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Les enjeux géopolitiques de la transition énergétique

Depuis 2010, la République pop­u­laire de Chine (RPC) est le pre­mier con­som­ma­teur mon­di­al d’énergie pri­maire, devant les États-Unis. L’ambitieux plan de relance de l’économie chi­noise (novem­bre 2008), comme le développe­ment d’un vaste marché de con­som­ma­teurs (en 2012, près de 20 mil­lions de véhicules neufs ont été ven­dus dans le pays), ont per­mis à la Chine de main­tenir un fort taux de crois­sance (8,2 % en 2012). Le char­bon, dont la con­som­ma­tion a plus que dou­blé entre 2000 et 2012, demeure l’énergie pri­maire prin­ci­pale­ment brûlée dans le pays.

La Chine doit répon­dre à la forte demande d’électricité (dont le pays est devenu, en 2011, le pre­mier pro­duc­teur mon­di­al), qui s’explique par la crois­sance du pays et l’urbanisation (à l’heure actuelle, seule la moitié de la pop­u­la­tion est cita­dine). Le développe­ment du parc de cen­trales nucléaires est devenu une pri­or­ité, puisque le retard du pays est fla­grant. Seuls dix-sept réac­teurs nucléaires fonc­tion­nent actuelle­ment, con­tribuant à 2 % de la pro­duc­tion d’électricité, con­tre 80 % pour le char­bon et 16 % pour l’hydroélectricité. Vingt-huit nou­veaux réac­teurs sont en cours de con­struc­tion, et la cat­a­stro­phe de Fukushi­ma n’a guère ralen­ti les pro­jets nucléaires de la Chine, où les débats publics con­sacrés à l’atome restent très lim­ités. L’Inde, qui est désor­mais le qua­trième con­som­ma­teur mon­di­al d’énergie pri­maire, partage le même intérêt pour le nucléaire civ­il. Le mod­èle de développe­ment de l’Inde suivi depuis une quin­zaine d’années, fondé sur des activ­ités à faible inten­sité de main‑d’œuvre, mais à forte inten­sité de cap­i­tal intel­lectuel (comme l’informatique ou les biotech­nolo­gies), n’est pas suff­isam­ment créa­teur d’emplois. L’Inde développe à son tour une puis­sante indus­trie, forte­ment con­som­ma­trice d’énergie, comme la sidérurgie et l’automobile. La sit­u­a­tion de l’Inde est déjà par­ti­c­ulière­ment préoc­cu­pante, puisque le pays importe 75 % de sa con­som­ma­tion en pét­role. Le pro­gramme nucléaire civ­il de l’Inde a été con­trar­ié par son refus d’adhérer au Traité de non-pro­liféra­tion (TNP). Mais depuis sep­tem­bre 2008, New Del­hi a obtenu de la part des mem­bres du Groupe des four­nisseurs nucléaires (GFN), le droit d’acheter de la tech­nolo­gie nucléaire civile sous la sur­veil­lance de l’Agence inter­na­tionale de l’énergie atom­ique (AIEA), tout en con­ser­vant son arse­nal nucléaire mil­i­taire. Une mesure qui per­me­t­tra de con­stru­ire de nou­velles cen­trales atom­iques (actuelle­ment vingt réac­teurs, mais de faibles puis­sances, four­nissent moins de 4 % de la pro­duc­tion d’électricité du pays).

Con­traire­ment aux pays émer­gents comme l’Inde ou le Brésil, les États-Unis ont une par­faite maîtrise de ces tech­nolo­gies nucléaires com­plex­es, mais depuis l’accident sur­venu dans la cen­trale de Three Mile Island en Penn­syl­vanie (mars 1979), aucun nou­veau réac­teur n’a été con­stru­it dans le pays. L’adoption par le Con­grès de l’Energy Pol­i­cy Act en août 2005 con­stitue une pre­mière inflex­ion de la poli­tique améri­caine, puisque la pri­or­ité est accordée à la pro­mo­tion des éner­gies renou­ve­lables et au développe­ment de nou­velles cen­trales atom­iques. En févri­er 2012, les autorités améri­caines ont accordé leur autori­sa­tion pour la con­struc­tion de deux nou­veaux réac­teurs dans la cen­trale de Vog­tle, dans l’État de Géorgie (cf. pho­to ci-con­tre). Mais ce pro­jet sem­ble com­pro­mis depuis la cat­a­stro­phe de Fukushi­ma, et la remise en ques­tion du pro­gramme atom­ique au Japon et en Allemagne.

