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« Un projet de méthanisation est l’occasion de faire connaître nos métiers »

Biogaz Mag­a­zine. La fil­ière bio­méthane fait l’objet de plusieurs arti­cles cri­tiques dans la presse régionale et sus­cite plusieurs craintes : car­bone, bruit, odeurs, qual­ité de l’eau. Qu’en est-il dans la réalité ?

Jacques-Pierre Quaak. Une de nos craintes à l’origine était l’appauvrissement des sols, en car­bone notam­ment. En France, le mod­èle de méthani­sa­tion retenu fonc­tionne avec des CIVE. Tous les agricul­teurs étu­di­ent chaque année les « reli­quats sor­tie d’hiver ». Ils mesurent les teneurs en azote et car­bone du sol afin d’apporter le com­plé­ment demandé par la cul­ture à venir. Nous avons déjà con­staté depuis plusieurs années que tous les agricul­teurs méthaniseurs util­isant des diges­tats étaient au-dessus de la moyenne départe­men­tale et donc que nous n’avions que pas ou peu d’engrais azoté à apporter. Mais, pour men­er des études d’impact sur les sols, un recul assez long est néces­saire. Or l’étude BM2 OPTICIVE menée par Arvalis (Insti­tut du végé­tal) depuis plusieurs années mon­tre que les CIVE per­me­t­tent égale­ment une aug­men­ta­tion de la tenue en car­bone des sols. En fait, les cul­tures inter­mé­di­aires sont coupées pour être util­isées comme intrant dans la méthani­sa­tion, mais il en reste une par­tie sur le sol (la dégra­da­tion des chaumes mobilise de l’azote) et surtout dans celui-ci, avec un sys­tème raci­naire. Les plantes agis­sent comme cap­teur de CO2 et appor­tent donc du car­bone dans le sol. Nous nous ser­vons de la pho­to­syn­thèse. Comme le mon­tre l’étude du GT sur l’impact cli­ma­tique de la méthani­sa­tion, ces pra­tiques qui ont pu être mis­es en place grâce à la méthani­sa­tion per­me­t­tent non seule­ment une diminu­tion du CO2 dans l’atmosphère, mais en plus enrichissent nos sols en car­bone : un dou­ble cer­cle vertueux. Troisième impact posi­tif, les CIVE évi­tent que le sol se retrou­ve à nu. Cela per­met à la fois d’avoir un sol vivant avec bac­téries, vers de terre, champignons toute l’année et lors de la dégra­da­tion du sys­tème raci­naire qui capte de l’azote, mais cela évite aus­si un lessi­vage d’azote (et de tous les élé­ments minéraux) dans les riv­ières et nappes phréa­tiques. De l’autre côté, les cul­tures ali­men­taires sont préservées. La méthani­sa­tion n’empiète donc pas sur l’alimentation humaine et ani­male. En fait, avec les CIVE, nous favorisons ce que la nature nous apporte, ce qui est le rôle ini­tial des paysans d’ailleurs. Cepen­dant, ces nou­velles pra­tiques deman­dent une adap­ta­tion, notam­ment des out­ils agri­coles, pour tra­vailler en semis direct, pour couper les CIVE afin qu’elles don­nent leur plein poten­tiel méthanogène, mais aus­si pour épan­dre le dige­s­tat (résidu à la suite du process de méthani­sa­tion). Ce dernier en par­ti­c­uli­er, assez col­lant, doit être épan­du en pro­fondeur pour éviter toute volatil­ité de l’azote. L’étude du GT sur l’impact des diges­tats dans la qual­ité de l’eau mon­tre des résul­tats dif­férents selon l’épandage. L’agriculteur ayant intérêt à restituer le plus pos­si­ble d’azote à sa terre sera atten­tif à sa méth­ode d’épandage. Les con­struc­teurs de matériel ont dévelop­pé aujourd’hui une gamme adap­tée à cette agri­cul­ture durable, avec des tech­nolo­gies per­me­t­tant d’appliquer cor­recte­ment de grandes quan­tités rapi­de­ment. J’ajoute que depuis que je fais de la méthani­sa­tion, je n’ai pas acheté de phos­pho­re ni de potasse et très peu d’azote, ce qui me rend qua­si autonome sur mon exploita­tion avec une agronomie très proche finale­ment du cycle naturel. Ce sont ces économies qui nous avaient poussés à faire de la méthani­sa­tion, avec un prix du pét­role qui flam­bait en 2006. L’équation économique est tou­jours val­able avec la pro­duc­tion d’énergie et le recy­clage des déchets en plus. Mais surtout, on le voit aujourd’hui, la méthani­sa­tion « à la française » per­met une véri­ta­ble révo­lu­tion vers une agri­cul­ture durable, proche des cycles naturels et qui résis­tera mieux aux chocs cli­ma­tiques avec un sol réten­teur d’eau et de minéraux.

Cette révo­lu­tion agri­cole avec méthani­sa­tion asso­ciée entraîne-t-elle des nui­sances par­ti­c­ulières, pour les riverains par exemple ?

