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Surcycler des déchets textiles : une piste pour mieux isoler les bâtiments ?

Atuellement, l’industrie textile est le cinquième secteur d’activité le plus polluant au monde. Ce secteur consomme beaucoup d’énergie et d’eau, mais aussi des quantités considérables d’engrais et de pesticides pour faire pousser les fibres, et de métaux lourds, phtalates, et colorants pour les transformer. Entre 7 000 et 11 000 litres d’eau sont estimés nécessaires pour la fabrication d’un seul jean à base de coton.

Parmi les 92 mégatonnes de déchets textiles produits par an, une grande partie est brûlée ou envoyée dans les décharges. Seuls 14 % de ces déchets sont réutilisés (seconde main) ou recyclés en matériaux à faible valeur ajoutée (sous-cyclage) : rembourrages de matelas, panneaux d’isolation notamment, tandis que 1 % est transformé en nouvelles fibres textiles (recyclage).

Entre 2000 et 2014, le nombre moyen de vêtements achetés par individu a doublé et la quantité de déchets a augmenté de 40 % en 30 ans, un phénomène accéléré par la fast fashion, le phénomène de renouvellement très rapide des collections de vêtements peu coûteux.

Le recyclage textiles est indispensable à une transition vers des modèles économiques circulaires et plus durables mais il est aujourd’hui coûteux. Fabriquer des matériaux à haute valeur ajoutée (surcyclage) permettrait de compenser ces coûts et de favoriser le développement de la filière.

Comment recycler les textiles ?

Le recyclage des déchets textiles implique l’utilisation de procédés chimique, mécanique, organique ou mixte. L’élaboration de nouvelles fibres filées à partir de déchets textiles est possible pour les tissus d’origine végétale de type coton ou viscose, car ces textiles sont composés d’une seule matière. En effet, la viscose, aussi appelée « fausse soie », est une fibre artificielle faite à partir de bois et présente une structure chimique finale similaire au coton.

Du déchet textile au matériau valorisable : monolithes (cylindres) et billes d’aérogels faits à partir de deux tissus 100 % viscose. Marion NégrierFourni par l’auteur

Au contraire, les textiles multicomposants sont très difficiles à recycler à cause des propriétés physico-chimiques très variées des différentes fibres. Par exemple, la plupart des fibres synthétiques telles que le polyester ou le polyamide peuvent être chauffées, fondues et mises en forme à haute température (autour de 200 °C), ce qui n’est pas faisable avec les polymères naturels tels que le coton ou la laine. Nous ne savons malheureusement pas encore séparer mécaniquement différents types de fibres actuellement à l’échelle industrielle.

Le développement de nouvelles approches de recyclage des déchets textiles est l’un des principaux axes de recherche de différents projets scientifiques, dont la création de nouveaux matériaux. En effet, le peu de déchets textiles récupéré et voué à être retransformé suit aujourd’hui soit une boucle de recyclage fermée – à nouveau utilisé pour créer de nouveaux fils et tissus – soit une boucle ouverte, menant à la création de matériaux différents.

Actuellement, les matériaux créés en « boucle ouverte » à partir de déchets textiles, comme les rembourrages de matelas, ont une faible valeur ajoutée par rapport à leur matière d’origine, le textile. Ainsi ce type de recyclage est appelé « sous-cyclage » ou downcycling.

Créer de nouveaux matériaux de haute valeur à partir de déchets textiles

Les déchets textiles ne font donc pour l’instant pas l’objet de valorisation par des procédés industriels de surcyclage ou upcycling en matériaux à haute valeur ajoutée. Pourtant ceux-ci pourraient permettre de contrer les coûts élevés des procédés de recyclage.

De plus, l’utilisation de l’important gisement de déchets textiles permettrait de valoriser une ressource qui pour le moment reste inexploitée, et de répondre à la demande croissante des industriels de remplacement de matières pétrosourcées par des biomatériaux (ici, la cellulose contenue dans les textiles).

C’est pourquoi ma thèse porte sur la transformation de déchets textiles à base de coton ou viscose en matériaux poreux de nouvelle génération et à haute valeur ajoutée, appelés « aérogels ».

