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Enebio : incorporer des biodéchets

Le site de méthanisation Enebio situé à Dierrey-Saint-Julien dans l’Aube présente plusieurs particularités : un réseau d’épandage du digestat de 11 km et sans doute bientôt une collecte du CO2. L’unité a aussi été conçue dès le départ pour accueillir des biodéchets grâce à un déconditionneur et une unité d’hygiénisation.

Producteur de fruits et de céréales, Damien Dhulst entame une réflexion en 2020 sur un projet de méthanisation. « J’ai invité à l’époque tous les agriculteurs du village pour leur faire part de mon projet. Trois d’entre eux, des céréaliers, ont souhaité me rejoindre pour créer cette unité de méthanisation. Étant voisins, nous bénéficions d’un ensemble de 1 100 ha dans un rayon de 4 km. »

Grâce à une expérience professionnelle précédente de directeur commercial dans l’industrie de la pomme, Damien Dhulst aborde ce projet de manière industrielle afin d’organiser au mieux le méthaniseur pour un projet qui verra le jour en 3 ans seulement. L’injection est préférée à la cogénération du fait de la proximité d’un réseau GRT. Les terres étant regroupées, Enebio a aussi développé un réseau de 11 km de tuyaux pour distribuer, grâce à des pompes, le digestat sur les parcelles.

Réseau d’épandage du digestat

« Spécificité de notre site, nous avons une cuve de réserve de 10 000 m3 de digestat reliée à un réseau enterré de 11 km avec 2 petites cuves déportées de 2300 m3. Une pompe pousse le digestat dans les tuyaux et nous permet de le recueillir au plus près des terres. Il est ensuite relié par un tuyau à l’épandeur sans tonne système Listech du tracteur. 

Cela permet d’éviter un transport coûteux et également de ne pas tasser nos sols. Ce système a été possible grâce aux concentrations géographiques de nos terres, mais aussi grâce aux digestats liquides (matières sèches : 6 à 7 %). Les législateurs devraient d’ailleurs s’abstenir d’imposer aux agriculteurs des dates d’épandage trop contraignantes. Les exploitants agricoles savent très bien quels sont les moment opportuns pour un retour au sol des digestats, selon la météo, le type de sols et l’humidité de la terre.

Malgré les coûts d’investissement, cette démarche nous évite des frais de transport importants et nous permet d’optimiser le retour au sol sur chaque parcelle, poursuit Damien Dhulst. Enebio a été également le troisième site français, et premier site de la région Grand-Est, certifié Red 2 et injecte aujourd’hui 330 Nm3/an avec un objectif de 400 Nm3 à terme.

Déconditionner et hygiéniser

Côté intrants, le site bénéficie de l’apport de cives (cultures intermédiaires à vocation énergétique). 

A la suite des seigles et triticales (cives), nous implantons tournesol, sarrasin, sorgho. Notre réflexion dès le départ était de ne jamais être en rupture d’alimentation. Outre les produits de nos exploitations, nous avons souhaité pouvoir incorporer des déchets organiques avec les acteurs locaux à hauteur de 30 à 40 %. Nous avons donc organisé une étude de marché dans la région pour repérer les gisements potentiels et comprendre quels produits nous pourrions hygiéniser et déconditionner. Aujourd’hui, nous incorporons des produits d’industrie agroalimentaire (graisse animale par exemple) mais nous pouvons aussi déconditionner des produits provenant de l’industrie, des biodéchets de cantines ou de collectivités. En effet nous avons acquis un déconditionneur Flexidry de Green Creative. Celui-ci est particulièrement performant puisque nous avons un taux de plastique inférieur à 0,1 % (la norme est de moins de 0,5 %). Il fonctionne grâce à la pression qui éclate le produit sans le déchiqueter et qui permet une bonne séparation de la soupe et des emballages.

Nos intrants organiques sont ensuite hygiénisés après broyage inférieur à 12 mm. Des cuvées de 5 m3 d’intrants sont montés à 70° C pendant une heure, une opération qui prend 4 à 5 heures par cuvée selon la durée de la montée et de la descente en température.

Problèmes des biodéchets des collectivités

Il est très important que nous ayons un bon retour au sol avec l’incorporation d’un  digestat de qualité, ce qui implique  un bon déconditionnement des biodéchets en amont, car nous ne pouvons pas nous permettre d’épandre des digestats avec des résidus de plastiques. 

