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Le développement des énergies renouvelables en mer peut-il être calqué sur les plates-formes pétrolières ?

Extrait de l’analyse de Robert Bell parue sur le site de notre partenaire energiesdelamer.eu

Le 15 juin, le secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, identifiait clairement la principale cause du réchauffement climatique : « Regardons les choses en face. Le problème ne se situe pas seulement dans les émissions liées aux combustibles fossiles. Ce sont les combustibles fossiles eux-mêmes, un point, c’est tout ». Puis il déclarait le 20 septembre « le Sommet sur l’ambition climatique doit devenir le Sommet de l’espoir climatique ».

Robert Bell, professeur de management au Brooklyn College de la City University of New York avait fait paraître dans Le Monde une tribune sur les cas des majors du pétrole (Shell, BP et Abu Dhabi National Oil Company — ADNOC) qui ne peuvent pas véritablement se reconvertir dans les énergies renouvelables. Après deux événements majeurs récents, la démission de Bernard Looney, CEO de BP le 12 septembre dernier, et l’engagement de poursuites par l’État californien contre cinq des plus grosses compagnies pétrolières du monde (dont BP) le 15 septembre, Robert Bell remet en perspective pour energiesdelamer.eu sa tribune « Une grande compagnie pétrolière peut-elle faire sortir le monde du pétrole ? ».

Cette affirmation, généralement passée sous silence, renforce la controverse sur l’organisation par l’ONU de la prochaine grande conférence mondiale de lutte contre le réchauffement climatique, la COP28, à Dubaï aux Émirats arabes unis, un État pétrolier féodal. Lorsque l’émir d’Abou Dhabi a nommé le P.-D‑G. de sa compagnie pétrolière publique [Sultan Al Jaber], Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), à la tête de la conférence, il a jeté encore plus d’huile sur le feu.

Prenons un peu de recul par rapport à cette controverse et demandons-nous si une grande compagnie pétrolière peut faire sortir le monde du pétrole, demande Robert Bell.

Il énumère ainsi « des exemples pouvant nous éclairer. Tous sont liés au fonctionnement des marchés boursiers et à la culture des compagnies pétrolières. Les compagnies pétrolières non-étatiques mais cotées en Bourse sont obligées de verser des dividendes élevés pour que les fonds de pension conservent leurs actions. Elles rachètent même leurs propres actions sur le marché libre pour éviter que le prix ne baisse trop et que les fonds de pension ne les vendent pas.

Le piège du marché boursier

Shell, par exemple, est tombée dans le piège du marché boursier. Son P.-D‑G. visionnaire, Ben van Beurden, ingénieur chimiste diplômé de l’université de Technologie de Delft (Pays-Bas), en poste du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2022, avait bien tenté de transformer l’entreprise en un géant des énergies renouvelables, en y investissant de manière significative.

Lorsque la crise du Covid-19 a éclaté, il a continué à investir, mais avec des revenus en baisse. Il a alors commis le péché impardonnable de réduire les dividendes.

L’entreprise a remplacé l’ingénieur néerlandais, bien au fait des risques liés à l’élévation du niveau de la mer et à la crise climatique, par une personnalité plus internationale et plus orientée vers le profit, un Canadien d’origine libanaise formé aux Émirats arabes unis, Wael Sawan, titulaire d’un MBA de Harvard et jusque-là responsable des activités de Shell dans le domaine du gaz naturel au Qatar.

« La réponse ne peut pas être “je vais investir [dans des projets d’énergie propre] et avoir de mauvais rendements, pour me donner bonne conscience”. C’est une erreur. » a déclaré W. Sawan, cité dans le Financial Times du 17 juin 2023. Son objectif est d’égaler les flux de trésorerie des grandes compagnies pétrolières américaines, qui investissent lamentablement peu dans les énergies renouvelables.

Ce changement implique un investissement de 40 milliards de dollars (environ 36,4 milliards d’euros) jusqu’en 2025, afin d’ajouter une nouvelle production de pétrole et de gaz équivalente à 500 000 barils de pétrole par jour. De 10 à 15 milliards de dollars supplémentaires seront consacrés aux « technologies à faible émission de carbone », à savoir l’hydrogène, les biocarburants et la recharge des véhicules.

