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La gazéification hydrothermale : techniques et potentiel

Com­plé­men­taire de la méthani­sa­tion et de la pyrogazéi­fi­ca­tion, la gazéi­fi­ca­tion hydrother­male per­met de traiter des déchets organiques humides. Elle offre un poten­tiel de 60 TWh de pro­duc­tion énergé­tique par an.

La gazéi­fi­ca­tion hydrother­male est un procédé de con­ver­sion ther­mochim­ique à haute pres­sion (210 à 350 bars) et à haute tem­péra­ture (360 à 700 °C) s’adressant tout par­ti­c­ulière­ment à des déchets organiques humides.

Cette con­ver­sion ther­mochim­ique fonc­tionne en lim­ite des phas­es liq­uide et gaz autour du point cri­tique de l’eau (221 bars/374 °C). L’eau devient alors un solvant (sépa­ra­tion solide) et est réac­tive (l’hydrogène se décroche plus facilement).

Deux tech­niques sont alors util­isées : la catal­yse (210 à 300 bars et 360 à 400 °C) ou la haute tem­péra­ture (250 à 350 bars, 550 à 700 °C). Le tout per­met un ren­de­ment énergé­tique glob­al élevé, de 75 % à 90 %.

Source : La gazéi­fi­ca­tion hydrother­male : Une tech­nolo­gie inno­vante, au cen­tre de l’économie cir­cu­laire pour val­oris­er qua­si com­plète­ment et locale­ment des déchets organiques humides. © GRTgaz

Par­mi ses avan­tages, la gazéi­fi­ca­tion hydrother­male per­met de traiter de nom­breux déchets de bio­masse en détru­isant les com­posants nuis­i­bles (virus, pathogènes…), en préser­vant au max­i­mum les ressources val­oris­ables tout en réduisant au strict min­i­mum la quan­tité de déchets ultimes (métaux, métaux lourds, inertes). Elle est ain­si capa­ble aus­si bien de pro­duire un gaz de syn­thèse riche en méthane (40 à 70 %), en hydrogène (5 à 30 %) et CO2 (20 à 30 %) que de récupér­er la qua­si-total­ité du con­tenu ini­tial de l’intrant en eau, en sels minéraux (phos­pho­re, potas­si­um…) et en azote pou­vant être trans­for­més en fer­til­isants (N, P, K). Ce procédé fonc­tionne sans apport d’air dans un cir­cuit fer­mé et ne génère aucun pol­lu­ant atmo­sphérique (NOx, CO, pous­sières), élim­ine tout com­posé indésir­able (micro-organ­ismes pathogènes, microp­ol­lu­ants, etc.) et ne génère que de faibles nui­sances sonores et olfac­tives. La tech­nolo­gie con­ver­tit aus­si bien la qua­si-total­ité du car­bone con­tenu naturelle­ment dans l’intrant que d’éventuels microplas­tiques en un gaz riche en méthane. L’eau résidu­elle du procédé peut être amenée par une fil­tra­tion adap­tée jusqu’à un niveau d’eau potable et ain­si rem­plac­er le recours à des ressources pré­cieuses d’eau.

Par­mi les nom­breux avan­tages de cette tech­nolo­gie, citons :
• l’absence de pol­lu­ants atmo­sphériques (NOx, CO, particules) ;
• un ren­de­ment énergé­tique élevé (de 70 à 90 %) ;
• une con­ver­sion du car­bone très élevée (supérieure à 90 %) et de microplastiques ;
• un temps de con­ver­sion très rapi­de (1 à 10 min) ;
• une instal­la­tion com­pacte et modulaire ;
• l’élimination des bac­téries, des virus et des pro­duits pathogènes ;
• la récupéra­tion de sels minéraux, d’azote sol­u­ble et de l’eau ;
• la pro­duc­tion d’un gaz injectable très riche en méthane ;
• un bilan GES/ACV très favorable ;
• des nui­sances sonores et olfac­tives faibles (une cam­pagne de mesures sera réal­isée dans le cadre du pro­jet GHAMa, pre­mier pro­jet français de démon­stra­tion de gazéi­fi­ca­tion hydrother­male, à Saint-Nazaire) ;
• la récupéra­tion de métaux et de métaux lourds.

