Magazine Blue Innovation

Monaco : la passion des mers

Blue Inno­va­tion. Mon­seigneur, votre lead­er­ship sur les ques­tions marines et envi­ron­nemen­tales est aujourd’hui mon­di­ale­ment recon­nu, à tra­vers notam­ment la Fon­da­tion que vous avez créée en juin 2006. Dans ce domaine, com­ment envis­agez-vous le rôle de la Prin­ci­pauté de Mona­co pour les années à venir ?

Prince Albert II. J’ai tou­jours souhaité que l’action de Mona­co s’inscrive dans la durée afin de porter un mes­sage pérenne sur la néces­saire pro­tec­tion de notre envi­ron­nement. La Prin­ci­pauté est présente sur la scène inter­na­tionale lors des grands ren­dez-vous liés à l’environnement. Je suis fier que sa voix soit enten­due et son exper­tise recon­nue, notam­ment en matière de sauve­g­arde de l’océan. Nous devons con­tin­uer à fédér­er les éner­gies, à mon­tr­er le chemin vers un nou­veau mod­èle de développe­ment qui soit équitable pour l’homme et pour la nature. Les actions menées depuis 2006 par ma Fon­da­tion s’inscrivent dans cette per­spec­tive. Je con­tin­uerai à porter ce mes­sage en faveur de la planète et souhaite que Mona­co soit une tri­bune d’expression sur ces ques­tions envi­ron­nemen­tales, comme cela est le cas durant la Mona­co Ocean Week qui con­naît un suc­cès grandissant.

Vous étiez présent en 2017 au con­grès Bio­Ma­rine qui s’est tenu à Rimous­ki, au Québec, pour ren­con­tr­er les indus­triels et les investis­seurs de l’économie bleue. Qu’en avez-vous retiré ? Peut-on selon vous con­cili­er une vision con­ser­va­trice et les intérêts indus­triels ? En quoi ces entre­pre­neurs que vous ren­con­trez lors de Bio­Ma­rine peu­vent-ils chang­er l’avenir de notre planète ?

Ces ren­con­tres régulières avec les indus­triels lors des con­grès Bio­Ma­rine per­me­t­tent de mieux com­pren­dre les ten­dances, les inno­va­tions et les développe­ments qui amè­nent des solu­tions aux prob­lèmes de nutri­tion, de san­té et d’environnement. J’ai eu l’occasion de voir que nous pou­vions met­tre en place des sys­tèmes d’aquaculture mul­ti­trophiques respectueux de l’environnement marin. J’estime que ces ini­tia­tives coopéra­tives visant à dévelop­per les ressources marines en parte­nar­i­at avec des indus­triels s’inscrivent dans un sché­ma d’avenir. Je suis heureux de con­stater que nos amis québé­cois ont mis en place un plan d’action ambitieux pour soutenir cette économie bleue. Je gage que nos amis por­tu­gais, qui accueil­lent à nou­veau Bio­Ma­rine en 2018, rivalis­eront d’ingéniosité pour faire de leur économie bleue le fer de lance de leur développe­ment futur.

L’aquaculture a été sou­vent au cœur des dis­cus­sions lors des Mona­co Blue Ini­tia­tive. Pensez-vous que le mod­èle pro­posé per­me­t­tra de nour­rir la planète tout en préser­vant les zones côtières qui seront affectées ?

L’aquaculture est un sujet d’importance alors même qu’aujourd’hui plus d’un mil­liard de per­son­nes trou­vent leur apport jour­nalier en pro­téines dans les pro­duits de la mer. La demande émanant des pays indus­tri­al­isés ne fait que croître et avec elle la pro­duc­tion aqua­cole, tan­dis que les cap­tures de pois­sons sauvages sont rel­a­tive­ment sta­bles. Rap­pelons d’ailleurs que, depuis 2014, l’apport de l’aquaculture dans l’offre de pois­son dépasse celui de la pêche. Si l’aquaculture peut représen­ter une réponse à une demande crois­sante, celle-ci doit être mesurée et con­trôlée afin de ne pas engen­dr­er de sit­u­a­tion néga­tive. Lors de la dernière Mona­co Blue Ini­tia­tive a été mise en évi­dence la pos­si­bil­ité d’allier pro­duc­tion aqua­cole, con­ser­va­tion des espèces et aires marines pro­tégées. L’aquaculture durable est pos­si­ble, pour autant que nous nous assu­ri­ons que toutes les mesures de préser­va­tion soient bien inté­grées et les pop­u­la­tions locales impliquées.

