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Valoriser le CO2 biogénique : marché et rentabilité

Le biogaz généré par un méthaniseur est composé de 45 à 55 % de CO2. Quelles sont les techniques pour le récupérer ? Comment peut-on le valoriser, avec quelle rentabilité ? En 2023, les voyants ne sont pas aux verts, mais de nouvelles techniques ou une taxe CO2 pourraient changer la donne. GRDF nous en explique les enjeux.

La production de biométhane compatible avec une injection dans les réseaux de gaz nécessite une étape d’épuration du biogaz, qui consiste principalement à séparer le CH4 et le CO2. GRDF a mené une étude sur la valorisation du CO2 biogénique issu de cette épuration, nous en relatons ici les principaux enseignements. Le CO2 séparé, biogénique à cycle court et donc neutre pour le climat, est jusqu’à présent relâché dans l’atmosphère. Ce CO2 très pur a pourtant une valeur marchande, pour des usages très variés. Par ailleurs, sa récupération permet de capter le biométhane résiduel des offgaz de l’épuration (qui représente de 0,5 à 2 % du offgaz), et de réduire ainsi les pertes de production d’un site tout en améliorant le bilan carbone déjà très bon du biométhane (23,4 gCO2eq/kWh PCI).

Le marché actuel du CO2

En France, les principales sources conventionnelles de CO2 sont les usines de bioéthanol (CO2 biogénique), d’hydrogène et d’engrais (CO2 fossile). Après purification et liquéfaction du CO2 fatal de ces sources, celui-ci est transporté par camion dans des cuves cryogéniques, sur des distances allant jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres. In fine, le CO2 alimente la cuve du client, souvent louée par les fournisseurs du CO2. Ces derniers sont majoritairement représentés par les grands gaziers industriels tels qu’Air Liquide, ACP, Nippon Gases – Praxair, Messer, Linde, etc. En termes de qualité du CO2, le référentiel EIGA, qui fixe un niveau de qualité et de traçabilité pour l’industrie agroalimentaire, est majoritairement appliqué pour rationaliser les moyens logistiques (les cuves contenant du CO2 EIGA ne peuvent pas contenir de CO2 moins qualitatif). Quoique non justifié pour certains usages, il reste aujourd’hui la norme en l’absence d’autres standards généralisés. Le prix de marché du CO2 est très variable : environ 50 à 400 €/tCO2 et une moyenne autour de 90–150 €/tCO2 pour des consommateurs réguliers non loin des sources de production. Ce prix dépend principalement de la distance de livraison, du volume consommé et de l’équilibre offre/demande sur le marché. Sur ce dernier point, il existe en effet de fortes tensions saisonnières sur le marché du CO2, induisant une volatilité du prix associée à des pénuries pouvant affecter grandement certains consommateurs. Et ce malgré une capacité de production en France qui est estimée à 1,1 million de tonnes de CO2 (SIA Partners, 2019). Ainsi, les serristes, grands consommateurs de CO2 au printemps et en été pour améliorer la croissance des plantes, ont connu ces situations tendues sur le marché.

Principales sources conventionnelles de CO2 en France (source ENEA Consulting – GRDF 2019)

Le coût du CO2

Concernant la structure du coût de revient du CO2, celle-ci est composée principalement du coût de capture et du conditionnement du CO2 sous forme liquide et du transport en camion-cuve cryogénique. Alors que le coût de capture est assez stable, le coût de transport est lui fortement variable en fonction de la distance, il devient prépondérant dans le prix final, voire prohibitif pour de très longues distances. Aussi, disposer d’un CO2 local, biogénique, produit toute l’année par les producteurs de biométhane permettrait de répondre à ces limites actuelles.

Le coût de la purification du CO2 biogénique reste le principal problème. En effet, après la séparation CH4/CO2, l’offgaz est déjà fortement concentrée en CO2 (plus de 98 %). Cela dit, pour atteindre les niveaux de pureté exigés par les consommateurs et permettre la liquéfaction du CO2, une étape de purification est nécessaire. Des étapes de prétraitements sont indispensables pour éliminer les traces d’eau, de composés soufrés (corrosifs et toxiques) et d’huiles. La purification permet ensuite de séparer les résidus de biométhane (jusqu’à 2 % de l’offgaz) du CO2. Ce résidu de biométhane peut être injecté sur le réseau et représente donc une source de revenus complémentaire.

Schéma illustrant la chaîne de valorisation du CO2 de la méthanisation

Différents procédés de purification du CO2 existent. Tous sont matures et déjà utilisés dans l’industrie.

• La cryo-distillation consiste à abaisser la température jusqu’à un point où le CO2 est liquide alors que le biométhane reste gazeux. C’est la technologie la plus répandue en Europe.

