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De nouveaux matériaux pourraient dépolluer notre air intérieur

Nous pas­sons 80 % de notre temps de vie dans des espaces clos, dans notre loge­ment, notre lieu de tra­vail et dans les trans­ports. Nous sommes donc très exposés à un air sou­vent plus pol­lué que l’air extérieur. La prob­lé­ma­tique de san­té dans les envi­ron­nements intérieurs est asso­ciée à une expo­si­tion chronique aux pol­lu­ants, et notam­ment aux com­posés organiques volatils (COV). Regroupés sous le nom de « syn­drome du bâti­ment mal­sain », les symp­tômes sont le plus sou­vent des irri­ta­tions des voies res­pi­ra­toires ou des maux de tête. Par­mi les COV, le formaldéhyde fait l’objet d’une atten­tion par­ti­c­ulière. Ce com­posé gazeux à pres­sion et tem­péra­ture ambiante est très fréquent dans nos envi­ron­nements intérieurs. Or le formaldéhyde est classé comme com­posé CMR (can­cérigène, mutagène, repro­tox­ique) de caté­gorie 1B. Il est donc soumis à une valeur guide en air intérieur revue de façon plus restric­tive depuis 2018.

Les sources des com­posés organiques volatils

Les COV peu­vent être émis dans les espaces intérieurs par des sources directes, ou sources pri­maires. Les matéri­aux sont sou­vent iden­ti­fiés comme des sources majeures, qu’ils soient asso­ciés au bâti (matéri­aux de con­struc­tion, bois agglomérés, par­quets, dalles de pla­fond), à l’ameublement (mobiliers con­sti­tués de pan­neaux de par­tic­ules, mouss­es), ou à la déco­ra­tion (pein­tures, revête­ments). Les colles, les résines et les liants con­tenus dans ces matéri­aux sont des sources claire­ment iden­ti­fiées et bien renseignées.

Pour iden­ti­fi­er cette prob­lé­ma­tique, il existe depuis 2012 un éti­que­tage oblig­a­toire de ces pro­duits, classés en ter­mes d’émission. Si les sources pri­maires asso­ciées au bâti sont aujourd’hui bien ren­seignées, celles liées aux activ­ités et aux choix des habi­tants en ter­mes de pro­duits de con­som­ma­tion sont plus déli­cates à car­ac­téris­er (activ­ités de ménage, cui­sine, tabag­isme…). Par exem­ple, quel pro­duit utilise-t-on pour faire le ménage, utilise-t-on des désodor­isants, des par­fums d’intérieur, aère-t-on régulière­ment le loge­ment ? Des travaux sont en cours dans notre lab­o­ra­toire pour mieux car­ac­téris­er les con­tri­bu­tions de ces pro­duits à la pol­lu­tion intérieure. Nous avons tra­vail­lé récem­ment sur les émis­sions de pro­duits d’entretien ain­si que sur leur élim­i­na­tion. Dernière­ment l’impact des huiles essen­tielles sur la qual­ité de l’air intérieur (QAI) a fait l’objet de travaux dans notre lab­o­ra­toire (à l’IMT Lille Douai) en parte­nar­i­at avec le CSTB (Cen­tre sci­en­tifique et tech­nique du bâti­ment) et en coor­di­na­tion avec l’Ademe.

Au-delà des sources pri­maires des COV, des sources sec­ondaires exis­tent qui résul­tent de la trans­for­ma­tion de COV pri­maires. Générale­ment, ces trans­for­ma­tions sont asso­ciées à des proces­sus oxy­dants. Par ces réac­tions, d’autres types de COV se for­ment, par­mi lesquels du formaldéhyde.

Quelles solu­tions face aux COV en air intérieur ?

Une approche dite « procédé destruc­tif » a été envis­agée voici une ving­taine d’années. L’idée con­sis­tait à faire pass­er l’air à traiter dans un dis­posi­tif de purifi­ca­tion afin de détru­ire les COV. Ces dis­posi­tifs sont autonomes, placés directe­ment dans une pièce afin d’en épur­er l’air, ou bien inté­grés sur une cen­trale de traite­ment d’air pour traiter l’air neuf entrant ou l’air recirculé.

La pho­to­catal­yse a été large­ment étudiée pour le traite­ment des COV en air intérieur, ain­si que les plas­mas froids. Ces deux procédés ont en com­mun de vis­er l’oxydation des COV, idéale­ment leur trans­for­ma­tion en CO2 et H2O. La pho­to­catal­yse est un procédé qui s’appuie sur la capac­ité d’un matéri­au, générale­ment le dioxyde de titane (TiO2), à adsor­ber et oxy­der les COV sous irra­di­a­tion aux rayons ultra-vio­lets. Le plas­ma froid est un procédé où, sous l’effet d’un champ élec­trique intense, des élec­trons vien­nent ionis­er une frac­tion de l’air qui cir­cule dans le dis­posi­tif, et for­mer des espèces oxydantes.