Vous œuvrez active­ment pour le développe­ment des aires marines pro­tégées (AMP). Ne craignez-vous pas que le coût de la préser­va­tion de ces espaces en lim­ite le nom­bre, notam­ment pour les pays en voie de développement ?

C’est en créant des mécan­ismes financiers nova­teurs comme le fond envi­ron­nemen­tal pour les aires marines pro­tégées que nous assurerons le ren­force­ment des AMP exis­tantes et le développe­ment de nou­velles, pri­or­i­taire­ment dans les pays en voie de développe­ment. Aujourd’hui, les acteurs locaux sont con­scients du bien­fait de ces AMP et nous devons les accom­pa­g­n­er dans la durée. Ce fonds envi­ron­nemen­tal doit per­me­t­tre de main­tenir les écosys­tèmes en bonne san­té et ain­si génér­er des activ­ités économiques comme la pêche ou le tourisme écore­spon­s­able. Effec­tive­ment, les coûts de ges­tion récur­rents d’une AMP sont élevés, mais il faut les envis­ager au même titre que les activ­ités essen­tielles de sur­veil­lance des écosys­tèmes ou encore d’aménagement des sites. Enfin, ren­dons-nous à l’évidence, le coût de l’inaction serait cer­taine­ment bien plus élevé à long terme.

Bio­Ma­rine a lancé cette année un con­sor­tium de PME pour dévelop­per des bio­plas­tiques à par­tir d’ingrédients marins biodégrad­ables dans l’eau. Votre Fon­da­tion s’est elle-même beau­coup impliquée dans la lutte con­tre la pol­lu­tion des océans. Quel mes­sage faut-il envoy­er aux con­som­ma­teurs et à la grande distribution ?

Les chiffres sont alar­mants, cha­cun doit en pren­dre la mesure afin d’agir con­crète­ment à son niveau. Entre 8 et 10 mil­lions de tonnes de plas­tique sont déver­sées chaque année dans l’océan, dont plus de 60 % sont des embal­lages à usage unique. La plu­part des bio­plas­tiques sont encore peu recy­clés et ne sont dégrad­ables que sous cer­taines con­di­tions indus­trielles. Des con­som­ma­teurs à la grande dis­tri­b­u­tion, cha­cun sem­ble atten­dre le change­ment de l’autre. Or il faut agir vite, trou­ver des alter­na­tives durables au plas­tique par l’emploi de matéri­aux plus écologiques, dégrad­ables en con­di­tions domes­tiques, issus de fil­ières de pro­duc­tion ayant un impact réduit sur l’environnement. Il faut chang­er nos modes de con­som­ma­tion en refu­sant les plas­tiques à usage unique tout en faisant évoluer nos com­porte­ments vers le réem­ploi des matéri­aux, ou l’utilisation de pro­duits alter­nat­ifs plus durables et écologiques. Nous devons être les moteurs de ce change­ment. L’industrie et la grande dis­tri­b­u­tion doivent dévelop­per ces alter­na­tives, les met­tre à dis­po­si­tion des con­som­ma­teurs pour que la boucle soit la plus vertueuse pos­si­ble. L’autre enjeu cru­cial est de lim­iter l’arrivée des plas­tiques dans l’océan, où ils représen­tent un dan­ger pour la faune et la flo­re. Nous ne pou­vons nous per­me­t­tre d’attendre.

Pour­riez-vous nous présen­ter le pro­jet soutenu par votre Fon­da­tion auquel vous tenez le plus actuellement ?