• L’absorption par solvant : consiste à dissoudre le CO2 dans un solvant et récupérer le biométhane gazeux puis à régénérer le solvant en le chauffant. On récupère alors le CO2 sous forme gazeuse.

• Le Pressure Swing Adsorption (PSA) : consiste à fixer le CO2 à haute pression sur un solide (ex. : charbon actif) et récupérer le biométhane gazeux. En diminuant la pression, on libère le CO2 à l’état gazeux, ce qui régénère le solvant.

Dans le cas d’une purification par solvant ou par PSA, la liquéfaction est une étape supplémentaire à réaliser pour conditionner le CO2.

Les usages potentiels du CO2 biogénique en fonction du mode de transport

Mais quelle que soit la technologie de purification, il est de prime abord difficile d’envisager qu’un CO2 récupéré sur des unités de biométhane de taille modeste puisse être compétitif. En effet, avec une Cmax moyenne de 170 Nm3/h, les sites agricoles ont une capacité de production de 1,8 ktCO2/an, quand les sources conventionnelles de CO2 peuvent fournir chacune de 50 à 200 ktCO2/an. L’économie d’échelle pour l’unité de capture et conditionnement est significative pour ces dernières. Des optimisations restent envisageables pour les unités de méthanisation, notamment en intégrant la capture du CO2 à l’unité d’épuration biogaz dès la conception.

En attendant la disponibilité de telles adaptations et pour les unités déjà en service, il faut jouer sur l’autre composante du coût de revient : le transport.

Purification et transport

Aujourd’hui, le CO2 est transporté sous forme liquide par camion. Le coût du transport augmente avec la distance au consommateur et peut se révéler prohibitif pour les très longues distances.

Le CO2 de la méthanisation peut être compétitif s’il est vendu localement, dans des zones éloignées des sources conventionnelles pour lesquelles le coût de transport élevé compense le faible coût de capture. La fourniture locale de CO2 (< 200 km) est donc le facteur clé, et il doit être combiné à une rentabilisation maximale des moyens logistiques (camion et cuve) lorsque ces derniers sont achetés. Cette rentabilisation peut passer par la mutualisation avec d’autres unités de méthanisation, voire par la création de coopératives du CO2 qui collecteraient et vendraient le CO2 auprès de différents consommateurs. Une étude menée par le cabinet Voltigital et GRDF montre que de telles organisations permettent de limiter le coût de transport à 15 – 30 €/tCO2 selon les volumes concernés et les distances aux consommateurs. Autrement, la logistique peut être sous-traitée à un transporteur qualifié.

Débouchés du CO2 biogénique 

Le schéma ci-dessous synthétise les deux modes de capture et transport principalement envisagés aujourd’hui. Il liste les différentes voies de valorisation, en présentant notamment les usages émergents les plus prometteurs. La valorisation auprès de l’industrie agroalimentaire (IAA) semble aujourd’hui moins accessible. En effet, elle implique la mise en place d’un contrôle de la qualité dont une partie est réglementaire et l’autre contractuelle, avec l’achat d’un analyseur (coût de 300 à 400 000 euros !). Cependant, le marché de l’IAA est le marché principal en France à hauteur de 70 %, il maille le territoire et propose des prix d’achat plus élevés (jusqu’à 150 €/t). En Angleterre, 11 unités valorisent déjà leur CO2 auprès de cette industrie.

La demande annuelle de CO2 est assez stable, mais sa production et consommation actuelle n’est pas constante au cours de l’année, ce qui provoque des tensions d’approvisionnement (au printemps et à l’été) au détriment des petits consommateurs. Pour eux, un approvisionnement local en CO2, avec des prix stables et encadrés par un contrat, présente un réel intérêt. C’est notamment le cas de maraichers, dont plusieurs d’entre eux injectent du CO2 dans leurs serres pour accélérer la photosynthèse et ainsi la croissance des cultures. La qualité alimentaire du CO2 n’est pas requise et les consommations sont relativement importantes (100 à 330 t/ha/an). En revanche, ce marché présente une saisonnalité marquée, avec une chute conséquente de la demande de novembre à février.

L’unité de Métha Treil à Machecoul (44), qui depuis 2020 est le premier méthaniseur en France à valoriser les 1500 tCO2 co-produites chaque année, les vend à des serres voisines. Par ailleurs, un vaste réseau de serres est alimenté en CO2 issu de la méthanisation aux Pays-Bas.

