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La course au zéro carbone est lancée

Green Innovation. Les députés ont examiné le texte du projet de loi énergie-climat le 25 juin. L’objectif est une diminution de 30 % de la part du fossile en 2030 (dont le gaz), et de 75 % des gaz à effet de serre en 2050. Est-on sur la bonne voie ? Comment se positionne la France par rapport à ses voisins ?
 
Brice Lalonde. La France n’est pas sur une trajectoire qui permettrait d’atteindre ces objectifs. La consommation d’hydrocarbures fossiles représente encore 65 % de la consommation finale d’énergie en France (pétrole 43 %, gaz naturel 22 %). Alors qu’elle avait diminué de 1990 à 2013, la consommation de pétrole s’est stabilisée depuis cinq ans autour de 80 millions de tonnes par an, tandis que celle de gaz naturel a augmenté depuis 1990 et stagne autour de 40 milliards de mètres cubes annuels. Quant aux émissions de GES, elles ont certes diminué de 15 % depuis 1990, mais se situent depuis quelques années autour de 450 millions de tonnes d’équivalent CO2, dépassant le budget carbone que la France s’était alloué dans sa stratégie bas carbone. L’empreinte carbone, qui inclut les importations, s’établit autour de 600 millions de tonnes d’équivalent CO2. Je ne peux que recommander la lecture du premier rapport du Haut Conseil pour le climat. Cependant, comparée à ses voisins européens, la France est, avec la Suède et le Portugal, un des pays dont les émissions par habitant sont les plus faibles, grâce à sa relative sobriété, le bois de ses forêts, son parc nucléaire et ses barrages hydrauliques.
 
On parle d’électrique dans presque tous les domaines de la vie quotidienne, mais c’est le gaz qui s’impose dans le bâtiment. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce uniquement une question d’économies ? Quelle est la part des promoteurs du gaz dans la loi énergie-climat, la future réglementation environnementale des bâtiments (RE 2020) ou la refonte du diagnostic de performance énergétique (DPE) ?
 
Depuis 2012, une réglementation aberrante ignore le changement climatique et ne fixe aucune limite aux émissions de CO2 des bâtiments. En revanche, elle pénalise l’électricité en lui imposant des contraintes deux fois et demie plus sévères qu’aux autres sources d’énergie, au nom du fait que l’électricité n’est pas naturelle, mais qu’il faut la produire. Comme s’il ne fallait pas produire et transporter les énergies fossiles ! Le résultat, c’est que 70 % des bâtiments collectifs neufs sont chauffés au gaz et que la même maison, classée passoire thermique quand elle est chauffée à l’électricité, devient satisfaisante lorsqu’elle est chauffée au gaz ! Que les gaziers soient à l’origine de cette discrimination, c’est évident. Je suppose que les antinucléaires n’ont pas protesté parce qu’ils confondent l’électricité avec le nucléaire, qu’ils n’aiment pas. C’est tout de même étonnant que l’électricité soit encouragée pour les véhicules, mais bloquée pour les bâtiments ! Pourtant, tous les rapports soulignent que l’électricité est le vecteur privilégié de la double transition numérique et énergétique. Alors, j’espère que la RE 2020, la nouvelle réglementation annoncée pour l’an prochain, le E d’« environnementale » remplaçant le T de « thermique », va enfin réglementer les émissions de CO2, donc restreindre l’usage des énergies fossiles. Mais cette réglementation se fait attendre…
 
L’idée n’est-elle pas, comme le nom de votre association l’indique, de trouver le juste équilibre entre les différentes énergies ? Mais est-ce réellement possible ?
 
L’idée est tout de même de sortir du fossile, en commençant par le charbon, puis le pétrole. Le gaz a encore un bel avenir dans le monde s’il remplace le charbon. Mais en France, inutile d’en faire la promotion. Chez nous, les économies d’énergie sont nécessaires, les sources renouvelables de chaleur sont bienvenues, les centrales nucléaires demeurent pour l’instant indispensables, bien que les renouvelables électriques les suppléent peu à peu. L’hydrogène pourra devenir une forme de stockage de l’électricité. Je crois aussi qu’il y a la place pour l’autoconsommation. Elle représente un aspect de la résilience qu’il ne faut pas négliger.
 
La nouvelle loi mobilités indique qu’une prime à la conversion pour des véhicules thermiques neufs ou d’occasion sera prévue. Que vous inspire cette mesure qui concerne, avec les véhicules électriques, les véhicules à énergies fossiles (essence ou gaz naturel) ?
 
On ne remplacera pas d’un coup le parc thermique par des véhicules électriques. Des véhicules à 2 litres aux cent ont une place dans la transition. J’imagine aussi qu’il y aura des bus et des camions qui rouleront au gaz ou à l’hydrogène.
 
La loi énergie-climat prévoit une réduction de 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique français. Que pensez-vous de cette mesure ? Le nucléaire est-il un outil qui mènera vers la décarbonation totale de la France ?
 
Le nucléaire a un rôle important à jouer pour décarboner l’économie française. Je n’approuve donc pas le « nucléaire bashing » et je suis inquiet d’une sorte de doxa antinucléaire qui engourdit les esprits. Cela dit, je regrette l’absence de stratégie de l’industrie nucléaire française. Il semble que l’avenir soit plutôt aux petits réacteurs modulaires à neutrons rapides qu’aux mastodontes. Quoi qu’il en soit, je suis un partisan résolu de la transmutation des déchets de façon à réduire leur radiotoxicité et leur chaleur. Je ne comprends pas pourquoi la France n’est pas engagée dans cette technique.
 
Vous étiez à Montréal, au Canada, pour Movin’on, le sommet mondial sur la mobilité durable. Qu’avez-vous retiré de cet événement ?
 
C’est une initiative épatante où l’on découvre des acteurs et des innovations dans tous les modes de transport, à toutes les échelles, depuis le vélo jusqu’aux avions, pour assurer aux peuples la liberté d’aller et venir en respectant les ressources naturelles et la santé publique.
 
Qu’avez-vous pensé des élections européennes, de leur déroulement (la part du climat dans les thèmes des grands partis), de leurs résultats ?
 
Je me réjouis que l’on ait beaucoup parlé du climat, tout en regrettant parfois les slogans sommaires. Les surenchères de papier décrédibilisent la parole politique quand les résultats ne sont pas au rendez-vous. Mais il était temps que les partis découvrent l’écologie et en fassent un élément de leurs programmes. Car les réponses aux enjeux écologiques sont multiples. Il est bon que les candidats expliquent aux électeurs comment ils feront mieux que les autres et pour moins cher !
 
Vous avez été ambassadeur de l’ONU pour le climat. La solution doit-elle passer par un cadre supranational ?
 
Oui, évidemment. Quand l’humanité est face à une menace planétaire, elle a le choix de la coopération ou du chacun pour soi. Il y a aujourd’hui un risque de dislocation de l’ordre multilatéral. Nous devons le préserver. Mais, pour autant, la vertu de l’exemple est contagieuse. Je me réjouis de voir s’esquisser une course au zéro carbone entre plusieurs pays. Et je suis enchanté de voir l’engagement des acteurs non étatiques, associations, universités, entreprises, collectivités locales. Nous avons besoin d’elles !

À propos de l'auteur

Brice  Lalonde

Président de l’association Équilibre des énergies.

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