Les aérogels pour l’isolation des bâtiments

Depuis plusieurs années, des aérogels à base de silice et de polymères pétrosourcés (non biosourcés donc) sont développés et utilisés à petite échelle en tant que « super isolants » thermiques pour le bâtiment – sachant que l’isolation est un des enjeux majeurs de la transition énergétique. Mais le coût élevé des matières premières et des procédés de fabrication impliquant des substances toxiques, ainsi que les mauvaises propriétés mécaniques des aérogels de silice, freinent leur développement à l’échelle industrielle.

Les « bio-aérogels » élaborés à partir de sources naturelles comme la pectine (pépins de pomme et écorce d’agrumes), l’amidon (pomme de terre, riz et maïs) et la cellulose (bois) possèdent des propriétés similaires aux aérogels classiques en termes de porosité et densité. De plus ils ont l’avantage d’être entièrement composés de matières premières renouvelables, c’est-à-dire inépuisables, sont 100 % biodégradables et non toxiques.

Les bioaérogels 100 % textiles sont dix fois plus légers que l’eau et hautement poreux – le diamètre des pores est compris entre 20 et 100 nanomètres, invisibles à l’œil nu. Ils contiennent plus de 90 % d’air. Si l’on déplie virtuellement un gramme de matériau aérogel, sa surface correspond à deux terrains de tennis (environ 400 m2). Ils présentent également des propriétés similaires aux aérogels faits de cellulose pure standard élaborée en laboratoire.

La structure interne, très poreuse, de notre aérogel de cellulose. La photo couvre environ 25 micromètres en largeur. Marion NégrierFourni par l’auteur

Leur porosité particulièrement élevée devrait permettre leur utilisation en tant que matériaux d’isolation thermique et acoustique dans le bâtiment et le secteur du transport.

Prenons comme exemple la transformation en biomatériau d’une chemise 100 % viscose provenant d’un gisement de post-consommation. Après effilochage du tissu, les fibres sont dissoutes grâce à des solvants spécifiques, permettant l’obtention d’une solution de « viscose liquide ». Après avoir fait gélifier ce liquide sous la forme désirée (cylindres, billes, formes sur mesure par impression 3D), le solvant est éliminé et le gel séché dans des conditions spécifiques, permettant d’obtenir un biomatériau sec poreux 100 % textile. Les tests de conductivité thermique montrent que les aérogels obtenus isolent mieux que les panneaux d’isolation fabriqués en textiles recyclés, il reste cependant à effectuer des tests grandeur nature dans des bâtiments. On observe une conductivité thermique entre 0,030 et 0,036 W/mK pour les aérogels face à 0.039–0,051 W/mK pour les isolants classiques en textile, qui transmettent donc plus la chaleur.

Une variante de ce procédé permet également de recycler le textile multicomposé comme le polycoton (mélange polyester/coton), où le coton est sélectivement dissous et le polyester récupéré pour être recyclé séparément.

Les autres applications des aérogels sus de déchets textiles

La fine porosité des aérogels de cellulose permettrait aussi de fabriquer des filtres à air pouvant être utilisés dans les salles blanches (industrie agroalimentaire, électronique) afin de piéger les particules et éviter les potentielles contaminations.

Outre leur biocompatibilité, la taille des pores des aérogels de cellulose peut être modifiée et adaptée selon l’application (de quelques dizaines de nanomètres à quelques dizaines de microns), il est alors possible d’y inclure une substance active et de contrôler son relargage au cours du temps.

Ainsi, ces biomatériaux peuvent être utilisés en tant que matrice contenant des médicaments ou des engrais. Les aérogels de cellulose peuvent également servir à l’élaboration de dispositifs médicaux spécifiques en tant que pansement antibactérien, ou comme support tridimensionnel pour la culture cellulaire.

Grâce à leurs propriétés physico-chimiques particulières, les aérogels de textile pourraient ainsi faire l’objet de multiples applications dans différents secteurs.

Article publié sur : theconversation.fr

À propos de l'auteur

Marion Négrier

Doctorante en chimie des matériaux, Mines Paris PSL.

À propos de l'auteur

The Conversation

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