Stocker le CO2

Toutefois, l’Ademe préconise les usages du CO2 avec stockage à long terme, comme exposé dans un avis d’expert en 2021. En effet, dans le cas de l’injection en serres, le CO2 absorbé par la plante n’est stocké que durant son cycle de vie (quelques mois au maximum). Certains procédés innovants permettent de stocker le CO2 plusieurs dizaines d’années dans des matériaux. C’est notamment le cas :

- de la décarbonation des déchets ;

- de la maturation du béton, dont le procédé conçu par CarbonCure permet de réduire le bilan carbone d’un m3 de 6 % ;

- du séchage du bois sous atmosphère de CO2 que développe la start-up w‑Ays.

La récupération du CO2 de la méthanisation contribue alors à « retirer » du CO2 de l’atmosphère par l’intermédiaire de la photosynthèse des plantes introduites dans le digesteur. C’est ce que le GIEC désigne comme les technologies BESCS pour Bioénergie avec Captage et Stockage de Carbone.

Enfin, parmi les usages émergents du CO2, plusieurs sont compatibles avec une valorisation directement sur un site de méthanisation (in situ). Cela permet de s’affranchir des coûts liés au transport.

- La méthanation permet de produire du gaz de synthèse à partir d’hydrogène et de CO2. Si les prix élevés de l’hydrogène n’en font pas encore une filière compétitive, les synergies nombreuses avec la méthanisation laissent espérer une amélioration de la compétitivité : récupération de la chaleur issue de la réaction de méthanation pour chauffer les digesteurs, épuration directe du biogaz, mutualisation du poste d’injection… Si l’hydrogène est produit à partir d’électricité, on parle de power-to-methane, un moyen de stocker l’électricité produite par des sources intermittentes.

- L’électrométhanogenèse permet de produire du méthane de synthèse. En présence d’eau et sous l’effet d’un courant électrique appliqué entre deux électrodes, des micro-organismes (dits électrophores) transforment le CO2 en CH4 (méthane). Il s’agit donc encore d’un procédé de power-to-methane. La découverte de ce procédé est récente mais des démonstrations à l’échelle du laboratoire ont fait leurs preuves.

L’Ademe n’envisage le power-to-methane qu’en couplage avec la méthanisation et estime son potentiel à 140 TWh en 2050.

La culture d’algues via l’injection de CO2 dans les bassins de production. Les débouchés de cette filière en expansion sont variés : alimentation humaine, animale, cosmétiques, médecine… Enfin, les algues peuvent servir d’intrants à la méthanisation. Très récemment, la start-up américaine Prometheus a mis en avant ses développements pour la fabrication de matériaux de substitution au béton à partir d’algues et de sable.

L’étude de GRDF n’évoque pas les procédés de précipitation du CO2 en Carbonate de sodium ou de potassium. Alcion (groupe Veolia) a développé un procédé sur ce principe qui vient d’être mis en place sur un vignoble et est en cours d’études sur une unité de méthanisation. Le CO2 serait alors transformé en bicarbonate, avec d’autres débouchés et peut-être un coût d’investissement moins important plus adapté à de petites unités. 

Comme on l’a vu, le CO2 biogénique issu de la méthanisation dispose de nombreux atouts : il a un haut niveau de pureté (> 98 %), reste une ressource stable dans le temps (volume/prix) et peut être disponible dans de nombreuses zones géographiques en corrélation avec les points d’injection de biométhane en service sur le territoire français. 

Appel d’offres CO2 biogénique

GRDF lance un appel à projets sur la valorisation du CO2 biogénique. Cet appel à projets (APP) qui s’étendra de mi-avril à mi-juin consiste à valoriser le Bio CO2 issu de la méthanisation dans l’IAA (Industrie Agroalimentaire). 

L’AAP a pour objectif premier de retenir et de soutenir un ou plusieurs projets de valorisation du CO2 biogénique dans le secteur agroalimentaire. Si cela est rendu possible, la volonté de cette recherche est d’intégrer plusieurs acteurs de la chaîne de valeur dans le projet. L’objectif est de mobiliser la filière dans son intégralité et de pouvoir analyser l’ensemble du processus. 

Les lauréats, quant à eux, auront plusieurs objectifs : la mise en place d’un diagnostic initial complet, avec définition des risques et barrières du projet. Les lauréats devront définir les traitements adaptés aux risques et barrières identifiés lors du diagnostic initial. Ils devront être en mesure de trouver des solutions et des moyens adaptés. Ils devront être capables de mettre en œuvre les différents moyens réfléchis afin d’obtenir des réponses aux questions et aux problèmes constatés dans le diagnostic initial. L’analyse de risque et de qualité, la définition des méthodes et des moyens ainsi que la possibilité de duplication des solutions apportées après l’étude sont les axes principaux de cet AAP.

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