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Circularité, industrialisation et numérique : trois clés pour accélérer la rénovation énergétique

Par­mi ses propo­si­tions, la con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat a demandé que soit fixé à 2040 l’objectif de réno­va­tion énergé­tique glob­ale des bâtiments.

[La loi Cli­mat et résilience adop­tée le 22 août 2021] est à cet égard moins [ambitieuse], puisqu’[elle] fixe ce cap à 2050.

Néan­moins, il sem­ble que le réel frein à l’accélération de la réno­va­tion réside surtout dans la faible pro­duc­tiv­ité du secteur du bâti­ment. Ce dernier a pour­tant un rôle colos­sal à endoss­er dans la transition.

Selon le pro­jet européen « House­ful », le secteur du loge­ment – con­struc­tion et usages com­pris – représente dans l’Union européenne 50 % des matéri­aux extraits et absorbe 40 % de l’énergie et 30 % de l’eau con­som­mées. Il pro­duit par ailleurs 30 % des déchets totaux, ain­si que 35 % des émis­sions de gaz à effet de serre (GES) de l’UE.

Mal­gré ces con­stats, le secteur de l’architecture, de l’ingénierie et de la con­struc­tion souf­fre encore de sa frag­men­ta­tion, de la com­plex­ité de sa régle­men­ta­tion, d’une pro­duc­tiv­ité qui croît trop lente­ment, d’un appro­vi­sion­nement mal géré et d’un cadre con­tractuel qui entrave la col­lab­o­ra­tion tout au long de la chaîne de valeur. C’est en tout cas ce que soulig­nait en 2017 un rap­port du cab­i­net McKinsey.

Autant de car­ac­téris­tiques qui entra­vent sa mise en adéqua­tion avec les objec­tifs européens fixés par le pacte vert, feuille de route élaborée pour que l’UE atteigne la neu­tral­ité car­bone en 2050. Tout espoir n’est pas per­du néan­moins. En s’appuyant sur les nou­velles tech­nolo­gies numériques, une automa­ti­sa­tion avancée et de nou­veaux matéri­aux, le secteur est en mesure de se transformer.

Dans le cadre de nos recherch­es en cours, nous nous intéres­sons à trois grands piliers indis­pens­ables selon nous à l’évolution du secteur : la cir­cu­lar­ité ; la créa­tion de nou­veaux mod­èles économiques ; et le déploiement de proces­sus numériques transparents.
Cir­cu­lar­ité et nou­veaux matériaux

Il est essen­tiel que le secteur du bâti­ment se penche sérieuse­ment sur les solu­tions cir­cu­laires. Selon le Groupe inter­na­tion­al d’experts sur les ressources (GIER) du Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement, ces dernières per­me­t­traient de réduire de 35 % les émis­sions de car­bone sur le cycle de vie des pays du G7 grâce à des straté­gies d’efficacité des matéri­aux. Pour la Chine et l’Inde, la baisse devrait même attein­dre les 60 %.

Une telle muta­tion implique que le secteur conçoive ses bâti­ments dif­férem­ment. Cela implique de priv­ilégi­er de nou­veaux matéri­aux à base de bois en sélec­tion­nant des com­posants de con­struc­tion bas car­bone, de restrein­dre l’utilisation de matières pre­mières vierges (non recy­clées), et de dévelop­per une chaîne de valeur qui réu­tilise des élé­ments recy­clés ou même des mod­ules de bâti­ments entiers.

Aujourd’hui, la destruc­tion des bâti­ments pro­duit encore bien sou­vent des déchets tox­iques : en Alle­magne par exem­ple, 32 % des déchets tox­iques sont issus de leur con­struc­tion et démolition.

Cela exige en amont de dis­pos­er de chaînes d’approvisionnement plus adap­tées à une util­i­sa­tion accrue de matéri­aux sec­ondaires et régénérat­ifs, et de décar­bon­er égale­ment les opéra­tions et la logis­tique. À l’avenir, l’impact car­bone de la fil­ière sera cal­culé en ten­ant compte de l’énergie grise incor­porée – c’est-à-dire la quan­tité d’énergie con­som­mée tout au long du cycle de vie d’un matéri­au ou d’un produit.

Les investis­seurs parais­sent con­fi­ants dans une trans­for­ma­tion du secteur, comme l’a souligné l’investissement de Soft­Bank dans Kater­ra. Cette entre­prise fondée en 2015 promet de déplac­er une grande par­tie de la con­struc­tion hors chantier – c’est-à-dire une pro­duc­tion de masse qui per­me­t­tra de gag­n­er en pro­duc­tiv­ité – et de s’appuyer sur l’automatisation et les nou­veaux matéri­aux afin de réalis­er des gains de pro­duc­tiv­ité grâce à une indus­tri­al­i­sa­tion efficace.

Cinq ans après son lance­ment, Soft­Bank a dû ren­flouer Kater­ra avec 200 mil­lions de dol­lars de cap­i­taux frais pour la sauver de la fail­lite. L’illustration que la révo­lu­tion du secteur ne se fera pas sans épreuves.

