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Le quick commerce a‑t-il encore un avenir en France ?

Cajoo, Dija, Gopuff, Koll, Zapp, Gorillas, Frichti, Zap, Getir, Flink, Yango Deli… ils étaient nombreux voici deux ans sur la ligne de départ à vouloir introduire en France le quick commerce, la livraison rapide de courses à domicile. Aujourd’hui, après une vague de rachats et l’arrêt de plusieurs initiatives, seuls le turc Getir et l’allemand Flink maintiennent leurs opérations en France.

Or, selon le Financial Times, Getir serait à présent en pourparlers de rachat avec son concurrent Flink, ce qui conduirait à ce que ne persiste à terme qu’un opérateur… s’il réussit toutefois à dégager de l’argent, ce qui reste aléatoire maintenant que Getir a placé sa filiale française en redressement judiciaire début mai et que les quick commerçants ont récemment perdu une bataille réglementaire conduite par les villes, notamment la mairie de Paris.

Le quick commerce est-il ainsi en train d’être définitivement de l’histoire ancienne en France ? Ou, tel un mort-vivant, un ou plusieurs acteurs vont-ils dans les prochaines années réussir à imposer ce modèle ?

Des livraisons en quinze minutes

Le concept de quick commerce a connu un rapide développement depuis plusieurs années en Europe, aux États-Unis et en Asie. La pandémie de Covid-19 a constitué un accélérateur incontestable, notamment pendant les périodes de confinement propices à des achats en ligne. Il repose sur la promesse marketing que des biens de grande consommation soient disponibles dans les dix à quinze minutes qui suivent une commande sur un site Internet via une application. Pour tenir cette ambitieuse promesse (on parle de « livraisons instantanées »), les acteurs ont mis en place un système logistique original basé sur des dark stores, autrement dit de petits entrepôts dont l’objectif est d’assurer des livraisons ultra-rapides. Situé au cœur des villes, le dark store prend la forme d’un magasin « fantôme », garni de rayons où sont stockés les produits. Cependant, contrairement à un magasin traditionnel, celui-ci n’est pas accessible aux acheteurs, uniquement aux préparateurs de commandes qui prélèvent les produits, lesquels sont ensuite transportés par des livreurs à vélo électrique ou à scooter jusqu’au domicile ou au lieu de travail des acheteurs en ligne.

Présenté à la fin des années 2010 comme un bouleversement, le quick commerce se trouve aujourd’hui dans une phase d’explosion en plein vol, ce qui tient à plusieurs facteurs défavorables.

Un modèle économique difficile à trouver

Le premier obstacle du quick commerce réside dans la difficulté qu’ont eues les startups à trouver un modèle économique rentable, au vu de la concurrence initiale féroce entre les multiples acteurs sur ce marché. S’étant tous implantés dans les mêmes cœurs de villes, à un moment où la demande était encore faible, les quick commerçants ont éprouvé des difficultés à engranger suffisamment de commandes, ainsi qu’à augmenter le panier moyen d’achat qui était très faible.

Cette situation ne leur a pas permis de rentabiliser l’investissement que constitue la possession de dark stores et les nombreuses dépenses en systèmes d’information et de marketing indispensables pour une bonne visibilité (publicités, promotion sur commandes, etc.)

Si au départ, dans un contexte économique post-Covid où l’e‑commerce avait le vent en poupe et où les liquidités financières étaient disponibles, ces startups n’ont pas eu de difficultés pour se financer malgré leur absence de rentabilité, la situation a brutalement changé en 2022. L’inflation galopante a en effet mis fin à l’argent disponible gratuitement, ce qui a peu à peu asséché les financements du secteur, et conduit nombre d’entreprises à mettre la clef sous la porte.

La concurrence des drive piétons

Une deuxième explication des difficultés rencontrées par les quick commerçants est l’essor des drive piétons, notamment poussé par Leclerc et Auchan comme le montrent les cartes publiées dans l’édition 2023 de l’étude L’essentiel drive et e‑commerce alimentaire, éd. Dauvers (en téléchargement libre). S’appuyant sur les drive situés en périphérie des villes, ceux-ci ont implanté dans les centres urbains des points-relais, dans lesquels les consommateurs peuvent retirer leurs courses. À la différence du quick commerce, le consommateur doit faire l’effort de retirer les produits à pied. Il doit également attendre un peu pour retirer sa commande : s’il la passe le matin, celle-ci est disponible en moyenne trois heures plus tard.

