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Mieux utiliser les bâtiments existants, un enjeu clé de la transition

Réno­va­tion ther­mique, adap­ta­tion au vieil­lisse­ment et au change­ment cli­ma­tique… le XXIème siè­cle demande un investisse­ment inédit dans la ges­tion de notre parc de bâti­ments exis­tants pour l’adapter aux enjeux de demain. Mais qu’en est-il pour la con­struc­tion neuve ?

Con­stru­ire n’est pas un acte anodin sur le plan envi­ron­nemen­tal. En effet, même si les bâti­ments neufs sont aujourd’hui très effi­caces sur le plan énergé­tique une fois con­stru­its, la majeure par­tie de leur impact envi­ron­nemen­tal con­cerne la con­struc­tion. On estime par exem­ple que les pro­duits de con­struc­tion et équipements représen­tent de 65 à 85 % de la total­ité des émis­sions car­bone liées au cycle de vie d’un bâti­ment neuf. Les con­séquences en matière d’artificialisation des sols sont aus­si à soulign­er : entre 2006 et 2014, la sur­face au sol dédiée à l’habitat a pro­gressé plus vite que la population.

Dans ce con­texte, la ques­tion se pose : peut-on répon­dre aux besoins de bâti­ments en util­isant mieux le parc exis­tant ? Dans le cadre de « Transition(s) 2050 », un vaste tra­vail de prospec­tive, l’Agence de la tran­si­tion écologique (ADEME) a élaboré 4 scé­nar­ios, du plus sobre au plus tech­nologique, qui per­me­t­traient d’atteindre la neu­tral­ité car­bone à l’horizon 2050. Les scé­nar­ios les plus fru­gaux explorent des manières de répon­dre au besoin de bâti­ments autres que la con­struc­tion neuve.

8 % de loge­ments vacants

Ten­tons en pre­mier lieu d’éclairer en chiffres le débat. En France, l’Insee relève en 2021 que 8 % des loge­ments (soit 3 mil­lions) sont vacants, c’est-à-dire inoc­cupés pour des raisons divers­es (mise en loca­tion, en attente de règle­ment de suc­ces­sion, sans affec­ta­tion pré­cise…). Certes, avoir un taux de vacance nul n’est pas envis­age­able, car il ne serait plus pos­si­ble de démé­nag­er, mais l’augmentation récente de la vacance de courte durée ouvre des pistes de réflexion.

Le panora­ma de la sous-occu­pa­tion du parc se ren­force lorsque l’on prend en compte égale­ment les loge­ments habités de façon occa­sion­nelle, par exem­ple les rési­dences sec­ondaires (10 % du parc), ou les loge­ments con­sid­érés comme sous-occupés (88 % des maisons indi­vidu­elles et 45 % des loge­ments col­lec­tifs). Ain­si, si le surpe­u­ple­ment est un phénomène bien réel et aux con­séquences sociales délétères, le sous-peu­ple­ment d’une par­tie du parc de loge­ments français est égale­ment un enjeu, en par­ti­c­uli­er au regard des défis de la transition.

Dans le ter­ti­aire, peu de don­nées exis­tent sur les bureaux vacants et sur leur poten­tiel de trans­for­ma­tion en loge­ment. Les per­spec­tives sur leur taux d’occupation sont large­ment bous­culées par la trans­for­ma­tion actuelle des pra­tiques, et notam­ment le télétravail.

4 mil­lions de nou­veaux loge­ments d’ici à 2050

Dans ce panora­ma, le scé­nario le plus fru­gal des 4 élaborés par l’Ademe prévoit la con­struc­tion neuve, entre 2015 et 2050, de 4 mil­lions de loge­ments. Le scé­nario où la con­struc­tion neuve est poussée à son max­i­mum, en imag­i­nant un vaste pro­gramme de décon­struc­tion-recon­struc­tion de loge­ments ren­dus obsolètes (notam­ment à cause de la métrop­o­li­sa­tion) implique quant à lui d’en créer 12 mil­lions – plus de trois fois plus, donc. À titre de com­para­i­son, notons que nous avons con­stru­it depuis trente ans env­i­ron 11 mil­lions de logements.

Le cal­cul se fonde sur plusieurs hypothès­es. Tout d’abord, un ralen­tisse­ment démo­graphique, en écho aux pro­jec­tions de l’Insee. Le con­texte est en effet bien dif­férent de celui des années d’après-guerre, mar­quées par un boom démographique.

Ensuite, un ralen­tisse­ment de la déco­hab­i­ta­tion, ce qui viendrait frein­er une ten­dance his­torique. Trois phénomènes ont con­tribué ces dernières décen­nies à la baisse du nom­bre de per­son­nes par ménage et ten­dent désor­mais à stag­n­er : la baisse du nom­bre de familles nom­breuses, la ten­dance à divorcer et le départ de chez leurs par­ents des enfants nom­breux du baby-boom. Le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion pour­rait pren­dre en par­tie le relais. Les plus de 75 ans, dont la pro­por­tion dans la pop­u­la­tion va dou­bler d’ici 2050, pas­sant de 9 % à 16 %, vivent en effet plus sou­vent seuls dans de grands loge­ments. Les choix de vie des per­son­nes âgées sont donc égale­ment un enjeu de tran­si­tion écologique.