Cécile Frédéricq. Au con­traire, moins qu’une agri­cul­ture con­ven­tion­nelle sans méthani­sa­tion. Une unité de méthani­sa­tion per­met de traiter tous les déchets organiques sur place (agri­coles, mais aus­si déchets ménagers, de l’industrie agroal­i­men­taire et boues des eaux usées) et cela de manière con­finée, maîtrisée. Savez-vous qu’en agri­cul­ture clas­sique, les fumiers et autres efflu­ents ou plantes déga­gent de gross­es quan­tités de GES et… de méthane dans l’atmosphère, comme d’ailleurs les déchets organiques enfouis, qui, s’ils sont brûlés, déga­gent du CO2 ? Avec la méthani­sa­tion, l’intérêt est juste­ment de col­lecter le max­i­mum de méthane, donc de ne pas le laiss­er par­tir dans l’atmosphère ! C’est aus­si moins de camions d’engrais importés ou de déchets sur nos routes. Une cir­cu­la­tion glob­ale qui s’équilibre, il est vrai, avec le trans­port de CIVE, qui est donc un sur­plus de cul­ture à trans­porter. Mais ce trans­port reste local et est générale­ment con­cen­tré sur quelques jours dans nos cam­pagnes. Comme l’indique l’étude du GT sur l’impact cli­ma­tique, la méthani­sa­tion per­met glob­ale­ment de réduire les GES de 50 à plus de… 200 %. Si l’on tient compte du cycle de vie com­plet du proces­sus, par rap­port à une agri­cul­ture con­ven­tion­nelle avec impor­ta­tion d’intrants et sans pro­duc­tion d’énergie, les 200 % indiquent qu’il per­met même de réduire les émis­sions de GES. Glob­ale­ment, la récente étude du GT mon­tre que le bio­méthane émet 6 à 10 fois moins de CO2 que le gaz naturel fos­sile avec 23 kgeq/MWh con­tre 227, sans compter l’engrais non importé et donc le CO2 évité pour sa fabrication !

D’autre part, les normes ICPE prévoient que les instal­la­tions doivent avoir un sys­tème de réten­tion naturelle cor­re­spon­dant à la capac­ité de leur plus gros réser­voir. Le but est d’éviter de dévers­er des boues ou diges­tats forte­ment azotés dans une riv­ière par exem­ple. Certes, des sites anciens peu­vent avoir besoin d’une mise aux normes, mais les unités actuelles sont équipées de ces sécu­rités et l’accident de l’été 2020 dans le Fin­istère, qui a fait couler beau­coup d’encre, demeure heureuse­ment une excep­tion. Il a au moins mon­tré que des con­trôles devaient être effec­tués sur toutes les instal­la­tions. Pour les riverains, la méthani­sa­tion per­met nor­male­ment une maîtrise des émis­sions et des odeurs, alors qu’une instal­la­tion sans méthani­sa­tion laisse fer­menter les efflu­ents « à ciel ouvert ». Bien enten­du, chaque ges­tion­naire d’unité doit, si néces­saire, remédi­er au moin­dre prob­lème. Des tech­niques, des fil­tres exis­tent, pour éviter les odeurs. Il est à not­er que les futures normes ICPE deman­deront une aug­men­ta­tion de la dis­tance entre les unités et les habitations.

Juste­ment, com­ment gér­er l’acceptabilité sur le plan local, dans les villages ?

Jacques-Pierre Quaak. Je suis proche de Paris, en Seine-et-Marne, et 80 % de la pop­u­la­tion près de chez nous prend le RER pour aller tra­vailler et revient le soir. La plu­part ne con­nais­sent pas nos métiers. Dans les années 1960/1970, la pop­u­la­tion vivait au rythme des récoltes, des moissons. Le « métabash­ing » est une résul­tante de l’« agrib­ash­ing » qui provient d’une mécon­nais­sance de nos métiers et de l’éloignement d’une pop­u­la­tion qui s’est urban­isée. Nous devons expli­quer com­ment nous nour­ris­sons les hommes et com­ment nous pro­duisons désor­mais aus­si de l’énergie. Les inquié­tudes engen­drent des peurs, mais une expli­ca­tion per­met sou­vent un change­ment rad­i­cal de com­porte­ment des gens qui s’intéressent alors à nos activ­ités et com­pren­nent les « petits » désagré­ments pas­sagers, comme le pas­sage de tracteurs sur la route ! Un riverain excédé peut devenir un voisin sym­pa s’il dis­cute avec son voisin agricul­teur ! Les agricul­teurs veu­lent vivre en bon voisi­nage et sont aus­si prêts à échang­er avec leurs voisins. Plutôt que de divulguer ses craintes, caché der­rière les réseaux soci­aux, il est préférable d’aller voir votre voisin et de dis­cuter avec lui. Le monde d’après devra tenir compte de la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale, mais, de grâce, que l’on renoue aus­si avec les échanges humains. Un pro­jet de méthani­sa­tion peut aus­si être l’occasion de réu­nir le vil­lage et d’expliquer notre tra­vail, pourquoi pas !

À propos de l'auteur

Jacques-Pierre Quaak

Agriculteur et coprésident de France Gaz Renouvelables.

À propos de l'auteur

Cécile Frédéricq

Déléguée générale de France Gaz Renouvelables.

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