Il n’y a pas un pro­jet auquel je tienne le plus, mais je suis heureux de la place prépondérante qu’a prise ma Fon­da­tion dans le con­cert des ONG envi­ron­nemen­tales, aus­si bien au niveau du lob­by­ing qu’il est tou­jours néces­saire de faire que sur cer­taines actions inter­na­tionales. En douze ans, l’implication de ma Fon­da­tion, aux côtés de ses parte­naires, a notam­ment per­mis d’agir pour préserv­er des espèces en voie de dis­pari­tion comme le thon rouge et le phoque moine, pour rester dans l’écosystème marin ; de faire avancer la con­nais­sance sci­en­tifique sur les ques­tions cli­ma­tiques ; de préserv­er et de restau­r­er des écosys­tèmes frag­iles à la fois sur terre et en mer ; mais égale­ment de faire avancer les négo­ci­a­tions inter­na­tionales sur l’environnement. Enfin, la tran­si­tion vers une économie décar­bonée est égale­ment au cœur des préoc­cu­pa­tions de la Fon­da­tion. Nous soutenons ain­si plusieurs pro­jets de ter­rain à tra­vers le monde favorisant l’utilisation d’énergies renouvelables.

Enfin, quels sont selon vous les trois enjeux majeurs que l’humanité aura à relever dans les dix prochaines années ?

L’humanité devra affron­ter les effets ravageurs du change­ment cli­ma­tique si nous ne par­venons pas à invers­er les prévi­sions des sci­en­tifiques. Le dérè­gle­ment du cli­mat aura des con­séquences à l’échelle de la planète, entraî­nant la dis­pari­tion d’îles, de villes, voire de pays. Les migra­tions envi­ron­nemen­tales seront de plus en plus impor­tantes et la ques­tion des réfugiés cli­ma­tiques sera alors au cœur des préoc­cu­pa­tions. Les épisodes cli­ma­tiques dévas­ta­teurs se font déjà de plus en plus nombreux.

Un autre enjeu majeur relève de l’épuisement de nos ressources naturelles. Chaque année, le jour du dépasse­ment arrive de plus en plus tôt. Au 1er août dernier, nous avions déjà épuisé tout ce que la Terre est capa­ble de pro­duire en une année. Nos modes de vie actuels imposent de trop gros sac­ri­fices à la nature, il est pri­mor­dial de nous tourn­er vers des économies durables, inno­vantes et plus équita­bles, capa­bles de nour­rir une pop­u­la­tion mon­di­ale en forte crois­sance, sans dévaster les écosys­tèmes. Enfin, les men­aces qui pèsent sur la san­té de l’océan, entraî­nant son altéra­tion et une perte de sa bio­di­ver­sité, exi­gent une grande vig­i­lance. Les activ­ités humaines met­tent en péril la planète. Un défi que nous devons relever ensem­ble est celui d’éveiller les con­sciences, pour pos­er les bases solides d’une nou­velle human­ité qui aurait appris de nos erreurs passées. Au fond, c’est peut-être cet enjeu qui sera déter­mi­nant pour ces dix prochaines années : par­venir à ancr­er la préser­va­tion de la planète comme l’un des piliers fon­da­teurs de nos sociétés. Les jeunes généra­tions doivent s’emparer de la ques­tion, avec une vision nou­velle et plus juste. Je place beau­coup d’espoir dans leur capac­ité à y parvenir.

Légende de la pho­to ci-dessus : Le 27 juil­let 2017, S.A.S. le Prince Albert II de Mona­co a don­né le coup d’envoi de la cam­pagne « Mona­co Explo­rations ». 120 ans après son trisaïeul, Albert 1er, le sou­verain moné­gasque renoue avec les explo­rations sci­en­tifiques mar­itimes. Cette cam­pagne sci­en­tifique à bord du Yersin dur­era 3 ans (2017–2020) et fera le tour du monde, per­me­t­tant l’étude de la bio­di­ver­sité marine, la mise en oeu­vre de pro­grammes de pro­tec­tion et une intense cam­pagne de médi­a­tion pour sen­si­bilis­er aux enjeux de la préser­va­tion des mers et des océans. (© Mona­co Explorations).

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S.A.S. le prince Albert II de Monaco

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