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Électrolyseurs : produire l’hydrogène décarboné

© McPhy

La clé du déploiement de l’hydrogène décar­boné passe par la baisse des coûts, l’industrialisation et la mas­si­fi­ca­tion des élec­trol­y­seurs. Quelles tech­nolo­gies utilis­er, com­ment les ren­dre économique­ment accept­a­bles ? Élé­ments de réponse.

L’Union européenne (UE) a fixé des objec­tifs ambitieux de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre (GES), visant la neu­tral­ité car­bone d’ici 2050, et ‑40 % à hori­zon 2030. L’hydrogène est un pili­er majeur de cette stratégie, et sa part dans le mix énergé­tique européen devrait pass­er de moins de 2 % (y com­pris en util­i­sa­tion comme matière pre­mière) en 2018 à 13/14 % en 2050. 

Aujourd’hui cepen­dant, la qua­si-total­ité de l’hydrogène dans l’UE-28 (94 %) est pro­duite à par­tir d’hydrocarbures, et con­stitue donc une source impor­tante d’émissions de GES. Par con­séquent, en plus du cap­tage de CO2 d’un côté et la pro­duc­tion d’hydrogène par bio­masse de l’autre, la pro­duc­tion d’hydrogène par élec­trol­yse est un des piliers prin­ci­paux de la stratégie « verte » en matière d’hydrogène. Rap­pelons toute­fois que le niveau des émis­sions de GES des élec­trol­y­seurs dépend forte­ment de leur appro­vi­sion­nement en élec­tric­ité, seules les éner­gies renou­ve­lables (hydrogène « vert ») ou nucléaires (hydrogène « turquoise ») étant con­sid­érées comme décarbonées.

Entre objec­tif et réalité

Objec­tif : La con­struc­tion d’électrolyseurs à hau­teur de 2 x 40 GW d’ici 2030 dans l’UE et de 40 GW sup­plé­men­taires dans les pays voisins (Ukraine, Afrique du Nord – prin­ci­pale­ment pour l’export), cou­plée à une capac­ité sup­plé­men­taire de 80 à 120 GW de renou­ve­lables, est répar­tie en deux phases :

Dans la pre­mière phase, à hori­zon 2024, 6 GW d’électrolyseurs, per­me­t­tant de pro­duire jusqu’à 1 Mt d’hydrogène, pour des appli­ca­tions ciblées dans l’industrie chim­ique et les mobil­ités « lourdes » .

Dans une sec­onde phase, à hori­zon 2040, 40 GW+ d’électrolyseurs devraient être con­stru­its, per­me­t­tant de pro­duire 10 Mt d’hydrogène des­tiné à des appli­ca­tions plus avancées telles que la pro­duc­tion et le stock­age d’électricité. En out­re, le plan prévoit égale­ment le déploiement d’une infrastruc­ture de sta­tions-ser­vice pour les appli­ca­tions de mobilité. 

Mais entre la feuille de route annon­cée et la réal­ité de pro­duc­tion, un fos­sé reste à franchir. En effet, le déploiement est lent. Après les démon­stra­teurs, les indus­triels posent à peine les pre­mières pier­res des pro­duc­tions indus­trielles et le mod­èle économique avec le coût de l’électricité est com­plexe quand la pro­duc­tion à par­tir de gaz fos­sile reste aujourd’hui beau­coup moins chère. Les coûts de l’électrolyse sont encore pro­hibitifs par rap­port aux procédés con­ven­tion­nels (par vapore­for­mage 2 à x4) mais la vari­a­tion du prix du gaz (et notre dépen­dance) peut chang­er la donne.

Quel mod­èle économique ?

Les élec­trol­y­seurs sont donc l’une des options prin­ci­pales pour pro­duire de l’hydrogène « vert » à moyen terme, s’ils sont com­binés à des sources d’énergies renou­ve­lables com­péti­tives. Cepen­dant, des dif­fi­cultés per­sis­tent aujourd’hui dans leur mise en œuvre. Les con­struc­teurs tra­vail­lent aujourd’hui sur l’automatisation des chaînes de pro­duc­tion, avec notam­ment un développe­ment sur des mod­ules de 4 à 5 MW, surtout en mode PEM et alcalin, avec des développe­ments en cours sur la tech­nolo­gie SOEC (réversible e, PC), l’AEM ou la haute tem­péra­ture dévelop­pée notam­ment par le CEA. 

La com­péti­tiv­ité économique des élec­trol­y­seurs — même si elle devrait s’améliorer forte­ment à moyen terme — dépend aus­si des usages fin­aux, et par con­séquent des tech­nolo­gies employées et de l’échelle à laque­lle ils sont mis en œuvre. La donne production/consommation sur un même lieu ou à prox­im­ité ter­ri­to­ri­ale améliore la com­péti­tiv­ité (le trans­port et le stock­age sont très coû­teux). Le développe­ment de tels écosys­tèmes ter­ri­to­ri­aux de plus ou moins grandes tailles sem­ble être le mod­èle qui pour­rait se dévelop­per. Tous les sites ne sont pas égaux en ter­mes de poten­tiel renou­ve­lable (éolien, pho­to­voltaïque) ou d’accès à un réseau décar­boné, la part de la pro­duc­tion d’électricité décar­bonée (y com­pris nucléaire) dif­férant forte­ment d’un pays à l’autre en Europe.