Depuis juil­let 2011, les États-Unis sont rede­venus expor­ta­teurs de pro­duits pétroliers, une sit­u­a­tion inédite depuis 1949 et qui annonce de pro­fonds change­ments. La mise en valeur du pét­role issu des roches de schiste con­naît une rapi­de pro­gres­sion, par­ti­c­ulière­ment au Texas, dans l’Oklahoma et dans le Dako­ta du Nord, grâce à l’amélioration des tech­niques d’extraction. Cette nou­velle pro­duc­tion explique la diminu­tion d’un tiers des impor­ta­tions nettes de pét­role (c’est-à-dire le vol­ume des impor­ta­tions moins celui des expor­ta­tions) entre jan­vi­er 2008 et jan­vi­er 2013. Si cette évo­lu­tion se con­firme, l’Amérique pour­rait être en mesure de réduire dras­tique­ment sa dépen­dance à l’égard de l’étranger au cours de la prochaine décen­nie, et de ce fait assur­er son indépen­dance énergé­tique. Les don­nées pub­liées par l’Agence pour l’information sur l’énergie (EIA) (2) sont plutôt encour­ageantes : la pro­duc­tion améri­caine pour­rait dépass­er celles de l’Arabie saou­dite et de la Russie dès la fin de cette décen­nie. Les États-Unis devraient néan­moins con­tin­uer de porter à la région du Moyen-Ori­ent un intérêt soutenu, puisqu’elle assure un cinquième des impor­ta­tions en pét­role de l’Union européenne. Par leur présence mil­i­taire dans le golfe Arabo-Per­sique, les États-Unis garan­tis­sent la lib­erté de cir­cu­la­tion mar­itime et de fac­to con­trô­lent l’approvisionnement pétroli­er des pays asi­a­tiques, et plus par­ti­c­ulière­ment de la Chine.

Mais cette sécu­rité énergé­tique risque d’être obtenue au mépris de l’environnement. La néces­sité de créer des emplois et donc d’offrir une énergie abon­dante et bon marché amène à ignor­er les con­séquences néfastes d’une exploita­tion inten­sive des hydro­car­bu­res par le biais de la frac­tura­tion hydraulique. En Europe égale­ment, l’Allemagne et la Pologne envis­agent, mais dans un cadre régle­men­taire plus strict, d’exploiter leurs ressources de gaz non con­ven­tion­nel. La Chine s’est engagée dans la mise en valeur de ses réserves de gaz de schiste (estimées autour de 25 000 mètres cubes, soit un niveau com­pa­ra­ble à celles des États-Unis). L’absence de débats publics sur le sujet facilite cette démarche, même si de nom­breux doutes sub­sis­tent sur la capac­ité tech­nique des entre­pris­es chi­nois­es à men­er à bien de tels pro­jets industriels.

La Chine, désor­mais le deux­ième con­som­ma­teur et impor­ta­teur mon­di­al de pét­role, a vu sa con­som­ma­tion dou­bler depuis 2000. Aujourd’hui, la Chine doit importer 53 % de sa con­som­ma­tion en pét­role, une pro­por­tion qui passera prob­a­ble­ment à près de 80 % en 2030. Au début des années qua­tre-vingt-dix, les sociétés chi­nois­es priv­ilé­giaient les investisse­ments dans les zones à risques ou dans des États soumis à des sanc­tions inter­na­tionales, comme le Soudan et la Libye, afin d’obtenir des con­di­tions con­tractuelles plus avan­tageuses. Puis les groupes chi­nois ont prospec­té en Afrique, en Amérique latine et en Asie cen­trale, pour acquérir des droits d’exploitation de gise­ments d’hydrocarbures (3). Depuis quelques années, grâce au sou­tien financier des pou­voirs publics, plusieurs opéra­tions de rachat ont été effec­tuées, comme sur les entre­pris­es cana­di­ennes PetroKaza­khstan, Addax et Day­light Ener­gy, ce qui per­met d’accéder à leur tech­nolo­gie et à leurs réserves pétrolières. Ces acqui­si­tions devraient se pour­suiv­re dans les prochaines années. La hausse régulière de la pro­duc­tion de char­bon, comme de pét­role et de gaz (4), ces dix dernières années, ne fait que ralen­tir le déclin pour­tant à terme inéluctable, de ces éner­gies pri­maires. Et la mise en valeur du pét­role et du gaz non con­ven­tion­nels doit être prise avec pru­dence, tant les incer­ti­tudes sont grandes, notam­ment sur le ren­de­ment offert par les puits et les con­séquences écologiques de cette exploitation.

