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Trajectoire hydrogène 2030 France : état des lieux et perspectives

© McPhy

France Hydrogène a confronté son étude prospective « Trajectoire hydrogène » publiée en 2021 avec les déploiements effectifs et les projets réels dans les différentes régions de France. Résultat : un potentiel à la hauteur des espérances, des orientations fortes vers les e‑carburants, mais aussi un besoin de production d’hydrogène de toutes les couleurs. Explications.

En 2020, la France s’est engagée pour le développement de l’hydrogène décarboné avec une stratégie nationale ambitieuse. Dotée de 9 milliards d’euros (9 Md€) de soutien public pour faire décoller la filière industrielle et son déploiement sur le territoire national, elle vise à déployer 6,5 GW d’électrolyse à l’horizon 2030 et éviter ainsi l’émission de 6 millions de tonnes (Mt) de CO2 par an.

En 2021, France Hydrogène publiait l’étude « Trajectoire pour une grande ambition hydrogène » qui déclinait cette stratégie en deux scénarios : le scénario « Ambition 2030 » avec un déploiement de capacités de production de 680 000 tonnes d’hydrogène renouvelable ou bas carbone et un second scénario « Ambition+ 2030 » avec une augmentation significative de ces quantités pour atteindre 1 090 000 tonnes d’hydrogène renouvelable ou bas carbone pour répondre aux contraintes réglementaires du paquet Fit for 55. Sept grands bassins géographiques ont été identifiés, points d’ancrage d’un déploiement massif où la mutualisation de la production et des usages permettrait de réduire les coûts.

Réalité confrontée à la prospective

Dans le volet 2 de la « Trajectoire pour une grande ambition hydrogène », publié en décembre 2022, France Hydrogène confronte les scénarios prospectifs Ambition et Ambition+ à la réalité des projets engagés par les industriels et les collectivités dans les territoires. L’étude mesure le déploiement de la filière grâce aux indicateurs suivants à date et jusqu’à l’horizon 2030 :

• Les capacités de production d’hydrogène renouvelable ou bas carbone installées,

• Les différents usages de l’hydrogène (industrie, énergie, mobilité),

• L’état des ressources et facteurs limitants nécessaires à l’exploitation de ces capacités.

L’une des forces de cette étude est qu’elle se base sur une collecte de données de très grande ampleur qui lui permet de coller à la réalité des projets et réalisations en décembre 2022. En effet, forte de sa représentativité et grâce à ses implantations dans toutes les régions, France Hydrogène a réalisé une collecte de données inédite dans les 12 régions métropolitaines permettant de faire remonter plus de 250 projets et écosystèmes territoriaux. Les entretiens qualitatifs organisés avec les délégations régionales de France Hydrogène et les Conseils régionaux ont à la fois permis la collecte de données, mais également leur analyse et leur validation. Les quantités affichées plus avant dans l’étude cumulent des projets dont les statuts sont très variables en maturité et en sécurisation, tandis que certains projets n’apparaissent pas car confidentiels à l’époque de la collecte de données.

France Hydrogène a également fait appel à des sources ouvertes pour les différentes catégories de données collectées (rapports et études, observatoires régionaux et nationaux, schémas directeurs régionaux, etc.). Les paramètres clés ont été étudiés aux échelles nationale et régionale.

Les usages de l’hydrogène

Les projets recensés totalisent une consommation d’hydrogène renouvelable et bas carbone d’environ 1 070 000 tonnes par an à 2030 en France, soit des volumes supérieurs à ceux des objectifs de la stratégie nationale hydrogène et similaires à ceux du scénario Ambition+ 2030. Les principales zones de consommation d’hydrogène se concentrent autour des bassins industriels et à l’intérieur des « bassins » géographiques définis par l’étude 2021.

E‑carburant : une clé de décarbonation

Conformément aux scénarios 2021, la décarbonation de l’industrie reste la voie privilégiée pour atteindre une massification des volumes d’hydrogène, avec en parallèle une diffusion des usages de mobilité et l’émergence des solutions de stockage énergétique de la filière, mais avec des ordres de grandeur comme le montre le tableau ci-dessous.

Un focus sur la segmentation des usages industriels fait apparaître d’une part les usages « conventionnels », comme le raffinage ou la production d’ammoniac, et conforte la part de la sidérurgie. Mais l’une des différences les plus marquantes avec les scénarios prospectifs de 2021 est la part considérable et nouvelle dans la production de molécule de synthèse : plus de la moitié de la production d’hydrogène renouvelable et bas carbone est consommée par des projets visant la fabrication de e‑carburants. Ces carburants de synthèse sont composés d’hydrogène et de carbone pour le e‑kerozen par exemple, ou d’hydrogène de carbone et d’oxygène pour les e‑méthanols.