La gazéi­fi­ca­tion hydrother­male per­met aus­si d’éviter l’incinération. Mal­gré leurs taux d’humidité très élevés, bon nom­bre de bio­mass­es humides se retrou­vent en effet élim­inées dans des unités de val­ori­sa­tion énergé­tique (UVE) ou des fours à hautes tem­péra­tures (cimenterie…), voire enfouies pour cer­taines. Par­mi elles, on retrou­ve : des boues de STEP ; des farines ani­males ; des boues indus­trielles classées comme « dan­gereuses » ; la frac­tion fer­mentesci­ble des ordures ménagères issue du tri mécano-biologique qui n’a pas pu être val­orisée en com­postage, parce qu’elle était non con­forme ; tout autre déchet humide qui ne respecte pas les critères d’innocuité agronomique per­me­t­tant un retour au sol (présence élevée d’éléments-traces métalliques, de plas­tiques ou de microplas­tiques, de pathogènes…).

La gazéi­fi­ca­tion hydrother­male per­met de traiter de nom­breux intrants humides : boues de sta­tions d’épuration (STEP) d’eaux usées urbaines et indus­trielles et boues de dra­gage ; diges­tats issus d’installations de méthani­sa­tion ; efflu­ents agri­coles ; efflu­ents organiques indus­triels (agroal­i­men­taires, chim­iques, papetiers, phar­ma­ceu­tiques…) ; déchets organiques humides urbains.

État de l’art

Les Pays-Bas sont aujourd’hui, avec une pre­mière usine indus­trielle d’une puis­sance de 18,6 MWth (16 t/h) en cours de mise en route, incon­testable­ment le pays où la tech­nolo­gie de la gazéi­fi­ca­tion hydrother­male est la plus avancée au monde. Elle béné­fi­cie d’un fort sou­tien pub­lic (75 €/MWhPCS de méthane de syn­thèse injec­té sur 12 ans pour les deux pre­miers pro­jets d’expérimentation) et se trou­ve déjà inscrite dans la feuille de route « groen gas 2031 » du pays comme le mode de pro­duc­tion de gaz renou­ve­lable priv­ilégié : avec une capac­ité de pro­duc­tion estimée à 11,5 TWh/an, ce qui cor­re­spond à une puis­sance instal­lée d’environ 1 400 MWth, elle devrait assur­er 57 % de la pro­duc­tion de gaz renou­ve­lable du pays en 2030. Ailleurs en Europe (Alle­magne, Suisse, Espagne) et dans le monde (États-Unis, Japon), les développeurs les plus avancés de la tech­nolo­gie sont déjà au stade de pilotes et de démon­stra­teurs préin­dus­triels. En France existe un pro­to­type d’une capac­ité de traite­ment de 10 kg/h (CEA Liten, Greno­ble). Un pre­mier pro­jet de démon­stra­tion de 1 t/h (1 MWth) est en cours de mon­tage à Saint-Nazaire (44). Sa mise en œuvre est prévue pour début 2024, mais dépend toute­fois du cadre de sou­tien pub­lic qui lui sera acces­si­ble d’ici là. Deux sociétés français­es s’engagent comme développeur/porteur de la tech­nolo­gie de gazéi­fi­ca­tion hydrother­male, Ler­oux et Lotz Tech­nolo­gies (gazéi­fi­ca­tion hydrother­male haute tem­péra­ture) et Vin­ci Environnement/Genifuel (gazéi­fi­ca­tion hydrother­male avec catalyse).