Une lente, mais réelle tran­si­tion énergétique

La forte pro­duc­tion d’énergie fos­sile ne doit pas mas­quer une réal­ité : l’utilisation des éner­gies renou­ve­lables pro­gresse régulière­ment. Depuis 2000, la capac­ité instal­lée d’énergie éoli­enne dans le monde a été mul­ti­pliée par près de 20, et la fab­ri­ca­tion de bio­car­bu­rants par six (mais elle demeure assurée à hau­teur de 70 % par les États-Unis et le Brésil). En Chine comme en Inde, un effort est engagé pour accroître la part des éner­gies renou­ve­lables. Une con­science écologique est en train de naître dans ces pays, longtemps unique­ment préoc­cupés par leur crois­sance économique. L’opinion publique a évolué devant l’ampleur de la pol­lu­tion et les con­séquences par­fois dra­ma­tiques de l’activité indus­trielle (nappes phréa­tiques souil­lées, rejets tox­iques dans les fleuves) et de l’urbanisation.

La Chine dis­pose de plusieurs atouts dans ce domaine. En pre­mier lieu, sa géo­gra­phie, avec de vastes déserts comme ceux du Xin­jiang ou de Gobi, qui offrent une longue durée d’ensoleillement, et des fleuves au débit puis­sant, qui s’étendent sur plusieurs mil­liers de kilo­mètres, comme le Yangt­sé. Les coûts de revient dans l’industrie per­me­t­tent aux entre­pris­es comme Sun­tech ou JA Solar, de fab­ri­quer plus de la moitié des pan­neaux solaires ven­dus dans le monde à des prix très com­péti­tifs. Pour le moment, l’énergie hydraulique assure 90 % de la pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable. La RPC est le pre­mier pro­duc­teur mon­di­al d’hydro-électricité – devant le Brésil – et d’énergie éoli­enne – devant les États-Unis. Après l’inauguration du bar­rage des Trois Gorges, d’autres infra­struc­tures hydrauliques sont en cours de con­struc­tion ou à l’étude. En Inde, la part des éner­gies renou­ve­lables a forte­ment pro­gressé. Le vaste lit­toral du pays (7 000 km) lui per­met d’être le cinquième pro­duc­teur mon­di­al d’énergie éoli­enne. Mais en Asie, con­traire­ment à la sit­u­a­tion au Brésil et aux États-Unis, la part des bio­car­bu­rants restera très faible dans les années à venir, du fait de la sur­face agri­cole très réduite. La Chine et l’Inde, qui comptent 37 % de la pop­u­la­tion mon­di­ale, ne pos­sè­dent que 14 % des ter­res agri­coles cul­tivables mon­di­ales, d’après les don­nées de la Food and Agri­cul­ture Orga­ni­za­tion (FAO, Nations Unies).

Une nou­velle géo­gra­phie de l’énergie 

Si la mise en valeur des gise­ments de gaz et de pét­role de schiste se con­fir­mait en Amérique du Nord et en Chine, les prix du gaz devraient sen­si­ble­ment baiss­er. Déjà aux États-Unis, sur le prin­ci­pal marché spot (5), le Hen­ry Hub, le prix du gaz est en févri­er 2013 de 3,43 dol­lars pour un mil­lion de BTU (6) con­tre 8,8 dol­lars en 2008, et un dilemme appa­raît entre les par­ti­sans d’exporter cette pro­duc­tion vers l’Europe, et ceux désireux de la con­serv­er pour offrir aux indus­triels et aux par­ti­c­uliers une énergie bon marché. Un cli­vage entre Hous­ton et Détroit. Pour l’instant, seul le pro­jet du groupe Chenière de con­stru­ire une usine de liqué­fac­tion du gaz naturel en Louisiane, a été autorisé. Les expor­ta­tions améri­caines de gaz naturel liqué­fié (GNL) ne pour­raient que con­trari­er la Russie, dont les prix du gaz restent par­ti­c­ulière­ment élevés, à cause des droits de tran­sit à vers­er à la Biélorussie et à l’Ukraine, et de son index­a­tion sur le cours du pét­role. Le prix du gaz russe s’établit autour de 10,6 dol­lars le mil­lion de BTU.