Comme nous le relevons dans une comparaison entre les deux services qui fait l’objet d’une recherche à paraître dans la revue Droit et Ville, si le service logistique associé est donc dégradé par rapport aux quick commerce, avec le drive piéton, le consommateur bénéficie d’un assortiment bien plus varié (10 000 produits stockés dans les drive piétons contre 2500 dans les dark stores), et d’une offre à un prix hypermarché. Et au vu de l’extension faramineuse de ces drive piétons dans les villes, les consommateurs semblent bel et bien suivre cette proposition de valeur…

Entraves juridiques

La troisième explication réside dans la lutte juridique menée par les villes contre cette forme de commerce. À Paris, les dark stores se sont implantés dans d’anciens commerces (supérettes, magasins, restaurants), des bureaux en rez-de-chaussée ou encore d’anciens cabinets médicaux ou paramédicaux. Cette nouvelle activité a parfois généré des nuisances sonores pour les riverains, dues à la présence des livreurs effectuant des tournées jusque tard le soir. Sous la pression de ces riverains mécontents, la mairie de Paris a mis en demeure Gorillas (depuis lors racheté par Getir) en 2022, le sommant de remettre « dans leur état d’origine » neuf locaux, sous peine d’une astreinte administrative de 200 euros par jour de retard. L’argument sous-jacent était le caractère illégal de leur statut : non pas des commerces mais des entrepôts, et devant à ce titre respecter la législation en vigueur.

Saisi en urgence par Gorillas, le tribunal administratif de Paris a contesté une telle interprétation, en argumentant que ceux-ci pouvaient être considérés comme des « espaces de logistique urbaine » qui, contrairement aux entrepôts, ne sont pas interdits par le plan local d’urbanisme parisien. Mais le 23 mars 2023, le Conseil d’État a jugé finalement que les dark stores étaient bel et bien des entrepôts et non des magasins au sens du Code de l’urbanisme. Dès le 24 mars 2023 fut ainsi publié au Journal officiel le décret n° 2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme. Il confirme en tous points la position du Conseil d’État quant au statut des dark stores (en y ajoutant d’ailleurs la question des dark kitchens, cuisines dédiées aux plats vendus exclusivement en livraison).

Le réveil des morts-vivants ?

Au vu de cet ensemble de facteurs, l’avenir semble scellé pour le quick commerce. Mais pour conclure ce tour d’horizon, nous voudrions souligner que tout n’est pas totalement perdu et qu’il reste encore pour les quick commerçants des raisons d’espérer.

Aujourd’hui, il ne reste plus que deux acteurs de taille mondiale sur ce marché : Gopuff, rentable dans certaines villes aux États-Unis, et Getir, pour qui la situation est la même en Turquie. Alors que Gopuff s’est retiré du marché français, Getir peut éventuellement réussir en France, maintenant que le marché est débarrassé de la concurrence et qu’il lui sera ainsi plus facile de rentabiliser ses opérations avec un volume de commandes plus important.

Par ailleurs, la législation récente sur les dark stores nous semble pouvoir à terme être modifiée. Comment expliquer en effet la qualification en entrepôt des dark stores, quand on sait que les drive, qui sont des entrepôts de 5 000 m2, sont considérés par la loi Alur comme des commerces ?

Alors qu’il existe une vraie demande de la jeune génération pour cette forme de commerce, qu’elle est pertinente pour des urbains pressés, on peut ainsi penser que cette forme de commerce a encore un avenir. Et que, si elle ne bouleversera pas de fond en comble la distribution, elle peut s’imposer comme étant un segment parmi une foule d’autres d’une offre omnicanale dans la distribution alimentaire.     

En partenariat avec : theconversation.fr

À propos de l'auteur

Aurélien Rouquet

Professeur de logistique, Neoma Business School.

À propos de l'auteur

Gilles Paché

Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université (AMU).

À propos de l'auteur

The Conversation

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