S’industrialiser grâce au numérique

L’impératif de cir­cu­lar­ité, qui tend à dis­soci­er la con­som­ma­tion des ressources de la crois­sance économique, con­stitue un défi de taille pour le secteur. Mais il ouvre aus­si tout un hori­zon de pos­si­bil­ités : la plu­part des entre­pris­es de con­struc­tion tra­di­tion­nelles n’ont jusqu’ici pas exploré les pos­si­bil­ités com­mer­ciales dans les phas­es d’après-vente et de fin de vie des bâtiments.

Elles per­dent ain­si com­plète­ment la trace de leurs con­struc­tions et, par la même occa­sion, de pré­cieuses oppor­tu­nités qui pour­raient devenir encore plus intéres­santes avec le finance­ment du pacte vert pour l’Europe et les nou­velles réglementations.

Des acteurs émer­gents investis­sent ces failles et comblent ces lacunes en créant par exem­ple des plates-formes pour les marchés de matéri­aux sec­ondaires – comme Envi­ron­mate – afin de créer de la valeur dans la décon­struc­tion des bâti­ments. Pour cela, il est néces­saire de ren­dre acces­si­bles les infor­ma­tions sur les bâtiments.

Le pacte vert pour­rait ici fonc­tion­ner comme un catal­y­seur : en exigeant la divul­ga­tion d’informations sur la per­for­mance des bâti­ments, un écosys­tème entière­ment numérique naî­tra. Toutes les don­nées sur les com­posants et les bâti­ments sont saisies dans des passe­ports de matéri­aux et des jumeaux numériques qui rend acces­si­bles en « open source » toutes les infor­ma­tions sur le bâti­ment de façon à créer un marché plus ouvert et à amélior­er la ges­tion du cycle de vie des bâti­ments et de leurs matériaux.

La plate-forme en ligne néer­landaise Madaster, par exem­ple, est à l’avant-garde pour per­me­t­tre aux bâti­ments de devenir des ban­ques de matéri­aux. Les entre­pris­es capa­bles de dévelop­per rapi­de­ment des jumeaux numériques de leurs con­struc­tions pour­ront béné­fici­er de ces mod­èles économiques inno­vants en récupérant par exem­ple des mod­ules réu­til­is­ables de bâti­ments détruits.

Un autre obsta­cle que le pacte vert pour l’Europe pour­rait sur­mon­ter est celui de la réno­va­tion énergé­tique. Dans l’Union européenne, 1 % seule­ment du parc immo­bili­er est rénové chaque année.

Thomas Boer­mans, respon­s­able de la prospec­tive chez E.ON – une entre­prise de pro­duc­tion et de four­ni­ture d’électricité – estime ain­si que le regroupe­ment de chantiers pour [tir­er prof­it des] simil­i­tudes des bâti­ments voisins dans un quarti­er, attein­dre une plus grande taille de pro­jets et inclure des solu­tions d’infrastructures – telles que le chauffage urbain – pour­rait con­tribuer à accélér­er le mou­ve­ment. Il fau­dra pour cela com­bin­er les sub­ven­tions du pacte vert avec de nou­veaux mod­èles économiques et la par­tic­i­pa­tion des municipalités.

Les mod­ules pré­fab­riqués, ain­si que l’assemblage hors chantier et indus­tri­al­isé, réduiraient égale­ment con­sid­érable­ment les coûts, ren­dant la réno­va­tion plus attrac­tive pour les pro­prié­taires et pour les entreprises.

Ren­dre le secteur plus attractif

Les gains de pro­duc­tiv­ité ne seront réal­is­ables dans le secteur du bâti­ment que si les out­ils et les proces­sus numériques sont adop­tés par l’ensemble de la chaîne de valeur. Il fau­dra pour cela met­tre en place de nou­veaux cadres de coopéra­tion qui instau­rent la con­fi­ance et facili­tent les inno­va­tions col­lab­o­ra­tives. Les acteurs numériques pour­raient égale­ment être en mesure de combler ces lacunes.

Mais si le secteur du bâti­ment veut con­tribuer à l’objectif de neu­tral­ité car­bone du pacte vert pour l’Europe, il devra d’abord numéris­er son proces­sus de pro­duc­tion et d’industrialisation. Cela encour­agerait les fab­ri­cants de mod­ules et de com­posants à créer des pro­duits sstan­dard­is­és et à ren­dre les plans acces­si­bles aux archi­tectes en amont, et les con­struc­teurs à automa­tis­er leurs proces­sus. En bref, à opti­miser l’efficacité de la rénovation.

Com­biné avec l’industrialisation, cela ren­dra le secteur de la con­struc­tion plus attrayant pour la main‑d’œuvre haute­ment qual­i­fiée – par exem­ple en infor­ma­tique. Attir­er des tal­ents extérieurs au bâti­ment sera essen­tiel pour trans­fér­er les meilleures pra­tiques d’autres indus­tries, faire émerg­er de nou­veaux pro­fils d’emploi et stim­uler la pro­duc­tiv­ité et la durabilité. 

Mar­tin Pauli, directeur asso­cié chez ARUP, bureau d’études et de con­seil en ingénierie bri­tan­nique spé­cial­isé dans la con­struc­tion, a con­tribué à la rédac­tion de cet article.

Cet arti­cle a été pub­lié sur le site : theconversation.fr

À propos de l'auteur

René Rohrbeck

Professor of strategy, Director Edhec Chair for Foresight, Innovation and Transformation, EDHEC Business School.

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