W. Sawan a déclaré : « Nous courons un risque lorsque nous confondons le concept d’attention portée aux personnes avec les décisions concernant la manière dont nous allouons nos capitaux. »

Shell n’est pas la seule compagnie pétrolière majeure à s’écarter de la voie de la sortie du pétrole. British Petroleum a aussi eu un P.-D‑G. visionnaire, Lord John Browne, qui a changé le nom de la société en BP (Beyond Petroleum, Au-delà du pétrole). Celle-ci a réalisé des investissements importants dans les énergies renouvelables. Mais Browne a brusquement démissionné en 2007 après la révélation selon laquelle il aurait menti à un tribunal au sujet de sa vie privée. Suite à son départ, l’entreprise a remis l’accent sur le pétrole. Seize ans plus tard, par une étrange coïncidence, une histoire très similaire s’est reproduite chez BP. Cette fois, le P.-D‑G. c’est Bernard Looney, citoyen irlandais et employé de BP depuis toujours et qui avait en fait travaillé en tant qu’assistant exécutif de John Browne, qui a démissionné à son tour le 12 septembre 2023.

Reste à savoir ce qu’il adviendra des investissements réels de BP dans le pétrole et le gaz naturel… et dans les énergies renouvelables.

Les désastres s’accumulent

Certaines des prédictions de l’organisation des Nations unies chargée d’analyser le réchauffement climatique, le GIEC, se sont vérifiées en 2022 et 2023. Anny Cazenave* qui a joué un rôle-clé dans la détermination de l’élévation du niveau de la mer en lien avec le réchauffement climatique, « grand témoin » de la première édition « Les Océanes La Baule », a présenté plusieurs éléments clefs sur le changement climatique dont un tableau récapitulatif des désastres observés en 2022 (ci-dessous).

Des cas exemplaires 

« L’unique exemple vraiment positif est probablement celui d’Ørsted (ex Danish Oil and Natural Gas — DONG Energy), majoritairement détenue par l’État danois : les actionnaires privés y sont minoritaires. En 2017, cette participation majoritaire de l’État lui a permis d’éviter la malédiction de la contrainte des marchés d’actions et de passer du forage en mer aux parcs éoliens en mer, devenant ainsi le plus actif au monde dans ce secteur », rappelle Robert Bell.

Comme Ørsted, la compagnie norvégienne Equinor développe parallèlement aux investissements pétroliers et gaziers une stratégie pour alimenter en électricité les plates-formes pétrolières et a largement investi dans les technologies des éoliennes flottantes. Des sociétés privées telles que les sous-traitants de l’industrie pétrolière et gazière comme SBM Offshore, Technip Energies, Doris… prennent ce chemin.

Hywind Tampen, premier parc éolien flottant opérationnel pour alimenter en électricité cinq plates-formes offshore

L’installation Hywind Tampen de 88 MW d’Equinor, onze éoliennes flottantes, est destinée à produire environ 35 % des besoins en électricité de cinq plates-formes pétrolières et gazières offshore situées à 140 kilomètres de la côte norvégienne et en eau profonde, soit 260 à 300 mètres. Les éoliennes flottantes sont parfaites pour ce type de profondeur.

Cette installation vise donc à réduire une part relativement faible de la contribution d’Equinor au réchauffement climatique (environ 11 %, selon https://www.offshore-technology.com), comme le souligne la citation du secrétaire général des Nations unies en tête de cet article, mais le véritable enjeu du réchauffement climatique est l’utilisation réelle du pétrole et du gaz extraits des puits, que ceux-ci soient terrestres ou non. Ainsi le projet Hywind Tampen est technologiquement impressionnant et très coûteux mais essentiellement de la propagande écologique, souligne Robert Bell.

Cela dit, ce projet confère à Equinor une réelle expertise dans la construction d’éoliennes flottantes en mer, comme sa compatriote nordique Ørsted. Equinor est également détenue majoritairement par son pays, la Norvège, à hauteur de 67 %, un pays démocratique, décent et éclairé. Equinor pourrait donc ignorer la malédiction du marché boursier et jouer un rôle majeur en sauvant nos petits-enfants du réchauffement climatique, en guidant le monde hors du pétrole. Mais le fera-t-elle ?

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