Dans les scé­nar­ios de rééquili­brage ter­ri­to­r­i­al, il est ain­si envis­age­able de trans­former des rési­dences sec­ondaires en rési­dences prin­ci­pales, par exem­ple pour y accueil­lir les nou­veaux retraités ou télé­tra­vailleurs, ou de les utilis­er toute l’année en asso­ciant un usage par les touristes ou les tra­vailleurs saison­niers et un usage par les étu­di­ants. On peut égale­ment imag­in­er réin­ve­stir des loge­ments vacants situés actuelle­ment dans des zones en déprise. Réin­ve­stir ces zones implique de rééquili­br­er l’activité, un défi ambitieux en matière d’aménagement du territoire.

Réu­tilis­er l’existant, une diver­sité de solutions

Mieux utilis­er l’existant s’impose donc comme une piste à creuser. Com­ment le faire advenir con­crète­ment ? Pour cela, il fau­dra s’adapter à la diver­sité des ménages et des territoires.

Dans des zones péri­ur­baines, où l’habitat est sou­vent homogène et com­posé de maisons indi­vidu­elles, large­ment sous-occupées, et de pro­prié­taires occu­pants, il est néces­saire de diver­si­fi­er le parc pour y créer du locatif et des petits loge­ments pen­sés pour des pop­u­la­tions qui appré­cient ce mode de vie péri­ur­bain. Un maire le décrit ainsi :

« J’avais besoin de loge­ments pour les employés de l’hôpital. J’avais besoin de loge­ments pour les vieux qui ne peu­vent plus garder leur grande baraque, et pour des jeunes qui sont encore à 26 ans chez papa et maman. »

Le remod­e­lage des maisons indi­vidu­elles con­stitue une option à dévelop­per dans ces zones.

Dans les zones urbaines très ten­dues, les dif­fi­cultés d’accès au loge­ment sont impor­tantes. Les trans­for­ma­tions d’usage per­me­t­tant de mieux val­oris­er chaque mètre car­ré sont envis­age­ables (colo­ca­tion étu­di­ante, loca­tions touris­tiques, divi­sion rési­den­tielle, trans­for­ma­tions de bureaux…). Le prin­ci­pal défi porte sur les règles de partage de cet espace rare. La puis­sance publique essaie avec dif­fi­culté de main­tenir des équili­bres qui per­me­t­tent aux dif­férents acteurs qui font la vie d’un ter­ri­toire de pou­voir cohabiter.

Dans les zones peu ten­dues à dom­i­nante rurale, le défi est de ren­dre ces zones attrac­tives en s’appuyant sur un bâti exis­tant sou­vent disponible mais par­fois obsolète. Quelles pistes ? La réno­va­tion des bâti­ments et des îlots dégradés, la revi­tal­i­sa­tion du com­merce, de l’artisanat, des ser­vices, ou encore le développe­ment des activ­ités cul­turelles en s’appuyant sur un pat­ri­moine exis­tant à réin­ven­ter. Dans ces zones, le risque serait en effet de penser la con­struc­tion neuve comme une manière d’attirer au prix d’une arti­fi­cial­i­sa­tion impor­tante alors qu’elle peut être util­isée à toute petite dose comme un catal­y­seur, par exem­ple, pour repenser un centre-bourg.

Vers une nou­velle économie du bâtiment

Con­stru­ire seule­ment lorsque cela est néces­saire et après opti­mi­sa­tion de l’existant aura des con­séquences sur la fil­ière économique de la con­struc­tion neuve. Par exem­ple, si les entre­pris­es du sec­ond œuvre peu­vent imag­in­er un avenir où la réno­va­tion pren­dra une place plus impor­tante, les act­ifs du gros œuvre ver­ront leur activ­ité forte­ment impactée.

Quels relais de crois­sance ? À côté de la réno­va­tion mas­sive du parc, incon­tourn­able de toute tra­jec­toire de neu­tral­ité car­bone à 2050, c’est un ensem­ble de nou­velles activ­ités qu’il faut dès à présent imag­in­er : restruc­tura­tion en masse de loge­ments obsolètes ou vacants, change­ments d’usage des bureaux en loge­ment, mais aus­si décon­struc­tion ou pro­duc­tion de ser­vices aux occu­pants… Ain­si, la fil­ière de la con­struc­tion neuve est sans doute à l’aube d’une mue majeure qu’il faut anticiper dès maintenant.

Pho­to ci-dessus : En France, 8 % des loge­ments (soit 3 mil­lions) étaient vacants en 2021. © Shutterstock

En parte­nar­i­at avec Theconversation.fr.    

À propos de l'auteur

Albane Gaspard

Chargée d’études, prospective, service bâtiment, Ademe (Agence de la transition écologique).

À propos de l'auteur

Jean-Christophe Visier

Conseiller prospective bâtiment et immobilier, CSTB, Ademe (Agence de la transition écologique).

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