La Russie four­nit aujourd’hui de l’ordre du tiers du gaz et du pét­role importé par l’Union européenne. En dépit de cer­taines vicis­si­tudes, la Russie doit être recon­nue comme un four­nisseur loy­al, puisque l’approvisionnement en hydro­car­bu­res des Européens n’a jamais été men­acé, y com­pris lors de la guerre froide. Rap­pelons égale­ment que l’Union européenne est le pre­mier parte­naire com­mer­cial de la Russie (et lui achète près de 60 % de ses expor­ta­tions de gaz). La Russie red­oute non seule­ment l’arrivée sur le marché européen du GNL en prove­nance des États-Unis, mais égale­ment le développe­ment des gise­ments de gaz de schiste en Algérie et en Pologne, dont les réserves sont jugées promet­teuses. La Chine, qui fai­sait fig­ure de client poten­tiel pour Gazprom, préfère s’approvisionner en Asie cen­trale, par­ti­c­ulière­ment au Turk­ménistan, et met en valeur ses pro­pres réserves de gaz de schiste. Vladimir Pou­tine a été lucide en affir­mant en avril 2012, devant la Douma, que le gaz de schiste con­sti­tu­ait un « grave défi » pour le pays. La baisse des cours des hydro­car­bu­res risque de ruin­er les efforts de recon­struc­tion de la Russie, entre­pris depuis l’arrivée au pou­voir de Pou­tine en 2000. Ces évo­lu­tions pour­raient amen­er la Russie à envis­ager une coopéra­tion énergé­tique plus étroite avec le Japon. Après l’accident de Fukushi­ma, le Japon a décidé de fer­mer 48 de ses 50 réac­teurs nucléaires (7), le temps d’effectuer des mis­es aux normes de sécu­rité plus rigoureuses. L’avenir du pro­gramme nucléaire de l’archipel est encore flou, puisqu’à la fin de l’année dernière, le Pre­mier min­istre Shin­zo Abe (issu du PLD, une for­ma­tion de cen­tre droit) a promis de relancer la con­struc­tion de nou­veaux réac­teurs, mais présen­tant une meilleure sécu­rité. Une affir­ma­tion qui tranche avec les déc­la­ra­tions de son prédécesseur, qui en sep­tem­bre 2012 avait annon­cé que le pays allait fer­mer pro­gres­sive­ment ses cen­trales atom­iques dans un délai de trente ans. En atten­dant une posi­tion défini­tive, il est néces­saire de recourir aux impor­ta­tions d’hydrocarbures. La Russie, en dépit de sa prox­im­ité géo­graphique, n’est qu’un four­nisseur mar­gin­al de gaz naturel au Japon (elle cou­vre 8,5 % de ses impor­ta­tions). Une sit­u­a­tion qui s’explique par des con­traintes tech­niques (le gaz exporté vers le Japon doit être liqué­fié, ce qui néces­site la con­struc­tion d’infrastructures coû­teuses) et des raisons poli­tiques. Le con­tentieux des îles Kouriles (8) enven­ime tou­jours les rela­tions diplo­ma­tiques entre les deux États, qui n’ont pas signé de traité de paix depuis 1945. Moscou et Tokyo devraient trou­ver dans les prochaines années un modus viven­di, afin d’exploiter en com­mun les gise­ments gaziers de l’Extrême-Orient russe. L’adhésion de la Russie à l’OMC offrira égale­ment un envi­ron­nement juridique plus fiable aux investis­seurs étrangers. Le Japon pour­suit égale­ment ses recherch­es con­cer­nant les réserves de gaz issus des hydrates de méthanes, situés dans ses fonds marins.