Mais comme on le voit, cela demande une préparation coûteuse. Par ailleurs, si notre opérateur examine les intrants organiques pour écarter d’éventuels éléments métalliques, nous ne sommes pas à l’abri d’une casse (ce qui nous est arrivé avec une partie de caniveau en fonte, par exemple). Donc le coût de traitement des biodéchets des collectivités pour les intégrer dans notre digesteur est très coûteux. Or il se trouve que nous sommes moins rémunérés pour ces déchets. En effet les déchets P1, déchets des collectivités (hors boues de station d’épuration), déchets des ménages et assimilés ou déchets de la restauration hors foyer ont une prime aux intrants de 5 €/MWh. Les déchets P2, produits issus de cultures intercalaires à vocation énergétique et des déchets ou résidus provenant de l’agriculture, de la sylviculture, de l’industrie agroalimentaire ou des autres agro-industries ont quant à eux une prime aux intrants de 21,67  €/MWh.

Pour résumer, nous touchons 17 €/MWh de moins lorsque l’on traite des déchets issus des ménages, déchets RHF. Cela signifie que le gaz que nous produisons à partir de ces produits nous est payé environ 15 % de moins. Nous n’avons donc que peu d’intérêt à rentrer ce type de produits sur notre site car ils sont plus difficiles à traiter (moins propres avec présence de corps étrangers) et nous perdons en CA. D’autant que le pouvoir méthanogène de ces produits n’est pas toujours très élevé.

Selon moi, les biodéchets de collectivités devraient être au contraire payés 15 à 20 % de plus du fait des coûts de prétraitement et des contraintes inhérentes à ce type de déchet.

À‑coups biologiques

Aujourd’hui Enebio traite 3500 à 4000 t de biodéchets. Nous aimerions passer à 10 000 tonnes, mais les collectivités de notre secteur ne sont pas prêtes. 

Gérer une méthanisation comportant des intrants de sources différentes demande une gestion plus fine pour avoir un bon fonctionnement biologique du digesteur. Nous avons donc intégré notre propre laboratoire en interne pour gérer de manière optimum les flux de matières que l’on reçoit et éviter les à‑coups biologiques. Tel ration « riche » sera par exemple introduite progressivement en complément de rations de moindre potentiel méthanogène. Pour la performance de notre unité, nous venons de recruter un ingénieur pour nous aider à trouver les meilleures recettes pour un équilibre organique de notre digesteur. 

Enfin, il y a une bataille sur les déchets organiques du fait de l’implantation de grosses unités non agricoles. À ce sujet, j’aimerais dire aussi que les unités de méthanisation agricoles sont bien plus vertueuses que certaines grosses unités gérées par des énergéticiens qui épandent les digestats sur des distances allant jusqu’à 50/60 km, un non-sens écologique à mon avis. Le maillage des méthaniseurs doit à mon sens reposer sur le maillage des agriculteurs locaux qui peuvent effectuer un retour au sol local sur leurs terres, avec une diminution conséquente d’achat d’engrais chimiques et qui sont sensibles au respect des riverains, puisqu’eux-mêmes vivent sur place. Les grands groupes adossés à l’industrie peuvent déstabiliser une filière qui doit impérativement demeurer ou intégrer le monde agricole.

Récupération du CO2

Cela fait un an que nous travaillons en concertation avec les industries alimentaires locales consommatrices de CO2 alimentaire. Nous devrions mettre en place un outil de récupération de CO2 biogénique sur notre site de méthanisation avec une épuration de ce CO2 pour qu’il soit aux normes alimentaires, l’objectif étant qu’il soit utilisé localement, toujours dans l’optique d’économie circulaire et durable.

Le CO2 est un sujet complexe si l’on veut travailler avec l’alimentaire, car nous n’avons pas le droit à l’erreur sur la pureté de notre CO2. Un CO2 contaminé peut être dangereux, nous ne pouvons prendre aucun risque. La difficulté est de savoir quelles substances dangereuses sont à rechercher dans les analyses. C’est pourquoi nous avons fait appel à un consultant spécialisé, EasyCO2. Avec son dirigeant Daniel Fath nous avons travaillé avec une approche industrielle.

Compte tenu de l’investissement nécessaire pour garantir un CO2 alimentaire, nous considérons que la limite du seuil de rentabilité se situe à 300 Nm3/h avec les valeurs du CO2 actuelles. » 

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