Les lim­i­ta­tions tech­niques de ces dis­posi­tifs rési­dent dans le fait qu’il faut canalis­er l’air à traiter, le faire cir­culer dans un sys­tème et surtout ali­menter en énergie les dis­posi­tifs de traite­ment. Par ailleurs, en fonc­tion de la con­cep­tion des dis­posi­tifs et de la nature de l’effluent à traiter (nature des COV, con­cen­tra­tion, taux d’humidité…), cer­tains dis­posi­tifs pou­vaient con­duire à la for­ma­tion de sous-pro­duits, dont le formaldéhyde… Aujourd’hui les normes disponibles pour cadr­er l’évaluation des per­for­mances de ce type de dis­posi­tifs évolu­ent au fil des avancées technologiques.

Ci-dessus : Pièce expéri­men­tale Iri­na (Inno­v­a­tive Room for Indoor Air stud­ies), IMT Lille Douai.

Depuis une dizaine d’années se dévelop­pent les solu­tions de remé­di­a­tion en air intérieur ori­en­tées sur l’adsorption des COV, c’est-à-dire leur piégeage. L’idée est d’intégrer dans les envi­ron­nements intérieurs des matéri­aux avec des pro­priétés adsor­bantes, afin de capter les COV. Sont ain­si apparus des matéri­aux de con­struc­tion, des pein­tures, des dal­lages, des tex­tiles inté­grant dans leurs com­po­si­tions des adsor­bants et revendi­quant ces propriétés.

Par­mi ces matéri­aux adsor­bants, deux approches se dis­tinguent. Cer­tains piè­gent les COV, et ne les réémet­tent pas, le proces­sus est défini­tif et irréversible. Le « piège à COV » se rem­plit mais devient inopérant après un cer­tain temps car sat­uré. Aujourd’hui, il appa­raît plus judi­cieux de dévelop­per des matéri­aux dont les pro­priétés de piégeage sont « réversibles » : lors d’un pic de pol­lu­tion, le matéri­au adsorbe le pol­lu­ant, et quand la pol­lu­tion dimin­ue, comme lorsqu’on aère la pièce par exem­ple, le pol­lu­ant est évacué.

Ces matéri­aux sont actuelle­ment en cours de développe­ment par des acteurs académiques et indus­triels. Il est intéres­sant de con­stater que si les matéri­aux étaient con­sid­érés il y a vingt ans comme des sources de pol­lu­ants en air intérieur, aujourd’hui ils sont envis­agés comme des puits de polluants.

Com­ment tester les fonc­tions dépol­lu­antes de ces nou­veaux matériaux ?

Plusieurs ver­rous tech­niques et sci­en­tifiques demeurent, quelle que soit la stratégie de remé­di­a­tion adop­tée. Le plus impor­tant est d’être capa­ble de tester ces nou­veaux matéri­aux à l’échelle  1:1, tels qu’ils seront util­isés par le con­som­ma­teur final, dans la « vraie vie ».

Il faut donc être capa­ble de tester ces matéri­aux dans une pièce de taille réelle, avec des con­di­tions représen­ta­tives d’atmosphères intérieures réelles, tout en maîtrisant par­faite­ment les paramètres envi­ron­nemen­taux. Cet aspect tech­nique est un des enjeux majeurs en recherche actuelle­ment en QAI puisqu’il déter­mine la représen­ta­tiv­ité et donc la valid­ité des résul­tats obtenus.

Au sein de notre lab­o­ra­toire, nous avons dévelop­pé voici quelques années une enceinte de grand vol­ume. Il s’agit d’une véri­ta­ble pièce de 40 m3, appelée IRINA (Inno­tive Room For Indoor Air Stud­ies) dans laque­lle il est pos­si­ble d’entrer. Elle fut, il y a neuf ans, la pre­mière pièce expéri­men­tale à échelle  1:1 com­pléte­ment con­trôlée et instru­men­tée en France. Depuis son développe­ment et sa val­i­da­tion, elle a accueil­li de nom­breux pro­jets de recherche et nous la faisons évoluer et pro­gress­er tech­nique­ment chaque année. Elle per­met de recréer la com­po­si­tion de l’air intérieur d’une mai­son à ossa­t­ure bois, d’un apparte­ment au-dessus du périphérique parisien, d’un bloc opéra­toire, et même d’une cab­ine d’avion moyen-cour­ri­er ! Grâce à elle, il est donc pos­si­ble d’étudier la qual­ité de l’air intérieur et les dis­posi­tifs de traite­ment dans des con­di­tions réelles. Con­nec­tés à cette pièce, nous dis­posons d’une mul­ti­tude d’instruments de mesure, par exem­ple pour mesur­er les COV, ou pour suiv­re la con­cen­tra­tion d’un COV spé­ci­fique, comme le formaldéhyde.

En parte­nar­i­at avec : theconversation.fr

À propos de l'auteur

Frédéric Thévenet

Professeur à l’institut Mines Télécom en physico-chimie hétérogène, atmosphère, qualité de l’air intérieur, IMT Nord Europe.

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