La crise énergé­tique est sans doute à venir 

Le choc pétroli­er larvé que subis­sent les économies occi­den­tales n’est pas com­pa­ra­ble aux trois crises précé­dentes (lors de la guerre du Kip­pour en 1973, au moment de la révo­lu­tion en Iran en 1979, et lors de la pre­mière guerre du Golfe en 1990), ni dans son ampleur, ni dans ses raisons. Aujourd’hui, il s’agit non d’une crise de l’offre, mais de la demande. Pen­dant l’année 1974, au moment du pre­mier choc pétroli­er, la pro­duc­tion mon­di­ale de pét­role avait été réduite de 5 %. Or aujourd’hui, jamais la pro­duc­tion n’a été aus­si impor­tante, entre 2000 et 2011, elle a aug­men­té de 11 %, afin de suiv­re le rythme de la con­som­ma­tion mon­di­ale. Ensuite, si les cours du pét­role sem­blent attein­dre des som­mets (avec un bar­il de brent (9) à Lon­dres à 111 dol­lars au début du mois de mars 2013), ils restent com­pa­ra­bles à ceux con­statés au moment du deux­ième choc pétroli­er. En jan­vi­er 1981, le bar­il de pét­role de brent s’établissait à 38,85 dol­lars, soit en mon­naie courante, 99 dol­lars. En moyenne, en 2010, le prix du bar­il de brent s’est établi à 79 dol­lars puis à 111 dol­lars en 2011. Le poids du pét­role dans la con­som­ma­tion glob­ale d’énergie s’est aus­si réduit, per­me­t­tant d’amortir plus facile­ment le choc. En France, la con­som­ma­tion de pét­role a bais­sé d’un tiers depuis 1973.

À pre­mière vue, la hausse des cours du bar­il s’explique par la forte demande asi­a­tique, puisque depuis 2000, la con­som­ma­tion en République pop­u­laire de Chine (RPC) a aug­men­té de 100 % et de 60 % en Inde. Néan­moins, cette expli­ca­tion d’une crise due à la demande asi­a­tique n’est que par­tielle. La con­som­ma­tion de pét­role en Chine demeure encore faible com­parée à celle des pays occi­den­taux, et par­ti­c­ulière­ment aux États-Unis. Rap­portée au nom­bre d’habitants, la con­som­ma­tion en pét­role d’un Chi­nois est huit fois plus faible que celle d’un Améri­cain et près de qua­tre fois plus faible que celle d’un Français. Alors que la Chine et l’Inde comptent le tiers de la pop­u­la­tion mon­di­ale, ces deux États ne brû­lent que 15 % de la con­som­ma­tion mon­di­ale de pét­role, con­tre 43 % pour les États-Unis, le Japon et l’Union européenne, qui pour­tant ne comptent que 13 % de la pop­u­la­tion du globe.

Les ten­sions sur les cours s’expliquent par plusieurs fac­teurs fréquem­ment soulignés par les obser­va­teurs : les men­aces sur la lib­erté de cir­cu­la­tion à tra­vers le détroit d’Ormuz, proférées par l’Iran, et les sit­u­a­tions d’instabilité poli­tique au Vénézuéla comme au Nigéria. De même, des événe­ments con­jonc­turels peu­vent ali­menter cette hausse, comme les fréquents cyclones à la fin de l’été dans le golfe du Texas ou la rigueur de l’hiver en Amérique du Nord, syn­onyme de forte con­som­ma­tion de fuel. Mais un fait mérite d’être relevé : l’absence sur les marchés inter­na­tionaux, pen­dant plus de vingt ans, de l’Irak, qui détient pour­tant 10 % des réserves mon­di­ales de pét­role (au troisième rang der­rière l’Arabie saou­dite et l’Iran). En 1990, au moment de la pre­mière guerre du Golfe, l’Irak était le troisième expor­ta­teur mon­di­al de pét­role. Pen­dant vingt ans, la pro­duc­tion iraki­enne a fait cru­elle­ment défaut, puisqu’en moyenne de 1991 à 2011, le vol­ume annuel de pro­duc­tion n’a représen­té que 60 % de celui de 1989.