Un poten­tiel de 60TWH/an

Env­i­ron 400 mil­lions de tonnes brutes de gise­ments de déchets de bio­mass­es humides sont générées chaque année en France. Par­mi ce gise­ment glob­al, un pre­mier poten­tiel de gise­ment d’intrants humides, non mobil­isé par d’autres tech­nolo­gies de val­ori­sa­tion, per­me­t­trait d’atteindre un poten­tiel de pro­duc­tion de gaz renou­ve­lable injectable dans le réseau de gaz d’au moins 30 TWhPCS/an se répar­tis­sant en :
• 23 TWh/an à par­tir d’excès de diges­tats de méthani­sa­tion agri­cole (env­i­ron 16 % du gise­ment) ne pou­vant être com­postés ou épan­dus près des sites de méthani­sa­tion et de boues et de diges­tats de boues de sta­tions d’épuration (env­i­ron 80 % du gisement) ;
• 5 TWh/an à par­tir de boues de curage et dra­gage (ports, fleuves et canaux) étant trop pol­luées par rap­port aux nou­velles normes ne per­me­t­tant plus leur rejet en mer ;
• 2 TWh/an à par­tir de sous-pro­duits ani­maux et végé­taux (indus­triels IAA).

Un sec­ond poten­tiel de gise­ment d’intrants humides assur­erait une pro­duc­tion com­plé­men­taire de méthane renou­ve­lable d’au moins 28 TWhPCS/an par gazéi­fi­ca­tion hydrother­male. Il s’agit de déchets humides (boues indus­trielles, pulpes de bet­ter­aves, copro­duits du biodiesel et du bioéthanol, liqueur noire, lix­ivi­ats de cen­tres d’enfouissement, excès d’effluents agri­coles) pour lesquels les indus­triels et les agricul­teurs cherchent une alter­na­tive à leurs modes de val­ori­sa­tion. Compte tenu des intrants listés, de l’émergence de poten­tielles voies de val­ori­sa­tion énergé­tique alter­na­tives (car­bu­rants liq­uides notam­ment), la tra­jec­toire réal­iste de pro­duc­tion de bio­méthane par gazéi­fi­ca­tion hydrother­male s’élève à au moins 50 TWh/an d’ici à 2050.

Leviers d’action et sou­tiens attendus

À l’instar des mesures déjà pris­es pour dévelop­per la fil­ière méthani­sa­tion, la fil­ière gazéi­fi­ca­tion hydrother­male a égale­ment besoin, au plus vite, de cadres de sou­tien économique inci­tatif et régle­men­taire pour se développer :
• mise en place opéra­tionnelle des con­trats d’expérimentation et d’autres mesures inci­ta­tives et pérennes (injec­tion dans le réseau de gaz, garanties d’origine, fis­cal­ité, déro­ga­tion d’autorisation) pour lancer et sécuris­er les pre­miers pro­jets de pro­duc­tion de biogaz de taille indus­trielle util­isant la gazéi­fi­ca­tion hydrothermale ;
• déf­i­ni­tion d’un cadre régle­men­taire pro­pre à la tech­nolo­gie pour éviter la mise en place d’actions injus­ti­fiées au regard du fonc­tion­nement intrin­sèque de la tech­nolo­gie (pas de com­bus­tion, pas d’odeurs, pas de rejets atmosphériques…).

En tant qu’outil et fil­ière de pro­duc­tion locale et décen­tral­isée de gaz renou­ve­lable, la gazéi­fi­ca­tion hydrother­male mérite d’être inscrite dans la future Stratégie française sur l’énergie et le cli­mat (SFEC) et dans sa décli­nai­son, la loi de pro­gram­ma­tion Énergie Cli­mat (LPEC) 2023 et d’y occu­per une place sig­ni­fica­tive, au même titre que les autres fil­ières inno­vantes (pyrogazéi­fi­ca­tion, métha­na­tion). La gazéi­fi­ca­tion hydrother­male et les autres moyens de pro­duc­tion de biogaz sont des élé­ments essen­tiels pour accélér­er la décar­bon­a­tion dans tous les secteurs d’activité et gag­n­er en indépen­dance énergé­tique. À l’horizon 2030, la fil­ière gazéi­fi­ca­tion hydrother­male estime atteignable un objec­tif de pro­duc­tion de 2 TWhPCS/an, ouvrant la voie à un objec­tif glob­al plus ambitieux de pro­duc­tion de gaz renou­ve­lables dans la future LPEC, aux côtés des autres fil­ières inno­vantes et de la méthanisation.

