­da­tions pour faire con­naître l’intérêt de cet out­il très peu coûteux.

Avec l’adoption de la vitesse max­i­male à 30 km/h en aggloméra­tion (à l’exception de quelques axes), ces plans per­me­t­tent de se déplac­er sans encom­bre dans les villes et vil­lages à pied et à vélo, en con­traig­nant voire en inter­dis­ant la cir­cu­la­tion motorisée de tran­sit. Ils s’accompagnent idéale­ment d’une général­i­sa­tion des dou­ble-sens cyclables dans toutes les rues à sens unique.

L’urgence de s’affranchir des éner­gies fossiles

Il faut ensuite accom­pa­g­n­er dif­férents publics à adopter ces pistes au quo­ti­di­en. Le gou­verne­ment pour­rait ren­dre oblig­a­toire le for­fait mobil­ité durable, ce qui incit­erait davan­tage les salariés des secteurs privé et pub­lic à priv­ilégi­er les modes act­ifs pour se ren­dre au travail.

L’usage des vélos et des modes inter­mé­di­aires en sub­sti­tu­tion à la voiture peut rapi­de­ment se dif­fuser grâce à des aides dédiées d’urgence, mod­ulées en fonc­tion des sit­u­a­tions finan­cières et du degré de dépen­dance à la voiture.

Enfin, il est aus­si pos­si­ble d’organiser sans atten­dre des dimanch­es sans voiture, voire des week-ends, dans toutes les villes : ils don­nent l’opportunité à tous de se réap­pro­prier l’espace pub­lic large­ment occupé par l’automobile.

Bien sûr, l’ensemble des mesures doit être adap­té aux car­ac­téris­tiques et prob­lé­ma­tiques de mobil­ité de chaque ter­ri­toire. Mais s’affranchir des éner­gies fos­siles devient désor­mais une urgence sociale et géopoli­tique, en plus de représen­ter une oppor­tu­nité pour favoris­er le tour­nant vers une mobil­ité décarbonée.

Des mil­liers de kilo­mètres de pistes cyclables, édi­fiées en quelques mois, con­stitueraient un mar­queur fon­da­men­tal d’un ambitieux plan de résilience, tant le vélo porte une promesse d’accès uni­versel, équitable et abor­d­able à la mobilité.

En parte­nar­i­at avec Theconversation.fr.

À propos de l'auteur

Sébastien Marrec

Doctorant en urbanisme, aménagement de l’espace, géographie, Université Rennes 2.

Bienvenue sur Innovation24.news,
le portail d'information dédié à l'innovation et au développement durable des publications de Consilde Media Group. Ce site regroupe une sélection d'articles et d'entretiens rédigés par des spécialistes des questions environnementales et publiés dans nos différents magazines.

.