La sta­bil­i­sa­tion poli­tique de l’Irak devrait per­me­t­tre d’enrayer la hausse des cours du pét­role, mais cela ne sera qu’un sim­ple répit. L’épuisement des ressources mon­di­ales en hydro­car­bu­res est inéluctable, même si nul ne peut prédire sa date exacte. La hausse des cours per­met de rentabilis­er de nou­velles recherch­es, notam­ment en eaux pro­fondes comme au large de l’Angola ou du Brésil, et de dévelop­per de nou­velles tech­niques, comme le traite­ment des sables bitu­mineux (au Vénézuéla et au Cana­da). Mais l’échéance de la pénurie est sim­ple­ment retardée. La reprise économique dans les pays de l’OCDE devrait provo­quer une plus forte demande en pro­duits pétroliers et se traduire par une hausse des cours du pét­role, et le seuil des 150 dol­lars pour un bar­il de brent, atteint en juil­let 2008, être à terme franchi. Seule une impli­ca­tion des pou­voirs publics (par des mesures fis­cales des­tinées à mod­i­fi­er les com­porte­ments et par le finance­ment de la recherche) per­me­t­tra d’accélérer la tran­si­tion énergétique.

À brève échéance, de fortes ten­sions sociales dans les pays du Tiers monde sont à red­outer, car avec un fuel tou­jours plus cher, la pro­duc­tion de matières pre­mières agri­coles et leur trans­port devi­en­nent plus onéreux (le cours du blé à Chica­go est passé de 500 cents le bois­seau le 1er décem­bre 2006, à 931 dol­lars en juil­let 2012). Une infla­tion égale­ment ali­men­tée par l’évolution des modes de con­som­ma­tion dans les nations émer­gentes comme l’Inde et la Chine. Les révoltes sociales que plusieurs pays ont con­nues ces dernières années s’expliquent en grande par­tie par cette hausse du coût de la vie. Cette infla­tion du prix des pro­duits ali­men­taires a été l’un des fer­ments des révo­lu­tions dans le monde arabe à par­tir de 2011.

Illus­tra­tion : © DR

Notes

 (1) La pro­duc­tion d’énergie éoli­enne a un car­ac­tère inter­mit­tent, puisque le vent est une ressource aléatoire.

(2) World Ener­gy Out­look, 2012.

(3) Cf. François Lafar­gue, La Guerre mon­di­ale du pét­role, Ellipses, 2008.

(4) Depuis 2000, la pro­duc­tion mon­di­ale de pét­role a aug­men­té de 11 %, celle de gaz de 35 % et celle de char­bon de 63 %.

(5) Le marché mon­di­al du gaz est prin­ci­pale­ment régi par des con­trats de four­ni­ture à long terme (20 à 30 ans), dont les prix sont défi­nis de manière con­tractuelle, et les marchés spot où se négo­cient des quan­tités lim­itées de gaz pour une livrai­son à court ou moyen terme.

(6) L’unité ther­male bri­tan­nique (BTU) mesure la quan­tité d’énergie dégagée par la com­bus­tion d’un vol­ume de gaz naturel. Un mil­lion de BTU cor­re­spond à un vol­ume d’environ 28 mètres cubes.

(7) Les qua­tre réac­teurs de la cen­trale nucléaire de Fukushi­ma Dai­ichi sont quant à eux défini­tive­ment arrêtés.

(8) Les îles Kouriles sont l’objet de dis­putes entre la Russie et le Japon depuis le début du XIXe siè­cle. Par le traité de San Fran­cis­co de 1951, le Japon a renon­cé à ses droits sur les îles Kouriles, mais la délim­i­ta­tion exacte de cet archipel n’a pas été explic­itée et le texte n’a pas été signé, ni par l’URSS, ni ensuite par la Russie. Le Japon con­tin­ue de revendi­quer qua­tre îles mérid­ionales de l’archipel, qu’il désigne sous le terme de « Ter­ri­toires du Nord », les con­sid­érant comme le pro­longe­ment de l’île d’Hokkaido et non con­cernées par les dis­po­si­tions du traité de San Francisco.

(9) Le terme de « brent » désigne le pét­role plutôt léger, extrait des gise­ments de la mer du Nord.

À propos de l'auteur

François Lafargue

Docteur en géopolitique et en science politique, professeur à l’ESG Management School, et co-auteur de "Perspectives énergétiques" (Ellipses, 2013).

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