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Les jeunes, plus réticents que leurs aînés à agir contre la pollution numérique ?

Imag­inez que notre mes­sagerie intè­gre un comp­teur cal­cu­lant son impact écologique, ou un indi­ca­teur des ressources naturelles con­tenues dans notre télé­phone ou notre portable. Comme l’agroalimentaire, qui com­plète le « nutri-score » par un « plan­et score » ou un « écoscore », nous pour­rions dis­pos­er d’indicateurs com­pa­ra­bles pour mesur­er notre pol­lu­tion numérique.

Dans un monde où tout se quan­ti­fie, cette ques­tion appa­raît essen­tielle pour que nous perce­vions davan­tage les con­séquences de notre util­i­sa­tion des tech­nolo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion (TIC), notam­ment leurs con­som­ma­tions énergétiques.

La dernière étude de l’ADEME donne le numérique respon­s­able de 10 % de la con­som­ma­tion élec­trique en France. Les évo­lu­tions récentes dues au con­fine­ment, comme le télé­tra­vail, ne sont pas encore mesurées.

Ce sujet a été le thème d’un tra­vail d’abord indi­vidu­el puis col­lec­tif dans le cadre d’un cours d’initiation à la recherche en Bach­e­lor à l’Essca, lors du dernier trimestre 2021. À par­tir d’un entre­tien envoyé mas­sive­ment, puis com­plété par d’autres, semi-direc­tifs, 400 per­son­nes au total, répar­ties en trois tranch­es d’âges (généra­tion Z, généra­tions Y et Z et retraités) auront par­ticipé à notre étude. Pen­chons-nous sur les résultats.

La « sobriété numérique », encore méconnue

Com­mençons par le terme de « sobriété numérique », employé dans le pre­mier ques­tion­naire, qui à lui seul sus­cite des inter­ro­ga­tions : le sujet de l’impact écologique du numérique sem­ble large­ment mécon­nu, quel que soit l’âge concerné.

Nous avons donc com­mencé par des illus­tra­tions de cette pol­lu­tion pour inter­peller les répon­dants : com­bi­en avez-vous de télé­phones et de chargeurs inutil­isés ? Avez-vous une idée de l’impact écologique d’une visio­con­férence ? Net­toyez-vous votre mes­sagerie régulière­ment ? Cette courte énuméra­tion per­met alors à l’interlocuteur de mieux cern­er la notion et éventuelle­ment de nous faire part de ses pratiques.

Il émerge trois pro­fils types par­mi nos inter­rogés : la généra­tion Z, les généra­tions X et Y, et les retraités.

Généra­tions Z, X et Y : la pol­lu­tion numérique secondaire

Zoé et Léo sont encore étu­di­ants, par­fois aux portes du monde du tra­vail, ou à peine entrés dedans. Bien sûr, ils sont con­scients de l’importance de l’écologie et parta­gent les idées de Gre­ta Thun­berg. Ils ne comptent plus les télé­phones, tablettes, chargeurs, câbles, enceintes et écou­teurs con­nec­tés qui font par­tie de leur quo­ti­di­en. L’écran est un élé­ment essen­tiel et le temps passé à l’utiliser ne se mesure plus. Alors, quand il est ques­tion de chang­er les com­porte­ments et de restrein­dre l’usage du numérique, l’écologie devient sec­ondaire. « Elle (la pol­lu­tion) exis­tait avant. » La réponse oscille entre « WTF » et « OK boomer ».

Favor­able à l’économie cir­cu­laire, le portable recon­di­tion­né séduit peu : l’attrait de la nou­veauté reste encore vif, les incer­ti­tudes de la vie antérieure sont un frein. La dif­férence de prix ne sem­ble pas être un critère décisif. Mais cela reste une bonne idée, « si les autres l’adoptent ». Surtout, le numérique véhicule une idée d’indépendance et d’autonomie qui s’assimile à une forme de lib­erté qua­si sacral­isée : « C’est à moi. » Donc je con­somme si je veux. À ce titre, la pos­si­bil­ité d’une taxe pour com­penser l’externalité de la pol­lu­tion numérique est large­ment rejetée.

Can­dice et Ruben sont de jeunes act­ifs. Entre (télé)travail et activ­ités per­son­nelles, les écrans sont bien présents, et leur nom­bre aus­si. La sobriété numérique, ils con­nais­sent, car le terme a sur­gi dans le monde pro­fes­sion­nel. Un télé­phone recon­di­tion­né, pourquoi pas ? Mais finale­ment, vu l’écart de prix… Net­toy­er sa boîte mail ? Quand j’ai le temps. D’ailleurs, com­bi­en en ai-je ? Le sujet de la pol­lu­tion numérique et de la sobriété reste encore très théorique. Plutôt une idée intéres­sante qu’une pratique.

Retraités, le numérique de récup’

Monique et Roger quant à eux prof­i­tent de leur retraite. Les enfants et petits-enfants don­nent volon­tiers leurs anciens appareils aux aînés, qui donc n’en man­quent pas. Ils font ain­si de la récupéra­tion… peut-être un peu for­cée. D’ailleurs, pour eux, c’est vrai­ment en fin de vie qu’il faut songer à en chang­er. Pour eux, le numérique, c’est surtout le lien avec leurs proches. Alors, avec ce télé­phone ou un autre ?

La sobriété numérique ne leur par­le pas en tant que con­cept. En revanche, puisqu’ils ont le temps, ce sont eux qui net­toient le plus fréquem­ment leurs mes­sageries – moins pleines que celles de leurs petits-enfants, moins nom­breuses que celles de leurs enfants.

Finale­ment, comme mon­sieur Jour­dain qui fai­sait de la prose sans le savoir, la sobriété numérique leur est famil­ière dans la vie de tous les jours. Ils sont récep­tifs à cette notion, car ils veu­lent laiss­er un monde « pas trop pour­ri à leurs petits enfants ». De ce fait, le recy­clage des vieux appareils leur appa­raît naturel.

Écarts entre la parole et le geste

Au-delà du terme, il existe donc un besoin de péd­a­gogie, de con­cret et d’exemples par­lants. Une fois celle-ci appréhendée, les plus âgés inter­rogés se mon­trent récep­tifs, con­scients de l’importance du sujet, n’hésitant pas à l’approfondir et envis­ageant d’adapter leurs com­porte­ments au béné­fice des généra­tions futures. La notion est encore mécon­nue, certes, mais elle est en bonne voie pour recevoir un accueil positif.

À l’inverse, les plus jeunes se mon­trent plus réti­cents à faire œuvre d’un effort laborieux. Il y a donc un para­doxe à explor­er entre cette iden­ti­fi­ca­tion à des enjeux écologiques ambitieux et plané­taires et des pra­tiques quo­ti­di­ennes con­traig­nantes. D’ailleurs, ceux qui marchent pour le cli­mat sont-ils les mêmes que ceux qui rechig­nent à chang­er leurs habi­tudes ? Ceci mérite assuré­ment une étude afin de mieux com­pren­dre cette situation.

Cette étude pose autant de ques­tions qu’elle apporte de répons­es. Elle souligne en tout cas que, faute d’éducation et de péd­a­gogie, notre con­som­ma­tion énergé­tique liée aux TIC risque fort de rester un sujet à moyen et long terme…

L’ar­ti­cle a été pub­lié sur le site : theconversation.fr

À propos de l'auteur

François Delorme

Maître de conférences en sciences de gestion, chercheur associé CERAG, membre du WIKISGK, Université Grenoble Alpes (UGA).

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