Groupe de tra­vail actif

Le groupe de tra­vail (GT) gazéi­fi­ca­tion hydrother­male réu­nit un groupe­ment de plus de 40 parte­naires privés et publics mul­ti­secteurs sur l’ensemble de la chaîne de valeur de cette tech­nolo­gie d’avenir, ani­mé par la tran­si­tion énergé­tique au ser­vice des ter­ri­toires. Créé offi­cielle­ment en mars 2021, il vise à favoris­er l’émergence de cette fil­ière inno­vante en France, à la dévelop­per et à la struc­tur­er afin de faciliter durable­ment son implan­ta­tion indus­trielle dans le paysage énergé­tique français d’ici à 2024. Ses travaux enten­dent ren­forcer la con­nais­sance sur la tech­nolo­gie et ses nom­breux atouts pour le développe­ment d’une économie circulaire.

La gazéi­fi­ca­tion hydrother­male est une tech­nolo­gie inno­vante et vertueuse de pro­duc­tion de gaz renou­ve­lable injectable dans les réseaux de gaz à par­tir de déchets et de résidus de bio­mass­es humides. L’objectif du col­lec­tif est d’accompagner la struc­tura­tion de la fil­ière à l’échelle française d’ici à 2024, de con­tribuer aux objec­tifs de la tran­si­tion énergé­tique et de l’économie cir­cu­laire et, plus large­ment, de la porter égale­ment au niveau européen.

Le GT gazéi­fi­ca­tion hydrother­male entend fédér­er les acteurs de la fil­ière sur l’intégralité de sa chaîne de valeur : développeurs, pro­duc­teurs de gaz renou­ve­lables, sociétés de traite­ments de déchets, util­isa­teurs, équipemen­tiers, asso­ci­a­tions, bureaux d’études, ges­tion­naires de réseaux de gaz, lab­o­ra­toires de recherche et col­lec­tiv­ités locales.

L’ensemble des parte­naires recon­naît le poten­tiel de la gazéi­fi­ca­tion hydrother­male pour traiter les déchets humides aujourd’hui peu, pas ou insuff­isam­ment val­orisés, pro­mou­voir dif­férents mod­èles économiques cir­cu­laires, par­ticiper à la décar­bon­a­tion de l’industrie comme des autres secteurs et enfin con­tribuer à un mix de 100 % gaz renou­ve­lable dans les réseaux de gaz français et européen d’ici à 2050.

Le GT con­tribuera à la créa­tion d’un écosys­tème mul­ti-acteurs et mul­ti-usages pour à la fois favoris­er l’ancrage ter­ri­to­r­i­al de la tech­nolo­gie et réus­sir le pas­sage à l’échelle indus­trielle. Dans ce cadre, il lancera des travaux spé­ci­fiques, notam­ment pour qual­i­fi­er les matières et les flux val­oris­ables (out­re la pro­duc­tion de méthane de syn­thèse, la pro­duc­tion au moins par­tielle d’hydrogène à terme est égale­ment envis­agée), iden­ti­fi­er les exter­nal­ités, définir les régle­men­ta­tions tech­niques applic­a­bles, dévelop­per des mod­èles d’affaires ou encore dis­pos­er de retours d’expérience sur les pilotes et démon­stra­teurs existants.

Pho­to ci-dessus : Une usine pilote de 110 kg/h GH cat­aly­tique par TreaT­e­ch / Paul Scher­rer Insti­tut instal­lé sur une STEP. © GRTgaz

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