À court ou moyen terme, il existe un espace économique pour des unités d’électrolyse de moyenne ou grande taille (10 à 50 MW) con­sti­tuées de mod­ules stan­dard­is­és de MW, ali­men­tant des hubs de mobil­ité à l’hydrogène stratégique­ment posi­tion­nés sur le territoire.

Le mod­èle opéra­tionnel préféren­tiel est basé sur la con­sti­tu­tion d’unités mul­ti­modales, situées à prox­im­ité directe des prin­ci­paux cor­ri­dors logis­tiques routiers, com­bi­nant des camions pour fret longue dis­tance et des bus interur­bains, des flottes cap­tives de véhicules munic­i­paux (camions à ordures, auto­bus) et des trains ou des bateaux à hydrogène, per­me­t­tant d’atteindre une échelle suff­isante (Capex et appro­vi­sion­nement électrique).

L’accès à une ali­men­ta­tion élec­trique décar­bonée et économique­ment com­péti­tive, soit à par­tir du réseau, soit à par­tir d’énergies renou­ve­lables est fondamental.

Autre mod­èle pos­si­ble, les élec­trol­y­seurs de très grande taille pour des appli­ca­tions indus­trielles et les petits élec­trol­y­seurs (1 MW) qui peu­vent con­stituer une solu­tion tech­nique­ment intéres­sante pour ali­menter des appli­ca­tions de mobil­ité légère dans des local­i­sa­tions éloignées des grands axes de trans­port. Mais le mod­èle économique reste à définir.

Per­for­mances et coûts

Dans un rap­port de mai 2012 (les tech­nolo­gies de l’hydrogène au CEA), le CEA avait pub­lié un graphique (Fig. 8) com­para­nt les per­for­mances des trois tech­nolo­gies : l’électrolyse basse tem­péra­ture (de type alcalin en jaune, PEM en bleu) et l’électrolyse haute tem­péra­ture (en rouge). À ten­sion don­née aux bornes de la cel­lule, la pro­duc­tion d’hydrogène est pro­por­tion­nelle à l’intensité du courant (hor­i­zon­tal) et le ren­de­ment (Nm3/kWh) est inverse­ment pro­por­tion­nel à la ten­sion (ver­ti­cal).

Fig­ure 8 — Com­para­i­son des per­for­mances des divers­es tech­nolo­gies (CEA — 2012)

Évo­quer le recours à un nou­veau vecteur d’énergie, même à un stade prélim­i­naire, exige non seule­ment une analyse du cycle de vie, mais aus­si une analyse économique glob­ale (coût cap­i­tal, coûts opéra­toires et main­te­nance). Le coût de l’hydrogène pro­duit par élec­trol­yse est lié à celui de l’électricité, donc à son mode de pro­duc­tion. Dans le cas d’une élec­tric­ité « verte », ce sont les coûts en cap­i­taux du sys­tème renou­ve­lable (pho­to­voltaïque, éolien…) qui influeront. Les chiffres vari­ent, selon les auteurs et les hypothès­es retenues (taille et per­for­mances de l’unité, coût cap­i­tal…) entre 2,5 et 6 €/kg, avec un assez large con­sen­sus autour de 3,5 à 5 €/kg d’hydrogène, pour une durée de fonc­tion­nement supérieure à 7 000 h/an (Fig­ure 10).

Ces chiffres sont à con­sid­ér­er avec pru­dence, compte tenu du faible retour d’expérience sur les per­for­mances réelles de ces sys­tèmes et des coûts asso­ciés, mais ils mon­trent qu’une analyse économique, même prélim­i­naire, ne per­met pas de dis­qual­i­fi­er cette nou­velle fil­ière qui reste encore à dévelop­per, notam­ment pour des appli­ca­tions captives.

Ces coûts peu­vent être com­parés aux résul­tats des travaux du pro­jet nation­al HyFrance3. Par exem­ple, dans l’hypothèse d’une pro­duc­tion mas­sive d’hydrogène à par­tir d’un champ éolien, cou­plée à un stock­age en cav­ités pro­fondes, dans les régions PACA ou Rhône-Alpes, le coût prospec­tif, en 2050, de l’hydrogène pro­duit par élec­trol­yse pour­rait se situer dans la gamme 0,5 à 0,7 €/kg.

De son côté, le CGSP (Com­mis­sari­at Général à la Stratégie et à la Prospec­tive) a pub­lié en sep­tem­bre 2014, les résul­tats d’une étude sur le sujet (Fig­ure 10). 

Fig­ure 10 – Esti­ma­tion du coût de l’hydrogène en fonc­tion du mode de pro­duc­tion (Doc­u­ment France Stratégie — Août 2014)

À propos de l'auteur

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