Cette production d’hydrocarbure de synthèse, outre son intérêt pour des usages de mobilités, permet également un captage du carbone issu des process industriels, rendant la filière hydrogène d’autant plus vertueuse. Des industries comme les cimenteries (attaquées par des écologistes peu au fait des dernières technologies) peuvent, avec l’hydrogène, faire passer leur activité de forte émission de CO2 à activités productrices d’énergie très bas carbone en récupérant le carbone des process pour une production de carburant. Et il ne s’agit pas là de « green washing », mais de la mise en place d’une réelle économie durable. Encore faudrait-il pour y parvenir modifier certaines orientations de la réglementation Red III comme nous le verrons plus loin.

Scénario Ambition (en tH2/an)

Raffinage

50 000

autres besoins (e‑methane, etc.)

55 000

Ammoniac « conventionnel »

20 000

Sidérurgie

250 000

Molécules de synthèse

425 000

Industrie diffuse

12 000

e ‑méthanol

205 000

Chaleur industrielle

6 500

e ‑carburants type SAF ou e‑kérosène

165 000

Autres (non précisés)

51

Source : Trajectoire pour une grande ambition hydrogène à 2030. 
© France Hydrogène

Mobilité durable

L’étude montre aussi que les projets de mobilités, notamment routières, permettent un développement de l’hydrogène étendu à l’ensemble du territoire. 225 stations de recharge hydrogène ouvriront d’ici 2025 en France avec un minimum d’une dizaine de stations prévues dans chaque région, généralement autour des principales agglomérations. Les projets de mobilités hydrogène représentent environ 230 000 tonnes de H2 d’ici 2030, soit environ 20 % des potentiels de production en France, dans la continuité des estimations réalisées en 2021.

En ce qui concerne les usages ferroviaires, la mise en service de trains régionaux hydrogène s’inscrit pleinement dans un développement territorial, via des lignes régionales non électrifiées. Les 14 rames de Régiolis H2 commandées par 4 régions et déployées d’ici 2025 viendront remplacer les rames fonctionnant aujourd’hui au diesel grâce à des solutions zéro émission à l’usage et aux performances similaires : autonomie totale de 1 000 km dont 600 km grâce à 184 kg de H2 embarqués et un système pile à combustible d’environ 300 kW. 

Pour l’ensemble des mobilités maritimes et fluviales, l’hydrogène et les piles à combustible peuvent répondre à de nombreux besoins et cas d’usages comme en témoigne la trentaine de projets recensés sur l’ensemble du territoire : propulsion de navettes de passagers, de navires portuaires ou de bateaux dédiés à la navigation intérieure mais également des solutions de recharge à quai. Les solutions aujourd’hui en développement correspondent à des puissances allant de 200 kW à 2,5 MW, avec plusieurs centaines de kilogrammes d’hydrogène comprimé ou cryogénique embarqués. Les défis techniques et réglementaires sont encore nombreux. 

Quant à la décarbonation du secteur aérien, il s’agit d’un enjeu majeur pour la pérennité de la filière. Même si le défi technique est de taille, les acteurs français de l’aéronautique misent sur plusieurs leviers de décarbonation, dont l’hydrogène, que ce soit pour la propulsion (turboréacteur ou motorisation électrique alimentée par pile à combustible), les applications d’énergie à bord auxiliaires ou de secours, ou encore la substitution du kérosène par du e‑kérosène produit à partir d’hydrogène renouvelable ou bas carbone.

Territoires d’hydrogène

L’hydrogène a également un rôle à jouer dans des usages énergétiques. Il représente notamment une solution concrète pour répondre aux besoins de flexibilité du réseau électrique, mais également pour les usages hors réseau (boucles énergétiques locales et autonomes, sites isolés, groupes électrogènes, systèmes de secours, etc.). Le segment correspondant à cet usage est peu représenté à court et moyen terme dans les projets collectés dans le cadre de l’étude, mais plusieurs expérimentations et projets de démonstration sont en cours. L’évolution du contexte énergétique et l’intégration croissante des EnR dans le mix électrique français pourraient faire évoluer le besoin à court terme, tandis que les infrastructures de transport et de stockage de l’hydrogène se développent.

Il est intéressant de noter qu’une vraie polarité apparaît dans la production d’hydrogène en France avec, d’un côté, une large majorité de projets inférieurs à 3 MWeq (70 % de l’ensemble des projets collectés) et de l’autre, des quantités d’hydrogène produites principalement par des projets supérieurs à 100 MWeq (80 % de l’ensemble des volumes, pour seulement 24 projets). Donc il s’agit soit de très petits projets, soit de très gros projets, les petits permettant un maillage territorial fort et les gros aidant à la massification de la production.

Les projets de taille intermédiaire, malgré leur pertinence en termes de mutualisation des infrastructures et d’effets d’échelle, apparaissent, à ce stade, peu privilégiés. La densité de plus en plus forte de projets importants ainsi que la structuration d’écosystèmes territoriaux confirment l’émergence progressive de « bassins » hydrogène comme démontré dans l’étude « Trajectoire pour une grande ambition hydrogène 2021 ».

L’étude complète de France Hydrogène détaille les projets région par région, ce qui donne une idée intéressante du paysage hydrogène de demain. Les fortes perspectives de déploiement sont identifiées sur l’ensemble du territoire français, avec entre 15 et 25 projets de production d’hydrogène recensés par région.

À propos de l'auteur

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